La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 11 mai 2023, se prononce sur la conformité du régime français de l’intégration fiscale. Le litige porte sur l’impossibilité pour une société mère non intégrée de neutraliser la quote-part de frais et charges grevant les dividendes de filiales européennes. Une société résidente a perçu des dividendes de filiales établies dans d’autres États membres et a contesté la réintégration forfaitaire de 5 % dans son résultat. Ces entités disposaient de liens capitalistiques permettant la constitution d’un groupe fiscal intégré sur le territoire national, mais elles n’avaient pas exercé cette option. Le tribunal administratif de Montreuil a d’abord rejeté les demandes de restitution de l’impôt sur les sociétés par des jugements du 26 septembre 2017 et du 10 octobre 2019. La cour administrative d’appel de Versailles a ensuite infirmé ces décisions par deux arrêts rendus les 27 mai et 19 octobre 2021. Le Conseil d’État, saisi de pourvois, a interrogé la juridiction européenne par des décisions du 14 juin 2022 sur la compatibilité de ce refus avec la liberté d’établissement. La Cour devait déterminer si une législation peut réserver un avantage fiscal aux seules sociétés mères ayant opté pour le régime de l’intégration fiscale nationale. Elle répond négativement en considérant qu’une telle différence de traitement constitue une entrave interdite par l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’analyse de cette décision suppose d’examiner d’abord la caractérisation d’une restriction à la liberté d’établissement, puis la reconnaissance d’une comparabilité objective des situations fiscales.
I. L’identification d’une restriction à la liberté d’établissement
A. L’existence d’un désavantage fiscal caractérisé L’avantage fiscal en cause consiste en la neutralisation d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus. En vertu du droit national, ce bénéfice est normalement réservé aux sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré pour les flux internes au périmètre. La Cour souligne qu’une société mère intégrée peut désormais obtenir cette neutralisation pour des dividendes provenant de filiales situées dans d’autres États membres de l’Union. Cette extension résulte de l’obligation de traiter ces entités non-résidentes comme si elles étaient objectivement éligibles au régime d’intégration fiscale si elles étaient résidentes. Le refus d’octroyer ce même avantage à une société non membre d’un groupe intégré crée une différence de traitement préjudiciable par rapport aux entités intégrées.
B. Le caractère dissuasif du mécanisme de réintégration La juridiction européenne rappelle que constituent des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté fondamentale. La législation en cause dissuade une société mère de créer des filiales dans d’autres États membres en la privant d’un avantage fiscal substantiel et pérenne. L’exercice de l’option pour l’intégration fiscale nationale ne saurait constituer une condition préalable légitime pour bénéficier de l’exonération totale des dividendes d’origine européenne. « Une telle différence de traitement conduit à exclure du bénéfice d’un avantage fiscal […] une société mère qui détient une filiale établie dans un autre État membre ». L’entrave est ainsi établie puisque la société résidente subit un désavantage fiscal lié uniquement à la localisation géographique de ses investissements de contrôle capitalistique. Ce constat de restriction impose alors de vérifier si les contribuables placés dans ces situations différentes se trouvent dans une position comparable.
II. L’affirmation de la comparabilité objective des situations fiscales
A. Le rejet de l’option fiscale comme critère de distinction Le gouvernement soutenait que la situation d’un contribuable n’ayant pas opté pour l’intégration fiscale différait de celle d’une entité ayant fait ce choix volontaire. La Cour écarte cet argument en affirmant que les sociétés mères se trouvent dans des situations comparables au regard de l’objectif de neutralité fiscale recherché. Dans les deux cas, la société mère supporte des frais liés à sa participation et les bénéfices de la filiale risquent une double imposition économique. « La situation des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré doit être regardée comme étant comparable à celle des sociétés n’appartenant pas à un tel groupe ». L’absence de constitution d’un groupe intégré avec des entités résidentes ne permet pas de présumer que la société renonce aux avantages pour ses filiales européennes.
B. L’absence de justification de l’entrave au marché intérieur Une restriction à la liberté d’établissement ne peut être admise que si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général proportionnée à l’objectif. Or, ni la juridiction de renvoi ni l’État membre concerné n’ont invoqué de motifs sérieux susceptibles de légitimer cette inégalité de traitement devant l’impôt. La solution adoptée par la Cour confirme que le régime de l’intégration fiscale ne doit pas servir de vecteur à une discrimination indirecte des investissements transfrontaliers. Cet arrêt renforce la protection des opérateurs économiques contre les barrières fiscales nationales au sein du marché intérieur par une interprétation stricte de la liberté d’établissement. La conformité des dispositifs de consolidation fiscale nationale dépend désormais d’une neutralité réelle entre les filiales résidentes et celles situées dans d’autres États membres.