La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 juillet 2019, un arrêt fondamental concernant le prélèvement des ressources propres traditionnelles. Cette affaire traite de l’obligation pour les États membres de mettre à disposition de la Commission les montants des droits de douane légalement constatés. En 1997, les autorités douanières d’un État membre ont découvert un trafic de tabac à la suite de la saisie de plusieurs conteneurs. Elles ont alors procédé à l’inscription de la dette douanière en comptabilité séparée et ont notifié le montant au débiteur identifié. L’administration nationale a toutefois suspendu toute action de recouvrement effectif dans l’attente de l’issue définitive d’une procédure pénale pour contrebande. Le juge répressif a condamné l’un des responsables en 1999, mais le recouvrement forcé n’a été engagé qu’en 2003 après épuisement des recours. La Commission a engagé un recours en manquement car l’État considérait finalement la créance comme irrécouvrable en raison de ce retard excessif. Le litige porte sur l’articulation entre l’action administrative douanière et la recherche de la responsabilité pénale des auteurs de la fraude. La Cour devait déterminer si l’attente d’un jugement répressif constitue une raison non imputable exonérant l’État de son obligation financière. Elle juge que les autorités douanières doivent agir sans délai dès que les éléments de la dette et du débiteur sont connus. Le raisonnement s’articule autour de l’autonomie du recouvrement douanier (I) avant d’aborder la responsabilité financière de l’État membre (II).
**I. L’affirmation de l’autonomie de la procédure de recouvrement douanier**
**A. Le caractère immédiatement exécutoire des décisions douanières**
La Cour rappelle que les États membres doivent constater un droit sur les ressources propres dès que le montant est calculable et le redevable connu. En l’espèce, l’inscription de la dette en comptabilité séparée en juin 1997 prouve que les autorités disposaient déjà de tous les éléments nécessaires. L’article 7 du code des douanes dispose que « les décisions prises sont immédiatement exécutoires par les autorités douanières » nonobstant toute contestation ultérieure. L’administration ne peut donc pas arguer d’une simple estimation hypothétique pour justifier son inertie alors qu’elle a elle-même procédé à la liquidation. La notification de la dette au débiteur aurait dû être suivie de mesures d’exécution forcée en l’absence de paiement dans les délais légaux.
Le droit de l’Union impose une diligence stricte afin de garantir que les recettes douanières soient perçues de manière effective et intégrale. Toute absence de recours de la part du débiteur contre la notification initiale rend la créance certaine et liquide pour l’autorité administrative. La Cour souligne que les autorités nationales n’ont jamais rectifié le montant initial, confirmant ainsi la validité de la constatation effectuée dès l’origine. Le caractère exécutoire de la décision douanière constitue la pierre angulaire du système de financement de l’Union et ne tolère aucune suspension injustifiée.
**B. L’inexistence d’un préalable pénal en matière de ressources propres**
L’argumentation du défendeur reposait sur la nécessité d’attendre l’issue du procès pénal pour confirmer l’identité des fraudeurs et l’étendue de la fraude. La Cour rejette fermement cette thèse en précisant que la procédure douanière n’est pas subordonnée au résultat d’une éventuelle action répressive. Elle considère que « la procédure douanière n’est pas subordonnée au résultat d’une éventuelle procédure pénale » car les deux actions poursuivent des buts différents. La sanction pénale a une fonction punitive tandis que la procédure administrative vise uniquement le recouvrement de droits légalement dus.
Attendre une décision ayant force de chose jugée pendant plusieurs années expose le budget de l’Union à un risque majeur d’insolvabilité des débiteurs. Les éléments constitutifs d’une infraction pénale ne correspondent pas nécessairement aux critères de naissance d’une dette douanière au sens du code. L’administration dispose de prérogatives propres pour identifier les personnes ayant participé à l’introduction irrégulière de marchandises sans dépendre des constatations d’un juge. Cette indépendance procédurale garantit la célérité nécessaire à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne face aux circuits de contrebande.
**II. La sanction de la négligence de l’État dans la gestion des ressources propres**
**A. L’imputabilité de l’impossibilité de recouvrement à l’autorité nationale**
Un État membre n’est dispensé de verser les ressources que si le recouvrement est impossible pour force majeure ou raisons non imputables. En l’occurrence, le délai de six ans entre la constatation et l’engagement des poursuites effectives est jugé excessif par les magistrats européens. Ce retard est directement imputable au choix délibéré de l’administration nationale d’attendre la clôture du volet pénal avant d’agir. L’impossibilité finale de recouvrer les sommes ne peut donc pas être qualifiée de motif extérieur exonérant le pays de sa responsabilité financière.
La Cour affirme qu’un État qui s’abstient de mettre les montants à disposition sans remplir les conditions d’exonération manque à ses obligations fondamentales. La diligence requise impose d’utiliser toutes les possibilités offertes par le droit interne, y compris l’exécution forcée immédiate après notification. En prenant le risque d’une prescription ou d’une disparition des actifs du débiteur, l’État assume la charge financière de la perte constatée. La responsabilité de l’autorité nationale est engagée dès lors que son inaction a compromis les chances réelles de perception des droits.
**B. L’automaticité de l’obligation de verser des intérêts de retard**
Tout retard dans la mise à disposition des ressources propres donne lieu au paiement d’intérêts, indépendamment des raisons ayant causé ce délai. La jurisprudence établit un lien indissociable entre l’obligation de constatation et celle de verser des intérêts moratoires pour compenser le préjudice budgétaire. Ces intérêts sont dus « indépendamment de la raison du retard » et visent à décourager toute lenteur administrative dans le transfert des fonds. L’État membre ne peut invoquer un prétendu manque de diligence de la Commission pour réduire le montant des intérêts accumulés.
Le versement des sommes sous réserve permettait à l’État d’arrêter le cours des intérêts tout en continuant de contester le bien-fondé du manquement. Le système des ressources propres repose sur une confiance mutuelle et une rigueur comptable qui ne souffrent aucune exception pour des motifs d’équité. La condamnation aux intérêts de retard assure ainsi la neutralité financière de l’opération pour le budget de l’Union malgré les défaillances nationales. La Cour confirme que la protection des finances communes exige une application stricte et quasi-automatique des règles de mise à disposition.