La Cour de justice de l’Union européenne se prononce ici sur l’étendue des obligations découlant de la directive 98/59/CE relative aux licenciements collectifs. En l’espèce, la cessation d’un ensemble de contrats de travail est intervenue à la suite de la décision d’un employeur de prendre sa retraite. Une réglementation nationale excluait une telle situation de la qualification de licenciement collectif, privant ainsi les travailleurs concernés des garanties d’information et de consultation prévues par le droit de l’Union. Saisie d’un litige entre les salariés et leur ancien employeur, une juridiction nationale a adressé à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si la cessation de contrats de travail consécutive au départ à la retraite de l’employeur devait être qualifiée de « licenciement collectif » au sens de la directive. D’autre part, il était demandé à la Cour si, en cas de contrariété entre la réglementation nationale et la directive, le juge national était tenu de laisser cette réglementation inappliquée dans un litige entre particuliers. La Cour de justice répond que la qualification de licenciement collectif s’impose, indépendamment du motif lié à la personne de l’employeur. Elle précise cependant que la directive ne peut, dans un tel contexte, conduire à écarter l’application de la loi nationale. La Cour adopte ainsi une interprétation large de la notion de licenciement collectif (I), tout en rappelant les limites de l’effet d’une directive dans un litige entre particuliers (II).
I. L’interprétation extensive de la notion de licenciement collectif au service de l’effet utile de la directive
La Cour de justice consacre une lecture finaliste de la directive, en se détachant du motif de la rupture pour se concentrer sur ses effets (A), ce qui a pour conséquence de renforcer les droits procéduraux des travailleurs (B).
A. L’indifférence du motif de la cessation du contrat de travail
La Cour de justice affirme que la protection instituée par la directive ne saurait dépendre de la nature de l’événement à l’origine de la fin des contrats. En jugeant que la directive « s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle la cessation des contrats de travail […] en raison du départ à la retraite de l’employeur, n’est pas qualifiée de “licenciement collectif” », la Cour privilégie une définition autonome et matérielle du licenciement. Peu importe que la cessation des activités de l’entreprise découle d’une décision de gestion économique ou d’un fait personnel à l’employeur. Ce qui est déterminant, c’est que la rupture n’est pas imputable à la personne du travailleur et qu’elle produit les mêmes conséquences sociales qu’un licenciement pour motif économique classique.
Cette interprétation s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à assurer l’effet utile des directives en matière sociale. En refusant de créer une exception non prévue par le texte, la Cour prévient tout contournement des obligations patronales. La finalité de la directive étant d’anticiper et d’atténuer les conséquences des restructurations sur l’emploi, il serait illogique de subordonner son application aux raisons, parfois contingentes, qui animent l’employeur. La solution garantit ainsi une application uniforme du droit de l’Union, prévenant la création de brèches dans le socle de protection des travailleurs. Cette approche finaliste conduit logiquement à un renforcement des garanties procédurales offertes aux travailleurs.
B. Le renforcement conséquent des garanties procédurales des travailleurs
En qualifiant la situation de licenciement collectif, la Cour de justice déclenche automatiquement l’application des mécanismes prévus par la directive. La décision précise que cette qualification « donne donc lieu à l’information et à la consultation des représentants des travailleurs prévues à cet article 2 ». Cette conséquence est au cœur du dispositif de protection, car elle permet d’ouvrir un dialogue social en amont des cessations de contrats. L’information et la consultation visent à explorer les possibilités d’éviter ou de réduire le nombre de licenciements, ainsi qu’à en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement.
La valeur de cette solution réside dans son caractère préventif. Elle rappelle aux États membres qu’ils ne disposent que d’une marge de manœuvre limitée dans la transposition des directives et ne peuvent en restreindre la portée par des qualifications juridiques internes. La portée de l’arrêt est donc considérable pour toutes les situations où la cessation d’activité d’une entreprise pourrait être exclue du champ des licenciements collectifs pour des motifs étrangers à la logique économique. Cependant, si la Cour de justice étend le champ d’application matériel de la directive, elle en limite rigoureusement la portée dans les litiges horizontaux.
II. Le rappel orthodoxe de l’absence d’effet direct horizontal de la directive
La Cour réaffirme une solution classique du droit de l’Union en niant la possibilité pour un particulier d’invoquer une directive à l’encontre d’un autre particulier pour écarter une loi nationale (A). Cette position renvoie alors le justiciable vers d’autres mécanismes juridiques pour assurer le respect de ses droits (B).
A. L’impossibilité pour le juge national d’écarter la loi contraire à la directive
La seconde partie du dispositif de l’arrêt est sans équivoque. La Cour juge que le droit de l’Union « n’impose pas à une juridiction nationale saisie d’un litige entre particuliers de laisser une réglementation nationale […] inappliquée ». Ce faisant, elle confirme sa jurisprudence constante depuis l’arrêt Marshall, selon laquelle une directive, n’ayant pas par nature pour destinataires les particuliers, ne peut créer d’obligations dans leur chef. Une directive ne peut donc être invoquée en tant que telle dans un litige horizontal pour écarter une norme nationale non conforme. Cette solution vise à préserver la sécurité juridique et la répartition des compétences entre l’Union et les États membres.
Cette position, bien que rigoureuse, est juridiquement fondée sur la nature même de la directive, qui lie les États membres quant au résultat à atteindre, mais leur laisse le choix des moyens. L’absence d’effet direct horizontal constitue la contrepartie de cette liberté. Laisser le juge écarter la loi nationale reviendrait à faire produire à la directive des effets équivalents à ceux d’un règlement dans les relations entre personnes privées. Face à cette impossibilité, qui pourrait sembler priver la solution de tout effet pratique pour les justiciables, le droit de l’Union offre néanmoins des voies alternatives.
B. Le renvoi aux mécanismes de l’interprétation conforme et de la responsabilité de l’État
Bien que le juge national ne puisse écarter la loi, il n’est pas pour autant dépourvu de moyens pour assurer la primauté du droit de l’Union. D’une part, il est tenu par une obligation d’interprétation conforme, qui lui impose de lire et d’appliquer le droit national à la lumière du texte et de la finalité de la directive. Dans la mesure du possible, il doit donc interpréter les dispositions de sa législation de manière à parvenir à un résultat compatible avec les objectifs de la directive 98/59. Cette technique permet souvent de neutraliser en pratique la contrariété de la norme interne.
D’autre part, si l’interprétation conforme s’avère impossible, la voie de la responsabilité de l’État reste ouverte. Les justiciables lésés par la non-conformité du droit national à une directive peuvent engager une action en réparation contre l’État membre défaillant. Cette jurisprudence, initiée par l’arrêt Francovich, garantit une protection par équivalent lorsque la protection directe fait défaut. L’arrêt commenté, en combinant une interprétation large des droits des travailleurs avec un rappel strict des limites de l’effet direct, illustre parfaitement la cohérence du système juridique de l’Union, qui articule différentes techniques pour garantir l’effectivité de ses normes.