Par un arrêt rendu le 11 mai 2023, la Cour de justice de l’Union européenne précise la portée de la liberté d’établissement en matière fiscale. Cette décision fait suite à deux demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Dans les affaires au principal, deux sociétés mères résidentes percevaient des dividendes de filiales situées dans d’autres États membres de l’Union. Elles ont placé ces produits sous le régime national des sociétés mères permettant une déduction fiscale quasi totale. Toutefois, la législation imposait la réintégration d’une quote-part de frais et charges fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus.
L’administration fiscale rejeta les demandes de restitution de l’impôt correspondant à cette fraction du bénéfice réintégrée dans les résultats des sociétés. La Cour administrative d’appel de Versailles, par ses décisions du 27 mai et du 19 octobre 2021, annula les jugements de première instance. La juridiction de renvoi décida alors de surseoir à statuer afin de déterminer si le refus de neutralisation constituait une entrave prohibée.
La question centrale porte sur la compatibilité d’une législation réservant un avantage fiscal aux seuls membres d’un groupe intégré avec le droit européen. La Cour de justice répond par l’affirmative en censurant la différence de traitement opérée entre les sociétés selon leur choix d’intégration nationale. L’analyse de cette solution suppose d’analyser la caractérisation de la restriction avant d’observer la reconnaissance de la comparabilité des situations.
I. La caractérisation d’une restriction à la liberté d’établissement
A. L’identification d’un traitement fiscal désavantageux
La Cour relève que les dividendes versés par une filiale intégrée bénéficient d’une exonération totale par la neutralisation de la quote-part. Cependant, cette « réintégration de la quote-part de frais et charges […] est neutralisée en faveur d’une société mère faisant partie d’un groupe fiscal intégré ». À l’inverse, les sociétés requérantes subissent une imposition partielle sur les dividendes européens car elles ne sont pas membres d’un tel groupe.
Cette distinction crée un désavantage financier immédiat pour les entités exerçant leur activité économique dans une dimension transfrontalière. Une telle différence de traitement entre les sociétés résidentes nuit à la neutralité fiscale du système de distribution des bénéfices. Cette disparité de traitement permet désormais de démontrer l’existence d’une entrave réelle à la liberté garantie par les traités.
B. L’entrave caractérisée à l’exercice du droit d’établissement
La jurisprudence constante considère comme des restrictions toutes les mesures qui rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement. L’arrêt affirme que « la liberté d’établissement est entravée si […] une société résidente […] subit une différence de traitement fiscal désavantageuse » par rapport aux autres. L’exclusion de l’avantage fiscal dissuade les sociétés mères de créer des filiales dans d’autres États membres en raison du surcoût fiscal.
Le mécanisme national tend à favoriser les investissements domestiques au détriment des implantations réalisées sur le territoire de l’Union européenne. La restriction ainsi identifiée ne peut être maintenue que si elle repose sur une différence objective de situation entre les contribuables. L’absence de distinction pertinente entre les sociétés mères impose alors une analyse rigoureuse de la comparabilité des régimes d’imposition applicables.
II. La reconnaissance de la comparabilité objective des situations
A. Le rejet de l’argument fondé sur l’absence d’option pour l’intégration
L’administration prétendait que les situations n’étaient pas comparables puisque les sociétés n’avaient pas choisi de constituer un groupe fiscal intégré. La Cour rejette cet argument en soulignant qu’une société mère résidente « ne dispose d’aucune possibilité de constituer un groupe fiscal intégré » avec l’étranger. Le défaut d’option pour l’intégration nationale ne saurait donc traduire un désintérêt pour les avantages liés à la consolidation fiscale.
Les juges estiment en effet que « la situation des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré doit être regardée comme étant comparable » à celle des autres. Cette approche fonctionnelle de la comparabilité empêche les États membres de subordonner les libertés fondamentales à des conditions procédurales excessives. Cette absence de distinction objective impose désormais de rechercher d’éventuelles justifications fondées sur des raisons impérieuses d’intérêt général.
B. L’absence de justification par une raison impérieuse d’intérêt général
La Cour rappelle que toute entrave doit être justifiée par un objectif légitime et proportionné au regard de la liberté d’établissement. En l’espèce, ni la juridiction de renvoi ni l’administration n’ont invoqué l’existence de motifs impérieux d’intérêt général pour légitimer la mesure. L’impossibilité de justifier la différence de traitement conduit nécessairement à la condamnation de la législation fiscale de l’État membre.
La solution affirme que l’article 49 TFUE s’oppose au refus de neutralisation opposé aux sociétés mères détenant des filiales européennes. Cette interprétation garantit que l’exercice des libertés de circulation ne soit pas pénalisé par des mécanismes fiscaux nationaux trop rigides. Par cette décision, le juge européen renforce la protection des groupes de sociétés contre les discriminations fiscales liées à la résidence.