Par un arrêt en date du 11 juin 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à interpréter plusieurs dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. La question portait sur la détermination de la base d’imposition à la TVA pour une prestation de services lorsque des taxes, non soumises à la TVA lors de leur perception initiale, sont refacturées à l’euro près par un assujetti à son client.
En l’espèce, une société concessionnaire exclusive d’un réseau de distribution de gaz naturel devait s’acquitter de taxes auprès de plusieurs communes en contrepartie du droit d’occuper le sous-sol de leur domaine public avec ses canalisations. Conformément à son contrat de concession, cette société refacturait intégralement les montants de ces taxes à la société chargée de la commercialisation du gaz. Cette dernière les répercutait ensuite sur les consommateurs finaux. L’administration fiscale portugaise ayant exigé que la TVA soit appliquée sur les montants de ces taxes refacturées, la société concessionnaire s’est exécutée puis a contesté cette imposition. Après le rejet de ses réclamations, elle a saisi le tribunal arbitral compétent, lequel a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité de cette pratique avec le droit de l’Union.
Le problème de droit soulevé consistait à déterminer si des taxes d’occupation du domaine public, acquittées par un opérateur économique auprès d’autorités publiques et par la suite intégralement répercutées sur son client, doivent être incluses dans la base d’imposition à la TVA de la prestation de services fournie par cet opérateur.
La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que ces montants font partie intégrante de la contrepartie de la prestation de services. Elle estime que le montant des taxes, bien que facturé distinctement, constitue un élément du coût de l’opération principale et doit, à ce titre, être soumis à la TVA en application de l’article 73 de la directive. La solution de la Cour repose ainsi sur une qualification précise de la somme refacturée, la définissant non comme une taxe autonome mais comme une composante du prix de la prestation (I), ce qui conduit à une application stricte des principes gouvernant le système de la TVA (II).
I. La qualification de la refacturation en tant qu’élément de la contrepartie
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse de la nature des sommes répercutées, écartant la qualification de simples débours (A) pour les intégrer pleinement dans la notion de contrepartie de la prestation de services taxable (B).
A. L’exclusion du mécanisme des débours
La société requérante soutenait que la répercussion des taxes devait échapper à la TVA, s’agissant d’une simple avance de frais. Pour qu’un montant soit considéré comme un remboursement de frais exposés au nom et pour le compte d’un client, et ainsi exclu de la base d’imposition en vertu de l’article 79, premier alinéa, sous c), de la directive TVA, il doit être engagé pour le compte direct du preneur de services. Or, en l’espèce, la Cour constate que les taxes d’occupation du sous-sol sont dues par la société concessionnaire en son nom propre, en raison de l’exploitation de son réseau. Elles ne sont pas acquittées pour le compte de la société de commercialisation. La Cour relève que ces frais sont « supporté[s] par [la société concessionnaire] pour les besoins de son activité ». Par conséquent, la refacturation de ces coûts ne peut être analysée comme le remboursement de débours.
Cette exclusion conduit logiquement la Cour à examiner la nature de la somme dans le cadre de l’opération principale. Le raisonnement de la Cour est constant sur ce point : seules les dépenses engagées au nom et pour le compte du client peuvent être traitées comme des débours, ce qui suppose que le client soit le débiteur légal de la somme. Tel n’étant pas le cas, la Cour se tourne vers la définition générale de la base d’imposition.
B. L’intégration du coût dans la prestation de services principale
La Cour s’appuie sur l’article 73 de la directive TVA, qui définit la base d’imposition comme « tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur ». Cette notion large de contrepartie englobe tous les frais supportés par le prestataire pour réaliser son service et qu’il répercute sur son client. En l’occurrence, le paiement des taxes d’occupation du sous-sol constitue un coût inhérent à l’activité de distribution de gaz. Le fait que ce coût soit imposé par une autorité publique et corresponde à un montant fixe ne change pas sa nature économique dans la relation entre les deux sociétés.
La Cour précise que le montant de ces taxes constitue un « élément de la contrepartie obtenue » par la société concessionnaire. Peu importe que ce montant soit identifié de manière distincte sur la facture. La Cour souligne que la circonstance que « le montant des [taxes] fasse l’objet d’une rubrique séparée dans la facture émise […] est, à cet égard, sans incidence ». Ainsi, la somme refacturée est un des composants du prix total du service fourni, et doit donc être incluse dans la base d’imposition à la TVA de ce service.
En intégrant ainsi le montant des taxes dans la base d’imposition, la Cour clarifie la distinction entre une taxe grevant une opération et un élément du coût d’une prestation, ce qui l’amène à préciser la portée de certains principes fondamentaux de la TVA.
II. La portée de la solution au regard des principes de la TVA
La décision de la Cour réaffirme une interprétation stricte de la notion de lien direct en matière de taxes accessoires (A) et confirme les limites du principe de neutralité fiscale lorsque les opérateurs et les opérations ne sont pas de même nature (B).
A. La distinction entre la taxe accessoire et le coût de l’opération
L’article 78, premier alinéa, sous a), de la directive TVA dispose que les impôts et taxes sont à comprendre dans la base d’imposition, à l’exception de la TVA elle-même. Toutefois, la jurisprudence exige pour cela un « lien direct » entre la taxe et la livraison de biens ou la prestation de services, ce qui implique une coïncidence entre leurs faits générateurs. Dans la présente affaire, la Cour observe que les taxes d’occupation du sous-sol sont payées par la société concessionnaire « préalablement à l’opération soumise à la TVA […] et indépendamment de cette opération ». Le fait générateur de ces taxes est l’occupation du domaine public, non la prestation de services de mise à disposition du réseau.
Par conséquent, ces taxes ne peuvent être considérées comme des taxes à inclure dans la base d’imposition au titre de l’article 78. C’est en tant que composante du coût, et donc de la contrepartie définie à l’article 73, que leur montant doit être taxé. Cette distinction est fondamentale : la Cour ne soumet pas la taxe elle-même à la TVA, mais elle soumet la valeur totale de la prestation de services, laquelle inclut le coût que représente cette taxe pour le prestataire.
Cette analyse renforce la cohérence du système de la TVA et permet à la Cour de répondre à l’argument fondé sur la neutralité fiscale.
B. Le rejet d’une conception extensive du principe de neutralité fiscale
La société requérante avançait que la neutralité fiscale commandait de traiter la dépense refacturée de la même manière que la dépense initiale. Puisque les communes percevaient les taxes en dehors du champ de la TVA, en agissant en tant qu’autorités publiques (conformément à l’article 13 de la directive), la simple répercussion de ces taxes ne devrait pas non plus être soumise à la TVA. La Cour rejette cet argument en rappelant que le principe de neutralité s’oppose à ce que des prestations de services semblables et concurrentes soient traitées différemment.
Or, les situations ne sont pas semblables. D’une part, les communes agissent en tant qu’organismes de droit public et ne sont pas considérées comme des assujettis pour cette activité. D’autre part, la société concessionnaire est un assujetti qui exerce une activité économique au sens de l’article 9 de la directive. La perception d’une taxe par une autorité publique et la fourniture d’un service par une entreprise privée « ne constituent pas des ‘opérations semblables’ ». La différence de statut des opérateurs et de nature des opérations justifie une différence de traitement fiscal. Le principe de neutralité ne saurait donc faire obstacle à l’imposition de la contrepartie d’une prestation de services, même si l’un de ses éléments de coût était initialement hors du champ de la TVA.