Par cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne clarifie les règles de classement tarifaire d’un produit multifonctionnel au sein de la nomenclature combinée. Une société importatrice a introduit en Allemagne des liseuses pour livres électroniques, appareils qui, outre leur capacité de lecture, possédaient une option d’émission vocale et une fonction de dictionnaire. Les autorités douanières ont initialement classé ces produits dans la sous-position 8543 70 90, soumise à un droit de douane. La société a contesté ce classement, obtenant temporairement une classification sous la sous-position 8543 70 10, exempte de droits. Saisie d’une demande de renseignement tarifaire contraignant, l’administration a toutefois confirmé sa position initiale. La société a alors saisi le tribunal des finances de Hambourg, qui lui a donné raison. L’administration douanière s’est pourvue en cassation devant la Cour fédérale des finances, laquelle a sursis à statuer pour interroger la Cour de justice.
La question posée à la Cour était de savoir si un appareil électronique dont la fonction principale est la lecture, mais qui inclut une fonction accessoire de traduction ou de dictionnaire, doit être classé sous la sous-position spécifique à cette dernière fonction ou sous une sous-position résiduelle. En d’autres termes, une fonction accessoire peut-elle déterminer le classement tarifaire d’un produit composite lorsque sa fonction principale ne correspond à aucune position spécifique ?
À cette question, la Cour de justice répond que la nomenclature combinée « doit être interprétée en ce sens qu’une liseuse pour livres électroniques dotée d’une fonction de traduction ou de dictionnaire doit être classée, lorsque cette fonction ne constitue pas sa fonction principale, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, dans la sous-position 8543 70 90 et non dans la sous-position 8543 70 10 ». Cette solution, qui réaffirme la prééminence de la fonction principale, consacre par voie de conséquence le rôle des catégories résiduelles dans l’architecture de la nomenclature douanière.
I. La réaffirmation de la fonction principale comme critère de classement
La Cour de justice fonde son raisonnement sur une hiérarchie claire des critères de classement, écartant une approche fondée sur une fonction secondaire (A) pour consacrer une méthode d’analyse fonctionnelle et objective (B).
A. Le rejet du classement par une fonction accessoire
Le litige portait sur l’attrait d’une sous-position spécifique, la 8543 70 10, qui vise les « machines et appareils électriques avec fonctions de traduction ou de dictionnaire » et offre une exemption de droits. L’opérateur économique soutenait que la présence d’un dictionnaire sur la liseuse justifiait son classement dans cette catégorie. La Cour écarte cette analyse en s’appuyant sur les règles générales d’interprétation de la nomenclature. Elle rappelle que « le classement tarifaire d’un produit doit être opéré en tenant compte de la fonction principale de celui-ci ».
En application de ce principe, une fonction, même si elle correspond précisément au libellé d’une sous-position, ne peut déterminer le classement de l’ensemble si elle n’est qu’accessoire. La Cour refuse ainsi qu’un appareil soit « attiré » par une classification avantageuse en raison d’une de ses caractéristiques secondaires. Le fait que la fonction principale de lecture ne soit décrite par aucune sous-position spécifique n’y change rien, car cela ne saurait justifier un classement fondé sur une fonction mineure.
B. La consécration d’une approche fonctionnelle et objective
Pour déterminer la fonction principale, la Cour rappelle sa jurisprudence constante. Le critère décisif doit être recherché dans « leurs caractéristiques et propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la nc et des notes de sections ou de chapitres ». Ce faisant, elle ancre l’analyse dans des éléments matériels et vérifiables, évitant une appréciation subjective. La nature de l’appareil, sa conception et son usage prévu sont donc au cœur du raisonnement.
La Cour ajoute un critère complémentaire essentiel, celui de la perception du consommateur, en soulignant qu’il est nécessaire de prendre en considération ce qui est « principal ou accessoire aux yeux du consommateur ». Dans le cas d’une liseuse, il est évident que l’utilisateur l’acquiert pour lire des livres numériques, la fonction de dictionnaire n’étant qu’un complément utile mais non déterminant de son choix. Cette approche pragmatique renforce la logique selon laquelle l’usage principal doit dicter la classification, assurant ainsi une application cohérente du tarif douanier.
II. La valorisation du rôle des catégories tarifaires résiduelles
La décision de la Cour a pour conséquence de clarifier le statut des sous-positions résiduelles, affirmant leur caractère nécessaire et non purement subsidiaire (A), ce qui emporte des conséquences pratiques et économiques importantes (B).
A. La nature nécessaire de la sous-position résiduelle
La juridiction de renvoi estimait que la sous-position 8543 70 90, en tant que position « autres », ne constituait qu’une catégorie résiduelle ne pouvant être appliquée qu’en l’absence de toute autre possibilité. La Cour de justice corrige cette perception. Elle juge explicitement que, « en l’absence, dans la nc, de sous-position correspondant à la fonction principale d’un produit, il convient de classer ce dernier dans une sous-position résiduelle ».
Cette affirmation confère aux positions résiduelles un rôle fondamental dans le système de la nomenclature. Elles ne sont pas un simple filet de sécurité pour les cas insolubles, mais la destination correcte et légale pour tout produit dont la fonction principale, bien qu’identifiée, ne fait l’objet d’aucune description spécifique. Cette solution garantit l’exhaustivité de la nomenclature et empêche les opérateurs de procéder à des classements forcés dans des catégories inadaptées, simplement parce qu’elles sont plus spécifiques qu’une position résiduelle.
B. Les implications pratiques et économiques de la solution
La portée de cet arrêt est significative pour la sécurité juridique. Il établit une méthode claire pour les importateurs et les autorités douanières confrontés à des appareils multifonctionnels de plus en plus courants. En liant le classement à la fonction qui motive l’achat du consommateur, la Cour prévient les stratégies de « détournement tarifaire » qui consisteraient à intégrer une fonction mineure dans un produit pour bénéficier d’un régime de droits plus favorable.
Enfin, en précisant qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier si la fonction de traduction ou de dictionnaire constitue ou non la fonction principale, la Cour respecte scrupuleusement la répartition des compétences dans le cadre du renvoi préjudiciel. Elle fournit l’interprétation du droit de l’Union, mais laisse au juge national le soin d’appliquer ce critère aux faits précis de l’espèce. Cette démarche assure une application uniforme du droit tout en préservant le pouvoir d’appréciation du juge du fond quant aux éléments factuels.