Par un arrêt significatif, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les conditions dans lesquelles un État membre peut refuser d’accorder un délai de départ volontaire à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier. En l’espèce, un individu faisant l’objet d’une mesure d’éloignement s’est vu refuser un tel délai au motif qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction pénale. Cette décision administrative, prise sur le fondement d’une pratique nationale, assimilait la simple suspicion d’une infraction à un « danger pour l’ordre public » au sens de la directive 2008/115/CE. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour de justice était donc amenée à déterminer si une telle assimilation automatique était compatible avec le droit de l’Union. Plus précisément, il s’agissait de savoir si la notion de « danger pour l’ordre public », qui justifie une dérogation au principe du départ volontaire, pouvait être déduite du seul fait qu’un ressortissant d’un pays tiers est soupçonné d’avoir commis une infraction ou a été condamné pénalement. La Cour y répond par la négative, en affirmant que l’article 7, paragraphe 4, de la directive « s’oppose à une pratique nationale selon laquelle un ressortissant d’un pays tiers, qui séjourne irrégulièrement sur le territoire d’un État membre, est réputé constituer un danger pour l’ordre public au sens de cette disposition, au seul motif que ce ressortissant est soupçonné d’avoir commis un acte punissable ». La Cour établit ainsi un principe clair refusant toute automaticité (I), avant de définir les modalités concrètes de l’appréciation individuelle que doivent mener les États membres (II).
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I. Le rejet d’une présomption de dangerosité pour l’ordre public
La Cour de justice consacre une interprétation stricte de la notion de danger pour l’ordre public (A), ce qui la conduit logiquement à invalider la pratique nationale qui instaurait une présomption irréfragable de dangerosité (B).
A. L’interprétation stricte de la notion de « danger pour l’ordre public »
La directive 2008/115/CE établit le départ volontaire comme la règle de principe dans le cadre de l’exécution d’une décision de retour. La possibilité pour un État membre de s’abstenir d’accorder un tel délai, notamment lorsqu’il existe un « danger pour l’ordre public », constitue une exception. Conformément à une jurisprudence constante, les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. C’est dans ce cadre que la Cour de justice refuse qu’une simple suspicion ou une condamnation pénale puisse, à elle seule, suffire à caractériser un tel danger.
En jugeant que la directive « s’oppose à une pratique nationale » qui se fonderait « au seul motif que ce ressortissant est soupçonné d’avoir commis un acte punissable », la Cour autonomise la notion de « danger pour l’ordre public » du droit pénal national. L’existence d’une procédure pénale ou d’une condamnation est un élément pertinent, mais il ne saurait être déterminant à lui seul. La Cour rappelle ainsi que l’ordre public, dans le contexte du droit de l’Union relatif à l’immigration, ne se confond pas avec la simple sanction de comportements délictueux. Il implique une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. Une telle approche est seule à même de garantir l’effet utile de la directive, qui vise à privilégier le départ volontaire sur le retour forcé.
B. La condamnation d’une pratique nationale automatique
En conséquence de cette interprétation stricte, la Cour censure la pratique consistant à déduire automatiquement l’existence d’un danger pour l’ordre public de la situation pénale de l’intéressé. Une telle pratique instaure une présomption de dangerosité qui prive l’autorité nationale de toute marge d’appréciation et contrevient au principe de proportionnalité. Le caractère systématique de la mesure empêche en effet tout examen des circonstances propres à chaque cas.
La décision de priver un individu du bénéfice d’un départ volontaire a des conséquences importantes, notamment en ce qu’elle peut s’accompagner d’une interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union. Une telle décision ne peut donc reposer sur une simple qualification juridique abstraite. En exigeant une analyse concrète et individualisée, la Cour de justice garantit que la restriction apportée à un droit accordé par la directive est justifiée et nécessaire au regard de la situation personnelle du ressortissant concerné. La condamnation de l’automatisme réaffirme la primauté de l’examen au cas par cas, principe cardinal du droit des étrangers.
Après avoir posé l’interdiction d’une qualification automatique, la Cour de justice fournit aux juridictions nationales une grille d’analyse destinée à guider leur appréciation.
II. L’encadrement de l’appréciation au cas par cas par les autorités nationales
La Cour ne se contente pas de censurer ; elle fournit également les critères que l’autorité nationale doit prendre en compte dans son évaluation individualisée (A). Elle précise en outre le cadre procédural de cette appréciation, en veillant à l’articuler avec le respect des droits fondamentaux (B).
A. Les critères d’une évaluation individualisée
La Cour de justice énumère plusieurs éléments qui « peuvent être pertinents » dans l’appréciation du danger pour l’ordre public. Il s’agit notamment de « la nature et la gravité de cet acte, le temps écoulé depuis sa commission ». Ces critères classiques permettent d’évaluer si le comportement passé de l’individu constitue toujours une menace actuelle pour la société. Un délit mineur ou ancien ne saurait avoir le même poids qu’une infraction grave et récente.
De manière plus originale, la Cour ajoute « la circonstance que ce ressortissant était en train de quitter le territoire de cet État membre quand il a été interpellé ». Cet élément suggère qu’un individu qui manifeste une intention de se conformer à l’obligation de quitter le territoire pourrait, paradoxalement, être considéré comme présentant un danger moindre. Enfin, la Cour introduit une garantie essentielle en précisant que « tout élément qui a trait à la fiabilité du soupçon du délit ou crime reproché » est également pertinent. L’autorité administrative ne peut donc se fonder sur des allégations non étayées et doit, d’une certaine manière, procéder à une évaluation prima facie de la solidité des accusations pesant sur l’individu.
B. La garantie procédurale et le respect des droits fondamentaux
La Cour précise que le recours au refus du délai de départ volontaire « ne nécessite pas un nouvel examen des éléments qui ont déjà été examinés pour constater l’existence de ce danger ». Cette précision vise à éviter une redondance procédurale : une fois le danger pour l’ordre public caractérisé sur la base d’un examen individualisé, l’administration n’a pas à se justifier une seconde fois pour refuser le départ volontaire. La constatation du danger emporte la justification de la dérogation.
Cependant, et c’est un point capital, la Cour tempère immédiatement cette souplesse procédurale par une exigence fondamentale. Toute pratique en la matière « doit cependant garantir qu’il soit vérifié au cas par cas si l’absence d’un délai de départ volontaire est compatible avec les droits fondamentaux de ce ressortissant ». Cette réserve finale rappelle que même lorsqu’un danger pour l’ordre public est légalement constitué, la décision administrative reste soumise à un contrôle de proportionnalité au regard des droits fondamentaux, tels que le droit à la vie familiale ou l’intérêt supérieur de l’enfant. L’appréciation ne s’arrête donc pas à la seule question de l’ordre public, mais doit intégrer une balance des intérêts en présence, garantissant ainsi la primauté de la protection de la personne humaine.