La première chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 juin 2020, une décision fondamentale concernant l’interprétation des normes pénales communes sur le trafic de drogue. Ce renvoi préjudiciel interroge la conformité d’une législation nationale laissant au juge le soin de définir la gravité d’une infraction sans critères législatifs préalablement fixés par le texte.
Un individu fut poursuivi devant le Sąd Rejonowy w Słupsku pour la détention d’une quantité importante de produits stupéfiants, bien que ces substances fussent destinées à son usage personnel. La juridiction polonaise a sursis à statuer afin de demander si l’imprécision du concept de quantité importante portait atteinte aux principes d’égalité et de légalité des délits. Le juge national souhaitait savoir si le droit de l’Union autorise une interprétation casuistique d’un élément constitutif de l’infraction par les tribunaux plutôt que par la loi écrite.
La Cour de justice répond que les dispositions européennes « ne s’opposent pas à ce qu’un État membre qualifie d’infraction pénale la détention d’une quantité importante de produits stupéfiants ». Elle précise toutefois que cette interprétation judiciaire doit demeurer raisonnablement prévisible pour le justiciable afin de respecter les exigences de la Charte des droits fondamentaux.
**I. L’autonomie des États membres dans la mise en œuvre d’une harmonisation minimale**
**A. L’extension du champ répressif national aux comportements de consommation personnelle**
La décision-cadre de 2004 définit des règles minimales relatives aux infractions de trafic de drogue afin d’instaurer une approche commune dans la lutte contre ce fléau. La Cour rappelle cependant que l’article 2 de ce texte exclut les comportements liés exclusivement à la consommation personnelle telle que définie par chaque législation nationale. Par conséquent, les autorités nationales demeurent libres de traiter la détention de substances à des fins personnelles comme une infraction aggravée sans méconnaître les objectifs européens. Cette faculté de criminalisation étendue démontre la volonté de l’Union de laisser aux États la gestion des politiques de santé publique et de sécurité intérieure les plus sensibles.
**B. La marge d’appréciation technique concernant la définition des quantités de stupéfiants**
L’article 4 de la décision-cadre impose des sanctions plus lourdes lorsque « l’infraction porte sur de grandes quantités de drogue » sans toutefois préciser les seuils numériques applicables. Le texte européen constitue uniquement un instrument d’harmonisation minimale, laissant ainsi une large marge d’appréciation aux instances nationales quant à la forme et aux moyens. Cette souplesse permet d’adapter la réponse pénale aux spécificités locales du marché des stupéfiants sans imposer de critères mathématiques rigides qui pourraient rapidement devenir obsolètes. La délégation du pouvoir de définition au juge national constitue donc une modalité valide de mise en œuvre des objectifs de résultats fixés par l’Union européenne.
**II. La validation conditionnelle de l’interprétation judiciaire au regard des droits fondamentaux**
**A. La compatibilité de la méthode casuistique avec le principe d’égalité devant la loi**
Le juge de Luxembourg souligne que le bénéfice d’une marge d’appréciation par les tribunaux ne constitue pas, en soi, une violation des principes de non-discrimination. Les articles 20 et 21 de la Charte exigent simplement que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente sans qu’une justification objective soit apportée. Ainsi, l’existence de disparités entre les États membres ou entre les décisions de différentes formations de jugement nationales est inhérente à la nature de l’harmonisation minimale. La Cour considère que la structure de la loi pénale polonaise n’instaure aucune différence de traitement illégitime entre les auteurs d’infractions se trouvant dans des situations similaires.
**B. La prévisibilité de la norme comme garantie du principe de légalité des délits**
Le principe de légalité inscrit à l’article 49 de la Charte exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment concrètement. Cette exigence de précision se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, par le texte ou par son interprétation jurisprudentielle, quels actes engagent sa responsabilité pénale. La Cour affirme que la clarification graduelle des règles pénales par les juges est admissible « pour autant que cette interprétation soit raisonnablement prévisible » par le citoyen. Le juge national doit donc s’assurer que ses critères d’évaluation de la quantité de drogue reposent sur une logique cohérente et accessible afin de protéger la sécurité juridique.