Cour de justice de l’Union européenne, le 11 juillet 2019, n°C-304/18

Par un arrêt rendu par sa septième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les obligations d’un État membre en matière de recouvrement des ressources propres de l’Union. En l’espèce, à la suite d’une enquête ayant révélé une possible importation illégale de tabacs manufacturés en 1997, les autorités douanières d’un État membre ont estimé le montant des droits de douane éludés et ont procédé à leur inscription dans une comptabilité séparée. Parallèlement, une procédure pénale fut engagée contre les personnes suspectées d’être impliquées dans cette fraude. Cette procédure n’aboutit à une condamnation définitive pour l’un des responsables qu’en 2002. Estimant la créance irrécouvrable en raison du temps écoulé, l’État membre a notifié à la Commission en 2008 une communication de mise en non-valeur pour le montant concerné. La Commission, considérant que l’État membre avait manqué à ses obligations en ne recouvrant pas la dette douanière avec la diligence requise, a engagé une procédure en manquement. L’État membre soutenait pour sa défense qu’il ne pouvait procéder au recouvrement avant l’issue de la procédure pénale, qui seule pouvait établir avec certitude l’existence de la dette, son montant et l’identité des débiteurs.

La question de droit soulevée était donc de savoir si un État membre peut se prévaloir de l’attente de l’issue d’une procédure pénale pour justifier son retard dans le recouvrement d’une dette douanière et, par conséquent, être dispensé de mettre les ressources propres correspondantes à la disposition du budget de l’Union.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative. Elle juge que l’inscription de la créance en comptabilité par les autorités nationales suffit à établir sa constatation, déclenchant ainsi l’obligation de recouvrement immédiat. Le fait d’attendre l’issue de la procédure pénale constitue un retard imputable à l’État membre, qui ne peut dès lors être exonéré de son obligation de mettre les fonds à la disposition de la Commission, ni du paiement des intérêts de retard. La solution de la Cour rappelle la primauté des obligations financières des États membres envers l’Union, qui ne sauraient être subordonnées aux aléas des procédures judiciaires nationales. Elle confirme ainsi la rigueur avec laquelle l’autonomie du droit douanier et l’exigibilité des ressources propres doivent être appliquées. Il convient donc d’analyser la portée de la constatation de la dette douanière comme fait générateur de l’obligation de recouvrement (I), avant d’examiner le rejet par la Cour des justifications avancées par l’État membre pour son inaction (II).

I. La constatation de la dette, fait générateur de l’obligation de recouvrement

La Cour établit que l’obligation de recouvrer les droits de douane naît dès leur constatation par l’autorité nationale (A), ce qui entraîne une exigibilité immédiate de la créance au profit du budget de l’Union (B).

A. La portée de l’inscription en comptabilité par l’autorité nationale

L’argument principal de l’État membre consistait à minimiser la portée de ses propres actes initiaux. Il soutenait que l’inscription en comptabilité de la dette douanière en 1997 n’était qu’une mesure conservatoire, fondée sur une simple présomption. La Cour écarte cette thèse en s’attachant à la matérialité des actes accomplis par l’administration nationale. Elle relève que « les autorités douanières italiennes ont procédé, le 30 juin 1997, à l’inscription de la dette douanière en cause en comptabilité séparée, ce qui implique que, à cette date, ces autorités avaient constaté cette dette après avoir décelé l’introduction irrégulière dans le territoire douanier de l’Union d’une marchandise passible de droits à l’importation, identifié le redevable et calculé le montant dû ».

En se fondant sur les règlements applicables, la Cour considère que l’acte d’inscription comptable n’est pas anodin mais constitue la formalisation de la « constatation » de la créance. Cette constatation suppose que l’autorité a réuni les éléments suffisants pour identifier la dette et le débiteur. Le fait que le montant ait été calculé par une méthode inductive et que l’identité de tous les co-débiteurs n’ait pas été établie est jugé sans pertinence, dès lors qu’un débiteur au moins a été identifié et notifié, et que ce dernier n’a pas contesté le montant réclamé. L’arrêt confirme ainsi qu’un État membre ne peut se dédire de ses propres constatations pour échapper à ses obligations envers l’Union.

