Cour de justice de l’Union européenne, le 11 mars 2004, n°C-240/02

Par un arrêt du 11 mars 2004, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 97/67/CE relative au développement du marché intérieur des services postaux. Cette décision s’inscrit dans le contexte de la libéralisation du secteur postal au sein de la Communauté.

En l’espèce, deux associations d’entreprises de services postaux avaient engagé un recours devant le Tribunal Supremo espagnol. Elles demandaient l’annulation de certaines dispositions d’un décret royal transposant la directive communautaire en droit interne. Les requérantes contestaient notamment la définition restrictive de la notion d’« autoprestation » et l’inclusion du service de virement postal parmi les services réservés au prestataire du service universel.

La procédure a conduit le Tribunal Supremo, confronté à une difficulté d’interprétation du droit communautaire, à surseoir à statuer. La juridiction espagnole a alors saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. La première question visait à déterminer si la notion d’« autoprestation », telle qu’éclairée par un considérant de la directive, pouvait être soumise par un État membre à des conditions plus restrictives que celles prévues par le texte communautaire. La seconde question portait sur la possibilité pour un État membre de réserver le service de virement postal au prestataire du service universel, alors que ce service n’est pas mentionné dans la directive.

Face à ces interrogations, la Cour de justice a jugé, d’une part, que les États membres ne peuvent pas restreindre la notion d’autoprestation au-delà de la définition qu’en donne la directive. D’autre part, elle a considéré que les services de virement postal ne relèvent pas du champ d’application de la directive, laissant ainsi les États membres libres de les réglementer. La solution retenue par la Cour clarifie l’étendue des obligations des États membres lors de la transposition, en distinguant ce qui relève de l’harmonisation communautaire et ce qui demeure de la compétence nationale.

Il convient d’analyser la double portée de cette décision. La Cour encadre de manière stricte la marge de manœuvre des États dans la définition des services exclus du monopole postal (I), tout en confirmant la compétence résiduelle de ces derniers pour les services non couverts par la directive (II).

***

I. L’encadrement de la notion d’autoprestation par le droit communautaire

La Cour de justice, en répondant à la première question, affirme le caractère contraignant de la définition de l’autoprestation issue de la directive, s’opposant à toute restriction nationale (A). Cette interprétation repose sur une reconnaissance de la valeur normative des considérants pour l’interprétation des dispositions de la directive (B).

A. Le refus d’une définition nationale restrictive de l’autoprestation

La Cour de justice répond clairement que la directive s’oppose à ce qu’un État membre soumette l’autoprestation à des conditions additionnelles. Elle énumère les conditions prévues par la législation espagnole, telles que l’identité entre l’expéditeur et le destinataire ou l’interdiction de fournir ces services dans le cadre d’une activité commerciale, et les juge incompatibles avec le droit communautaire. Le raisonnement de la Cour est fondé sur la finalité même de la directive, qui vise une « libéralisation progressive et contrôlée dans le secteur postal ».

En effet, la Cour estime que permettre aux États membres d’ajouter des conditions restreindrait le champ des services libéralisés. Une telle faculté leur « donnerait la faculté d’élargir à leur gré les services réservés aux prestataires du service universel ». Une telle conséquence serait directement contraire à l’objectif de la directive. La Cour souligne ainsi que « les États membres ne sont pas en droit d’assortir de conditions plus restrictives les notions définies par la directive ». La position de la Cour est donc sans équivoque : la définition de l’autoprestation par la directive constitue un standard minimum de libéralisation qui ne peut être réduit par les législations nationales.

Cette approche garantit une application uniforme du droit communautaire et prévient les tentatives de contournement des objectifs de libéralisation par des transpositions nationales trop protectrices des monopoles historiques.

