Cour de justice de l’Union européenne, le 11 mai 2023, n°C-817/21

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 mai 2023, une décision fondamentale concernant l’indépendance de la justice. Le litige opposait un justiciable à l’organe d’inspection nationale suite au classement sans suite de plusieurs plaintes disciplinaires contre des magistrats. La Cour d’appel de Bucarest a d’abord annulé une décision de classement avant d’être saisie d’un recours contre une nouvelle mesure de rejet. Le requérant conteste l’organisation structurelle de l’instance disciplinaire et la concentration des prérogatives de direction entre les mains d’un responsable unique. La question posée concerne la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec les exigences de protection juridictionnelle effective imposées par les traités. Les juges européens soulignent que le fonctionnement de ces services ne doit pas permettre l’exercice de pressions extérieures sur le pouvoir judiciaire. La Cour répond que le droit de l’Union s’oppose à des règles susceptibles de créer des doutes légitimes sur l’impartialité des enquêtes. L’analyse portera sur l’affirmation des garanties structurelles de l’inspection avant d’examiner les risques d’instrumentalisation politique du système.

I. L’exigence de garanties structurelles dans l’organisation des instances disciplinaires

A. Le rattachement du fonctionnement de l’inspection au principe d’indépendance judiciaire

Le juge européen rappelle que l’article 19 du Traité sur l’Union européenne impose aux États membres d’assurer une protection juridictionnelle effective. Cette obligation implique la préservation de l’indépendance des instances appelées à statuer sur l’application des règles issues de l’ordre juridique communautaire. L’exigence d’indépendance comporte un aspect externe requérant que l’instance « exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ». Toute intervention ou pression extérieure susceptible d’influencer le jugement des membres de la juridiction doit être impérativement écartée par le droit interne. Ce principe s’étend nécessairement aux organes chargés de conduire les enquêtes disciplinaires contre les magistrats en raison de leur influence sur l’activité judiciaire. Un tel organe doit agir de manière objective et impartiale afin de ne pas devenir un instrument de surveillance des décisions de justice.

B. La remise en cause de la concentration des pouvoirs réglementaires et individuels

La réglementation examinée confère à l’inspecteur en chef des pouvoirs étendus relatifs à l’organisation, à la sélection et à l’évaluation des agents. Cette concentration de prérogatives permet un contrôle effectif sur l’ensemble des actions de l’organe, incluant le sens des décisions arrêtées par les enquêteurs. Une telle structure offre une large discrétion dans l’engagement des poursuites disciplinaires, facilitant ainsi une possible influence sur la pratique des magistrats. La Cour précise que cette organisation pourrait « faire naître un doute légitime, dans l’esprit des justiciables » quant à la neutralité de l’institution. Les fonctions de direction ne doivent pas servir de levier pour orienter l’activité judiciaire ou assurer un contrôle politique des magistrats. La préservation de l’imperméabilité aux éléments extérieurs constitue une condition sine qua non de la confiance du public dans le système juridictionnel.

II. L’impératif de contrôle effectif contre les risques d’instrumentalisation de la justice

A. L’absence d’impartialité réelle du régime disciplinaire applicable à la direction

Le litige met en lumière un mécanisme où l’action disciplinaire contre le dirigeant de l’inspection est confiée à ses propres subordonnés. La carrière de ces agents dépend directement des décisions du responsable qu’ils sont pourtant censés investiguer en cas de manquements graves. En outre, les décisions relatives au directeur peuvent être révisées par un adjoint dont le mandat prend fin simultanément à celui de son supérieur. Cette interdépendance fonctionnelle et statutaire semble faire obstacle à l’exercice effectif d’une action disciplinaire contre l’inspecteur en chef. Le système de garanties prévu par la législation nationale s’avère insuffisant pour assurer un traitement impartial des plaintes visant la direction. La juridiction de renvoi doit apprécier si les pouvoirs des cours nationales permettent de compenser ces carences structurelles manifestes.

B. La vigilance accrue du juge européen face aux réformes nationales restrictives

L’interprétation de la Cour s’inscrit dans un contexte de réformes globales tendant à réduire les garanties d’indépendance des juges au sein de l’État membre. Les modalités de nomination des dirigeants de l’inspection révèlent parfois des liens étroits avec les pouvoirs exécutif ou législatif au détriment de l’autonomie. Dès lors, l’utilisation des fonctions disciplinaires comme « instrument de pression sur l’activité judiciaire ou de contrôle politique de cette activité » devient un risque concret. Les autorités nationales sont tenues de respecter le principe de coopération loyale en tenant compte des recommandations émises par les instances européennes. La décision souligne que le droit de l’Union s’oppose à toute réglementation organisant une impunité de fait pour les responsables des services d’inspection. La protection des justiciables exige que chaque étape de la procédure disciplinaire soit soustraite à l’arbitraire et aux intérêts politiques partisans.

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Hassan KOHEN
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