La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 11 juin 2020 une décision fondamentale concernant la protection des espèces animales d’intérêt communautaire. Le litige au principal trouve son origine dans la capture d’un loup qui s’aventurait régulièrement dans un village situé à proximité de deux sites protégés. Une association de protection des animaux et un vétérinaire ont procédé à la sédation puis au transport de l’animal vers une réserve naturelle. Ces opérations ont été réalisées sans obtenir préalablement l’autorisation des autorités nationales compétentes, alors que l’espèce bénéficie d’une protection stricte.
Saisie d’une plainte pénale, la Judecătoria de Zărnești a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive Habitats. Le problème de droit posé consiste à savoir si le système de protection stricte s’applique également lorsque les spécimens protégés quittent leur habitat naturel. La Cour devait déterminer si la capture d’un tel animal à la périphérie d’une zone de peuplement humain constitue une infraction aux interdictions communautaires. Les juges ont répondu par l’affirmative, précisant que toute intervention humaine sur ces espèces nécessite une dérogation administrative formelle et motivée.
I. L’extension spatiale de la protection stricte des espèces sauvages
A. Une définition extensive de l’aire de répartition naturelle
La Cour de justice précise que la protection imposée par la directive ne dépend pas du lieu où se trouve l’animal à un instant précis. Elle souligne que l’article 12 impose aux États membres d’instaurer un système de protection « dans leur aire de répartition naturelle » sans établir de limites géographiques fixes. Cette notion doit s’interpréter comme l’espace dans lequel l’espèce est présente ou s’étend dans le cadre de son comportement naturel selon des facteurs biologiques. Les juges considèrent que cette aire de répartition « ne permet pas de considérer qu’un spécimen sauvage se trouvant à proximité de zones de peuplement humain aurait quitté son aire ».
Cette interprétation dynamique s’appuie sur le constat que les espèces animales protégées occupent souvent de vastes territoires qui ne coïncident pas avec les frontières administratives. La protection offerte par le second volet de la directive Habitats n’est pas établie en corrélation directe avec la délimitation des zones de conservation. Le milieu fréquenté par les spécimens sauvages inclut donc nécessairement les espaces transformés par l’activité humaine lorsque ceux-ci se situent sur les itinéraires habituels de l’espèce. La Cour rejette ainsi toute vision restrictive qui limiterait la sécurité juridique de l’animal aux seuls sanctuaires naturels ou aux sites d’importance communautaire.
B. L’indifférence du milieu anthropisé sur le statut de l’animal
L’arrêt clarifie ensuite l’usage des termes « dans la nature » figurant dans la directive pour définir les interdictions de capture ou de mise à mort. La juridiction européenne affirme que ces termes visent à protéger tous les spécimens qui vivent à l’état sauvage et assurent une fonction écologique. La protection stricte « est applicable non pas uniquement dans des lieux spécifiques, mais couvre tous les spécimens des espèces animales protégées qui vivent dans la nature ». L’entrée fortuite ou régulière d’un animal sauvage dans une zone de peuplement humain ne modifie donc pas son statut juridique de protection.
Cette solution garantit l’efficacité du système de préservation de la biodiversité en évitant que la simple présence humaine ne devienne une zone de non-droit environnemental. Les juges rappellent que les interdictions de perturbation intentionnelle s’appliquent indépendamment de la localisation du spécimen, car la capture constitue toujours une forme de trouble. L’adaptation partielle de certaines espèces aux infrastructures anthropiques ne saurait justifier une diminution de la vigilance étatique face aux risques de capture illégale. La protection suit l’animal dans ses déplacements, assurant ainsi la cohérence du régime juridique communautaire sur l’ensemble du territoire européen des États membres.
II. L’encadrement procédural strict des atteintes à l’intégrité de l’espèce
A. L’impérativité d’une dérogation administrative préalable
Le régime de protection stricte constitue la règle tandis que les atteintes aux spécimens protégés ne peuvent être que des exceptions interprétées de manière restrictive. La Cour énonce que la capture d’un loup en l’absence de dérogation est susceptible de relever de l’interdiction prévue à l’article 12 de la directive. Toute intervention doit impérativement s’inscrire dans le cadre de l’article 16 qui définit de façon exhaustive les conditions de rupture de la protection. Les autorités nationales doivent démontrer, pour chaque cas d’espèce, qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante permettant d’atteindre l’objectif de sécurité recherché.
La charge de la preuve de l’existence des conditions requises pour déroger au système de protection pèse exclusivement sur l’autorité qui prend la décision administrative. Les juges soulignent que les dérogations doivent faire l’objet d’une décision par l’autorité nationale compétente, fondée notamment sur un motif impérieux de sécurité publique. L’absence de cadre législatif national permettant de réagir rapidement aux comportements problématiques d’un animal ne dispense pas du respect des formalités européennes. Une action privée, même animée par des intentions de protection animale, ne saurait se substituer à une autorisation publique formellement délivrée par l’État.
B. La responsabilité étatique dans la gestion des conflits de sécurité
L’arrêt rappelle que les États membres ont l’obligation d’adopter des dispositions permettant l’octroi effectif et en temps utile des dérogations nécessaires à la sécurité. Les autorités doivent prendre en compte les meilleures connaissances scientifiques et techniques pour évaluer les risques réels posés par la présence d’un animal sauvage. La juridiction européenne insiste sur le fait que la dérogation ne doit jamais nuire au maintien des populations dans un état de conservation favorable. Le juge national est invité à vérifier si les incidences d’une opération de capture sur la population locale de loups ont été correctement mesurées.
Enfin, la Cour indique que l’absence de réglementation ou de lignes directrices scientifiquement fondées dans le droit national constitue un élément pertinent pour les sanctions. Les États doivent mettre en place un système cohérent et coordonné à caractère préventif pour gérer les interactions entre les humains et la faune sauvage. Cette responsabilité implique de définir précisément les méthodes de capture autorisées et les contrôles devant être opérés lors de chaque intervention sur le terrain. Le respect de ces exigences procédurales garantit que les impératifs de santé publique ne servent pas de prétexte à un affaiblissement de la biodiversité.