B. L’exigibilité immédiate de la créance douanière

Une fois la dette constatée, la Cour rappelle avec force le principe de son exigibilité immédiate. L’obligation de mettre les ressources propres à la disposition de la Commission découle directement de cette constatation. L’arrêt se réfère aux dispositions du code des douanes alors en vigueur, notamment son article 7, qui prévoit que les décisions douanières sont « immédiatement exécutoires », et son article 232, qui impose aux autorités de faire usage de toutes les voies d’exécution en cas de non-paiement. Le raisonnement de la Cour est linéaire : la constatation de la dette enclenche une obligation d’agir.

La Cour souligne que l’introduction d’un recours par le débiteur n’est en principe pas suspensive. Or, en l’espèce, aucun recours n’avait été formé. L’inaction de l’État membre était donc d’autant moins justifiable. Cette position réaffirme que la procédure de recouvrement des ressources propres de l’Union est conçue pour être rapide et efficace, afin de garantir la stabilité et la prévisibilité du budget de l’Union. Tout atermoiement de la part d’un État membre est susceptible de constituer un manquement, sauf à démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles prévues par les textes.

La fermeté de cette position, qui lie la constatation formelle de la dette à son exigibilité immédiate, conduit logiquement la Cour à rejeter les motifs invoqués par l’État membre pour justifier son attentisme.

II. Le rejet des justifications de l’inaction de l’État membre

La Cour déconstruit méthodiquement la défense de l’État membre, en écartant d’une part l’argument d’un prétendu « préalable pénal » (A) et en confirmant d’autre part la responsabilité financière découlant directement du retard dans le recouvrement (B).

A. Le rejet du « préalable pénal » et l’autonomie de la procédure douanière

L’argument central de l’État mis en cause reposait sur l’idée qu’il était nécessaire d’attendre l’issue de la procédure pénale pour que la dette douanière soit certaine. La Cour rejette sans équivoque cette thèse du « préalable pénal ». Elle analyse la jurisprudence invoquée par l’État membre et démontre qu’elle est dénuée de pertinence. Elle rappelle que la procédure douanière, qui vise au recouvrement d’une créance fiscale, et la procédure pénale, qui a une finalité répressive, sont autonomes. L’une n’est pas subordonnée à l’autre.

La Cour affirme ainsi que « la procédure douanière n’est pas subordonnée au résultat d’une éventuelle procédure pénale, contrairement à ce que cherche à démontrer la République italienne ». Cette distinction est fondamentale. Elle signifie que les autorités douanières disposent de leurs propres prérogatives pour établir et recouvrer une dette, sans avoir à attendre qu’un juge pénal se prononce sur la culpabilité des personnes impliquées. Attendre six ans l’issue de la procédure pénale avant d’engager le recouvrement est donc une décision discrétionnaire de l’État, et non une obligation juridique. Cette décision emporte des conséquences.

B. La responsabilité financière de l’État membre comme conséquence du retard

Le retard dans le recouvrement ayant rendu celui-ci impossible, l’État membre invoquait l’article 17 du règlement n° 1150/2000 qui le dispense de mettre les fonds à disposition si l’irrécouvrabilité ne lui est pas imputable. La Cour balaie cet argument en jugeant que l’attentisme des autorités nationales est précisément la cause de l’irrécouvrabilité. En choisissant d’attendre, l’État « prenait ainsi le risque qu’il soit impossible de la recouvrer ». Ce risque s’étant réalisé, l’échec du recouvrement est directement imputable à l’État membre.

Par conséquent, celui-ci ne peut bénéficier de la dérogation et reste tenu de verser les droits de douane au budget de l’Union. De plus, la Cour confirme l’application automatique des intérêts de retard, conformément à une jurisprudence constante. Elle précise que « tout retard dans les inscriptions au compte […] donne lieu au paiement par l’État membre concerné d’intérêts », indépendamment de toute considération sur une éventuelle négligence de la Commission dans la phase précontentieuse. Cet arrêt a donc une portée pédagogique claire : il rappelle aux États membres qu’ils agissent en tant que percepteurs pour le compte de l’Union et que toute défaillance dans cette mission, résultant de leurs propres choix de procédure, engage leur responsabilité financière.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture