En matière de contentieux contractuel international, la détermination de la juridiction compétente constitue un enjeu fondamental. Un expéditeur et un transporteur ont conclu un contrat pour l’acheminement d’une marchandise entre la Finlande et le Royaume-Uni. Ce transport, qualifié de multimodal, s’effectuait par camion, puis par navire, et enfin de nouveau par camion. La marchandise a disparu au cours de la dernière étape du trajet, sur le territoire britannique. L’assureur de l’expéditeur, après avoir indemnisé son client, a engagé avec ce dernier une action en dommages et intérêts contre le transporteur devant le tribunal de première instance de Satakunta, en Finlande. Le transporteur a soulevé l’incompétence de la juridiction saisie. Le tribunal de première instance s’est déclaré compétent et a fait droit à la demande. Saisie en appel, la cour d’appel de Vaasa, par un arrêt du 30 mars 2015, a infirmé le jugement, estimant que les juridictions finlandaises étaient incompétentes au regard du règlement (CE) n° 44/2001. Un pourvoi a été formé devant la Cour suprême de Finlande, qui a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Il était demandé à la Cour de déterminer comment le ou les lieux de fourniture du service, au sens de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement précité, doivent être définis dans le cadre d’un contrat de transport de marchandises entre États membres se composant de plusieurs étapes et utilisant différents modes de transport. En d’autres termes, la question posée était de savoir si, dans une telle hypothèse, le lieu de fourniture du service doit être entendu comme le seul lieu de livraison finale de la marchandise, ou s’il peut également viser le lieu d’expédition de celle-ci, ouvrant ainsi une option de compétence au demandeur. Par son arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne dit pour droit que « l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement […] doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat portant sur le transport d’une marchandise entre États membres en plusieurs étapes, avec escales, et au moyen de différents modes de transport, […] tant le lieu d’expédition que le lieu de livraison de la marchandise constituent des lieux de fourniture du service de transport, au sens de cette disposition ».
La Cour consacre ainsi une interprétation extensive du lieu d’exécution du service de transport, officialisant une option de compétence au profit du demandeur (I). Cette solution, pragmatique et justifiée par la recherche d’un lien de rattachement étroit, a pour effet de renforcer la prévisibilité pour les opérateurs économiques (II).
I. L’extension de la compétence optionnelle au contrat de transport de marchandises
La Cour de justice étend au transport de marchandises une solution déjà dégagée pour le transport de personnes, en affirmant l’existence d’une pluralité de lieux de fourniture du service (A), ce qui procède d’une assimilation justifiée entre les deux types de contrats (B).
A. L’affirmation d’une pluralité de lieux de fourniture du service
L’apport principal de la décision est d’établir qu’en matière de transport international de marchandises, la compétence juridictionnelle n’est pas limitée au tribunal du lieu de livraison. La Cour juge en effet que « tant le lieu d’expédition que le lieu de livraison de la marchandise constituent des lieux de fourniture du service de transport ». Cette interprétation duale du lieu de fourniture du service principal s’écarte d’une vision unitaire qui aurait localisé l’exécution de l’obligation caractéristique du contrat au seul lieu de destination finale. La Cour reconnaît ainsi que le service de transport se matérialise de manière significative à deux moments et en deux lieux distincts du contrat. L’expédition n’est pas considérée comme une simple étape préparatoire, mais comme une partie intégrante de la prestation de service elle-même. Cette approche permet de considérer que l’obligation du transporteur est exécutée de façon substantielle tant au départ qu’à l’arrivée, justifiant ainsi une compétence concurrente.
B. L’assimilation du transport de marchandises au transport de personnes
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour transpose au transport de marchandises la jurisprudence qu’elle avait précédemment établie en matière de transport aérien de passagers. Elle se réfère explicitement à l’arrêt du 9 juillet 2009, *Rehder*, dans lequel il avait été jugé que « le lieu de départ et le lieu d’arrivée de l’avion doivent être considérés, au même titre, comme étant les lieux de fourniture principale des services ». En appliquant un raisonnement similaire, la Cour estime que les obligations découlant d’un contrat de transport de marchandises présentent des similitudes suffisantes avec celles d’un contrat de transport de personnes pour justifier une solution identique. Dans les deux cas, le contrat se réalise par un déplacement d’un point A vers un point B, et les prestations essentielles sont fournies à ces deux extrémités. L’assimilation de ces deux situations juridiques permet ainsi d’unifier les règles de compétence pour les contrats de transport au sein de l’Union, favorisant une application cohérente du règlement.
Cette solution, fondée sur une analogie avec le transport de passagers, s’ancre plus profondément dans le critère du lien de rattachement le plus étroit, dont elle renforce la portée au nom d’une exigence de prévisibilité.
II. La consécration d’une solution pragmatique au service de la prévisibilité
La décision de la Cour repose sur une analyse concrète du contrat de transport, en retenant comme pertinents les lieux présentant un lien de rattachement étroit avec celui-ci (A), ce qui a pour vertu de renforcer la prévisibilité pour les parties contractantes (B).
A. La recherche d’un lien de rattachement étroit et concret
La Cour rappelle que la règle de compétence spéciale de l’article 5, point 1, vise à identifier le tribunal le plus apte à connaître du litige, c’est-à-dire celui qui présente le « lien de rattachement le plus étroit entre le contrat et la juridiction compétente ». Appliquant ce critère au transport de marchandises, elle considère que le lieu d’expédition remplit cette condition au même titre que le lieu de livraison. En effet, la Cour souligne qu’au lieu d’expédition, le transporteur exécute « une partie importante de la prestation de service convenue, à savoir recevoir les marchandises, les arrimer de manière appropriée et, de manière générale, les protéger ». L’inexécution ou la mauvaise exécution de ces obligations initiales peut être directement à l’origine du préjudice subi à destination ou en cours de route. Par cette analyse fonctionnelle du contrat, la Cour retient comme pertinents les lieux où se concentrent des obligations déterminantes, conférant ainsi un caractère concret au lien de rattachement.
B. Le renforcement de la prévisibilité pour les parties contractantes
Au-delà de la justification technique, la Cour met en avant un objectif essentiel du droit judiciaire européen : la prévisibilité. La solution retenue « répond à l’exigence de prévisibilité, dès lors qu’elle permet tant au demandeur qu’au défendeur d’identifier les juridictions du lieu de l’expédition et de livraison de la marchandise ». En définissant clairement deux fors compétents, facilement identifiables dès la conclusion du contrat, la Cour offre une sécurité juridique appréciable aux opérateurs. Les parties savent à l’avance qu’un litige pourra être porté devant les tribunaux de l’un ou l’autre de ces deux États membres. Cette option claire évite des débats complexes et incertains sur la localisation de la « fourniture principale » du service, particulièrement dans le cas de transports multimodaux impliquant de nombreuses étapes intermédiaires. La règle est simple, efficace, et conforme à l’objectif d’une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne.