Cour de justice de l’Union européenne, le 11 mai 2023, n°C-620/21

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu en grande chambre, est venue préciser les conditions d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée pour les prestations de services sociaux transfrontaliers. Cette décision clarifie l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive 2006/112/CE, apportant des réponses essentielles sur la territorialité de l’exonération et la compétence des États membres pour en définir les critères.

En l’espèce, une société établie dans un État membre fournissait des prestations de services d’aide à la personne et d’aide à domicile à des personnes âgées résidant sur le territoire de deux autres États membres. Cette société était dûment enregistrée en tant que prestataire de services sociaux dans son État d’établissement. Toutefois, l’administration fiscale de cet État a refusé d’exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée les services fournis, au motif que leur caractère social n’était pas démontré conformément aux législations des États membres où les bénéficiaires résidaient.

Saisie du litige, la juridiction administrative suprême de l’État d’établissement a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. La juridiction de renvoi cherchait à savoir si l’exonération pouvait s’appliquer à des services exécutés hors du territoire national. Elle s’interrogeait également sur le point de savoir quel droit national, celui de l’État du prestataire ou celui de l’État du bénéficiaire, devait être utilisé pour apprécier le caractère social des services et la reconnaissance de l’organisme prestataire. Enfin, elle demandait si la simple immatriculation en tant que prestataire de services sociaux suffisait à conférer à un organisme la qualité d’entité à caractère social.

À ces questions, la Cour répond que l’exonération des prestations de services sociaux n’est pas limitée au territoire de l’État membre où le prestataire est établi. Elle juge que la détermination du caractère social des prestations ainsi que la reconnaissance du prestataire relèvent exclusivement de la compétence de l’État membre d’établissement de ce dernier, conformément au principe du pays d’origine. La Cour précise cependant que l’enregistrement formel d’un prestataire ne suffit pas à lui seul à le qualifier d’organisme reconnu à caractère social, une telle reconnaissance nécessitant une vérification substantielle de sa conformité avec les objectifs de la directive.

Cette solution réaffirme avec force le principe du pays d’origine dans l’application des exonérations de taxe sur la valeur ajoutée (I), tout en encadrant strictement les conditions de reconnaissance du caractère social du prestataire, ce qui n’est pas sans soulever des difficultés pratiques au sein du marché intérieur (II).

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I. La consécration du principe du pays d’origine pour l’exonération des services sociaux

La Cour de justice étend le bénéfice de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée aux prestations de services sociaux fournies dans un autre État membre (A) et désigne la loi de l’État d’établissement du prestataire comme seule compétente pour en apprécier les conditions (B).

A. L’indifférence du lieu d’exécution matérielle de la prestation

La Cour de justice écarte toute condition de territorialité pour l’application de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive. Se fondant sur une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de la disposition, elle affirme que l’exonération s’applique indépendamment du lieu où les services sont matériellement exécutés. Le texte de l’article ne comporte aucune restriction géographique, se concentrant uniquement sur la nature des prestations et la qualité du prestataire.

De surcroît, la Cour rappelle que l’objectif de cette exonération est de « réduire le coût de ces services et à rendre ainsi ces derniers plus accessibles aux particuliers susceptibles d’en bénéficier ». Soumettre à la taxe les prestations fournies dans un autre État membre irait à l’encontre de cet objectif en augmentant leur coût pour des personnes en situation de dépendance. Le caractère d’intérêt général de l’activité, qui justifie l’exonération, n’est en rien altéré par le fait que le bénéficiaire réside dans un autre État membre. Par conséquent, l’argument de l’administration fiscale nationale, qui exigeait la preuve du caractère social des prestations selon le droit des pays de résidence des clients, est invalidé. La Cour juge également « dépourvu de pertinence » le recours à un intermédiaire dans l’État de destination pour trouver des clients, cette prestation de service étant distincte et indépendante de la prestation de soin elle-même.