B. La valeur interprétative contraignante du considérant de la directive

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s’appuie de manière déterminante sur le vingt-et-unième considérant de la directive. Bien que la notion d’autoprestation ne figure pas dans le corps de l’article 7, qui traite des services réservables, elle est définie dans ce considérant comme une activité qui « n’entre pas dans la catégorie des services ». La Cour confère à ce considérant une portée juridique essentielle.

Elle juge que le considérant, en explicitant les services soustraits à la faculté de réservation, « comporte des précisions qui […] doivent être pris en compte aux fins de l’interprétation de ladite directive ». Elle ne traite donc pas le considérant comme une simple déclaration d’intention dépourvue de force juridique, mais comme un élément indispensable à la délimitation du champ d’application de l’article 7. En définissant l’autoprestation comme la « prestation de services postaux par la personne physique ou morale qui est à l’origine des envois ou collecte et acheminement de ces envois par un tiers agissant seulement au nom de cette personne », le considérant fixe les contours d’un espace de liberté que les États membres ne peuvent restreindre.

Cette solution réaffirme une jurisprudence constante sur le rôle des considérants. S’ils ne peuvent créer d’obligations de manière autonome, ils sont un outil essentiel pour éclairer le sens et la portée des dispositions normatives qu’ils précèdent, liant ainsi l’interprétation du juge et l’action des États membres.

II. L’exclusion des services de virement postal du champ de la directive

Concernant la seconde question, la Cour adopte une démarche différente en se fondant sur une analyse stricte du champ d’application matériel de la directive (A), ce qui la conduit à reconnaître la compétence des États membres pour réglementer ces services financiers (B).

A. Une interprétation littérale du champ d’application de la directive

La Cour de justice examine si les virements postaux constituent un « service postal » au sens de la directive. Elle constate que l’article 2, point 1, de la directive définit les services postaux de manière limitative comme « la levée, le tri, l’acheminement et la distribution des envois postaux ». La Cour note également que ni cette disposition, ni aucune autre, ne mentionne les services financiers.

Partant de ce constat, elle en déduit que les virements postaux, qui sont des services de nature financière, ne sont pas régis par la directive. Elle précise que « ces services financiers ne sont donc pas visés par le libellé de la directive, et, compte tenu du caractère précis et limitatif de celle-ci, rien ne plaide en faveur d’une interprétation selon laquelle la directive devrait être étendue à des situations qui n’entrent pourtant pas dans son champ d’application ». L’absence de mention des virements postaux à l’article 7 parmi les services réservables n’est donc pas pertinente, puisque cet article ne s’applique qu’aux services postaux.

Le raisonnement de la Cour est ici fondé sur une interprétation stricte des textes. Elle refuse d’étendre le périmètre de l’harmonisation communautaire au-delà de ce que la lettre de la directive prévoit expressément, marquant ainsi une frontière claire entre les services postaux et les autres activités, notamment financières, des opérateurs postaux.

B. La reconnaissance d’une compétence réglementaire nationale résiduelle

La conséquence directe de cette exclusion est que les États membres conservent toute leur liberté pour légiférer en la matière. La Cour le formule explicitement en concluant que « les États membres restent ainsi libres de réglementer les services financiers fournis éventuellement par les prestataires du service postal universel ».

Cette conclusion illustre le principe de subsidiarité et le principe des compétences d’attribution qui régissent l’action de l’Union européenne. La directive a pour objet d’établir un cadre commun pour les services postaux afin de réaliser le marché intérieur dans ce secteur. Elle n’a pas vocation à harmoniser l’ensemble des activités des opérateurs postaux. Par conséquent, pour tout ce qui n’est pas couvert par la directive, la compétence réglementaire demeure au niveau national.

Un État membre est donc en droit de réserver le service de virement postal à son prestataire historique ou de le soumettre à toute autre réglementation spécifique, sans que cela ne contrevienne à la directive 97/67/CE. La Cour clarifie ainsi que la libéralisation du secteur postal n’emporte pas, en l’état du droit, une libéralisation des services financiers qui peuvent y être associés.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture