La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 juillet 2024, une décision fondamentale concernant le régime de taxe sur la valeur ajoutée des groupements fiscaux. Une fondation de droit public, gérant une université et un département médical, était liée à une société lui fournissant divers services de nettoyage et de transport. Cette fondation exerçait à la fois des activités économiques soumises à la taxe et des missions de puissance publique exclues du champ d’application de celle-ci. L’administration fiscale allemande a considéré que les services fournis par la filiale au profit des activités non assujetties de la fondation devaient être imposés comme des prestations gratuites.
Le tribunal des finances a annulé ce redressement en estimant que l’unité fiscale couvrait l’intégralité des activités de l’organe faîtier, sans distinction entre ses secteurs. La Cour fédérale des finances d’Allemagne, saisie du litige en dernier ressort, a sollicité l’interprétation des juges européens sur la validité de cette absence de taxation. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la nécessité d’imposer les prestations internes lorsqu’un risque de perte fiscale existe du fait de l’absence de droit à déduction du bénéficiaire. La Cour affirme que les prestations effectuées à titre onéreux entre les membres d’un même groupement TVA ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.
I. L’unicité de l’assujetti excluant la qualification de prestation de services
A. La perte de l’indépendance fiscale des membres du groupe
L’article 4 de la sixième directive permet aux États membres de considérer plusieurs personnes indépendantes comme « un seul assujetti » si elles sont étroitement liées entre elles. La Cour souligne que cette faculté implique nécessairement que les entités subordonnées perdent leur statut d’assujetti distinct au profit de l’entité globale ou de l’organe faîtier. Dès lors, le prestataire appartenant à un tel groupement ne peut plus agir de manière indépendante au sens de la réglementation fiscale lorsqu’il sert ses membres. L’application de ce régime « exclut que les membres du groupement TVA continuent à être identifiés, dans et hors de leur groupe, comme des assujettis » individuels. La reconnaissance d’une identité fiscale unique pour le groupe fait disparaître la pluralité d’opérateurs nécessaire à la caractérisation d’un échange taxable au titre du droit commun.
B. L’inexistence des opérations internes au regard de la taxe
Pour qu’une prestation de services entre dans le champ d’application de la taxe, il doit exister un rapport juridique entre deux personnes distinctes échangeant des prestations. La Cour rappelle que les opérations internes à une entité unique ne répondent pas à cette définition car le risque économique est supporté par le groupement global. Elle précise que les opérations entre les membres d’un même groupement effectuées à titre onéreux « n’existent pas aux fins de la TVA » selon une interprétation constante. Le caractère interne de la transaction rend l’opération transparente, empêchant ainsi la naissance d’une dette fiscale ou d’une obligation de facturation entre les composantes de l’entité. Cette fiction juridique de l’assujetti unique transforme des échanges commerciaux réels en simples mouvements internes dépourvus de conséquences fiscales immédiates entre les parties.
II. L’indifférence des capacités de déduction et des risques budgétaires
A. La neutralité du droit à déduction du bénéficiaire de la prestation
La juridiction nationale s’interrogeait sur l’éventuelle taxation des services fournis à un membre ne disposant pas d’un droit à déduction intégrale pour ses propres activités. La Cour rejette fermement cette distinction en affirmant que l’impossibilité de déduire la taxe en amont n’influence pas la qualification de l’opération entre membres. Au sein d’un groupement fiscal, le droit à déduction de la taxe due ou acquittée en amont est « conféré au groupement lui-même, et non pas à ses membres ». Il est donc logique que l’utilisation finale des services par l’un des membres ne modifie pas le régime d’exonération de l’échange initial au sein du groupe. La structure même de l’assujetti unique impose un traitement uniforme des flux internes, indépendamment de la qualité de consommateur final de l’un des participants.
B. Le rejet du risque de perte fiscale comme critère d’imposition
L’administration craignait qu’une absence de taxation n’entraîne des pertes de recettes publiques lorsque le bénéficiaire final exerce des missions de puissance publique non taxées. Les juges précisent que le « risque de pertes fiscales » mentionné dans la jurisprudence antérieure ne concernait que la désignation de l’organe faîtier comme représentant unique. Ce risque ne peut fonder une exception au principe d’unicité de l’assujetti pour soumettre des prestations internes à une taxe qu’elles ne devraient pas supporter. Les règles relatives à la déduction et au champ d’application de la taxe doivent être interprétées de manière strictement objective selon le système commun européen. La Cour conclut que les services internes restent non imposables « même dans le cas où la TVA due ou acquittée par le bénéficiaire ne peut pas faire l’objet d’une déduction ».