B. La compétence exclusive de l’État membre d’établissement

Ayant confirmé l’applicabilité de l’exonération aux situations transfrontalières, la Cour devait déterminer quel État membre est compétent pour en fixer les conditions. La solution est sans équivoque : c’est l’État membre où le prestataire a établi le siège de son activité économique qui est « l’État membre concerné » au sens de la directive. Ce raisonnement repose sur les règles de localisation des prestations de services. Conformément à l’article 45 de la directive, le lieu des prestations de services fournies à une personne non assujettie est l’endroit où le prestataire est établi.

Dès lors, l’État membre d’imposition est celui du prestataire. C’est donc à cet État qu’il appartient de déterminer si les conditions de l’exonération sont remplies. Cette compétence s’étend à la fois à l’appréciation de la nature des services, qui doivent être « étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales », et à la reconnaissance du prestataire en tant qu’« organisme reconnu comme ayant un caractère social ». La Cour souligne que cette interprétation est cohérente avec le principe de neutralité fiscale, car elle évite qu’un même prestataire, établi dans un État membre, soit traité différemment selon que le bénéficiaire de ses services réside dans cet État ou dans un autre. L’ensemble des prestations relevant de la même compétence fiscale, elles doivent être soumises à un régime d’imposition uniforme.

II. La portée et les limites de la reconnaissance du caractère social

Si la Cour ancre la compétence dans l’État d’origine, elle précise que la reconnaissance du caractère social ne peut résulter d’une simple formalité d’enregistrement (A), ce qui révèle l’ambivalence d’une solution qui, bien que juridiquement cohérente, se heurte aux disparités des réglementations nationales (B).

A. Le rejet d’une reconnaissance automatique par l’enregistrement

Répondant à la troisième question préjudicielle, la Cour de justice écarte une approche purement formelle de la reconnaissance. Le fait qu’une société soit inscrite en tant que prestataire de services sociaux dans son État membre d’établissement ne suffit pas, en soi, à la considérer comme un « organisme reconnu comme ayant un caractère social ». Une telle reconnaissance suppose que les autorités nationales aient procédé à une vérification substantielle, au regard des critères dégagés par la jurisprudence de la Cour.

Ces critères incluent notamment « le caractère d’intérêt général des activités de l’assujetti concerné, le fait que d’autres assujettis exerçant les mêmes activités bénéficient déjà d’une reconnaissance semblable, ainsi que le fait que les coûts des prestations en question sont éventuellement supportés en grande partie par des caisses de maladie ou par d’autres organismes de sécurité sociale ». Ainsi, la reconnaissance du caractère social n’est pas laissée à l’entière discrétion des États membres. Ceux-ci doivent exercer leur pouvoir d’appréciation dans le respect des principes du droit de l’Union, en particulier du principe de neutralité fiscale. L’enregistrement ne peut donc valoir reconnaissance que si la procédure d’enregistrement elle-même implique un contrôle de ces éléments matériels, assurant ainsi que seuls les organismes poursuivant réellement des fins sociales bénéficient de l’exonération.

B. L’ambivalence d’une solution face à un marché intérieur fragmenté

La Cour reconnaît elle-même les effets potentiellement problématiques de sa solution dans un marché intérieur où les législations ne sont pas harmonisées. L’application du principe du pays d’origine peut conduire à des distorsions de concurrence. Un prestataire établi dans un État membre aux critères de reconnaissance souples pourrait offrir des services exonérés dans un État membre aux exigences plus strictes, concurrençant ainsi de manière avantageuse les prestataires locaux qui ne bénéficient pas de l’exonération.

Ces asymétries réglementaires sont une conséquence directe du pouvoir d’appréciation laissé aux États membres par la directive. La Cour estime que ces différences de traitement ne violent pas le principe de neutralité fiscale, car elles résultent de l’exercice de compétences distinctes par différents États membres d’imposition. Concluant sur ce point, la Cour renvoie la responsabilité au législateur de l’Union, indiquant qu’il « appartiendrait au législateur de l’Union de décider d’une éventuelle modification de cette réglementation » si ses effets négatifs s’avéraient trop importants. Si la décision commentée offre une sécurité juridique bienvenue en clarifiant la loi applicable, elle met aussi en lumière les limites du système commun de taxe sur la valeur ajoutée et la nécessité d’une plus grande harmonisation pour parfaire le fonctionnement du marché intérieur des services sociaux.

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Hassan KOHEN
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