Cour de justice de l’Union européenne, le 11 mars 2010, n°C-1/09

Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’étendue des obligations du juge national chargé d’assurer le respect de l’interdiction de mise à exécution des aides d’État. En l’espèce, une entreprise avait bénéficié d’un soutien financier public qualifié d’aide d’État. À trois reprises, la Commission européenne avait adopté une décision déclarant cette aide compatible avec le marché commun. Cependant, chacune de ces décisions positives fut successivement annulée par le juge de l’Union à la suite de recours formés par une société concurrente. Saisi d’une demande tendant à la restitution de l’aide illégalement versée, le Conseil d’État, constatant la complexité de la situation procédurale, a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. Les questions posées visaient à déterminer, d’une part, si le juge national peut suspendre sa décision sur la restitution en attendant une nouvelle décision de la Commission et, d’autre part, si la succession de décisions positives annulées peut constituer une circonstance exceptionnelle justifiant de limiter l’obligation de remboursement. La Cour de justice répond par la négative à ces deux interrogations. Elle juge que le juge national ne peut surseoir à statuer et que la succession d’annulations contentieuses ne saurait, en soi, créer une situation exceptionnelle limitant l’obligation de restitution de l’aide.

La solution de la Cour renforce avec fermeté le rôle du juge national en tant que garant de l’effet direct de l’obligation de standstill prévue par le traité (I), tout en adoptant une conception particulièrement stricte des circonstances susceptibles de faire échec à la récupération de l’aide illégale (II).

I. Le juge national, gardien de l’effet direct de l’obligation de standstill

La Cour rappelle d’abord que l’annulation d’une décision de la Commission a pour effet de priver le juge national de la faculté de différer son office (A), avant de préciser la nature des mesures qu’il lui incombe de prendre pour remédier à l’illégalité (B).

A. Le rejet du sursis à statuer fondé sur l’effet utile du droit de l’Union

La Cour de justice écarte fermement la possibilité pour une juridiction nationale de suspendre sa décision dans l’attente d’une nouvelle prise de position de la Commission. Le raisonnement des juges repose sur la finalité même de l’article 88, paragraphe 3, du traité CE, qui impose aux États membres de ne pas mettre à exécution leurs projets d’aides avant que la Commission ait statué sur leur compatibilité. Cette disposition a pour objectif de prévenir la mise en place d’aides qui fausseraient la concurrence, en garantissant que « seules des aides compatibles soient mises à exécution ». Or, l’annulation d’une décision positive par le juge de l’Union a un effet rétroactif, ce qui replace l’aide dans un état d’illégalité procédurale, comme si aucune autorisation n’avait jamais été donnée.

Dans ce contexte, surseoir à statuer reviendrait à tolérer le maintien d’une situation illégale. La Cour souligne qu’une telle décision « produirait, de facto, le même résultat qu’une décision de rejet de la demande de mesures de sauvegarde ». Elle ajoute que cela « reviendrait à maintenir le bénéfice d’une aide pendant la période d’interdiction de mise à exécution, ce qui serait incompatible avec l’objet même de l’article 88, paragraphe 3, CE et priverait cette disposition de son effet utile ». L’interdiction du sursis à statuer s’impose donc pour préserver l’efficacité du contrôle des aides d’État et le rôle fondamental confié aux juridictions nationales, qui consiste à sauvegarder les droits des justiciables face à la méconnaissance par un État de ses obligations.

B. La détermination des mesures actives visant au rétablissement de la légalité

Le refus d’autoriser un sursis à statuer n’implique pas que le juge national soit contraint d’ordonner automatiquement la récupération de l’aide. Son obligation première est de statuer, positivement ou négativement, sur les mesures à prendre. La Cour précise que le juge doit agir si « les conditions justifiant de telles mesures sont réunies », c’est-à-dire si la qualification d’aide ne fait aucun doute, si l’aide a été mise à exécution et en l’absence de circonstances exceptionnelles. Lorsque ces conditions sont remplies, le juge national dispose d’une marge d’appréciation quant aux moyens les plus appropriés pour neutraliser les effets de l’illégalité.

La Cour énonce ainsi plusieurs options concrètes. Le juge peut ordonner « la restitution des aides avec intérêts », solution la plus directe pour rétablir la situation antérieure. Il peut également, comme le suggère la Commission dans sa communication de 2009, ordonner « le versement des fonds sur un compte bloqué ». Cette seconde mesure permet de priver le bénéficiaire de la libre disposition des sommes perçues, assurant ainsi le respect de l’obligation de standstill sans pour autant préjuger de la décision finale de la Commission sur la compatibilité de l’aide. En revanche, la Cour précise qu’une simple condamnation au paiement d’intérêts sur des sommes qui resteraient dans les comptes de l’entreprise serait insuffisante, car elle ne neutraliserait pas l’avantage concurrentiel procuré par la disponibilité de la trésorerie.

II. L’interprétation restrictive des circonstances limitant la récupération de l’aide

Après avoir clarifié l’office du juge national, la Cour se penche sur la question de savoir si la situation procédurale particulière de l’espèce pouvait constituer une circonstance exceptionnelle. Elle rejette cette qualification au regard de la confiance légitime (A) et écarte également les arguments fondés sur la sécurité juridique et la proportionnalité (B).

A. L’exclusion de la confiance légitime en présence de décisions positives annulées

La juridiction de renvoi suggérait que la succession de trois décisions positives de la Commission, même annulées, pouvait fonder une confiance légitime du bénéficiaire dans la régularité de l’aide et justifier ainsi une limitation de son obligation de restitution. La Cour de justice écarte cette analyse en adoptant un point de vue inverse. Elle estime que l’enchaînement de recours et d’annulations ne peut que fragiliser la position du bénéficiaire et ébranler toute confiance qu’il aurait pu placer dans la légalité du soutien reçu.

Le raisonnement de la Cour est sans équivoque lorsqu’elle affirme qu’« un tel événement n’est pas, en soi, de nature à faire naître une confiance légitime et à constituer une circonstance exceptionnelle ». Bien plus, elle considère que « la succession peu courante de trois annulations traduit, a priori, la difficulté de l’affaire et, loin de faire naître une confiance légitime, apparaît plutôt de nature à accroître les doutes du bénéficiaire quant à la compatibilité de l’aide litigieuse ». Cette position réaffirme qu’une confiance légitime ne peut naître tant qu’une décision de la Commission est susceptible de recours ou, a fortiori, lorsqu’elle a été effectivement contestée et annulée. La précarité juridique résultant du contentieux fait obstacle à toute protection du bénéficiaire sur ce fondement.

B. L’inopérance des principes de sécurité juridique et de proportionnalité

La Cour complète son raisonnement en balayant les autres principes généraux du droit qui auraient pu être invoqués pour limiter la récupération. S’agissant du principe de sécurité juridique, elle juge qu’il ne peut être utilement invoqué tant que la Commission n’a pas adopté une décision définitive et que les délais de recours ne sont pas expirés. Le bénéficiaire de l’aide ne peut donc se prévaloir d’aucune certitude juridique durant cette période. L’instabilité inhérente à la procédure de contrôle des aides d’État et au contentieux qui peut en découler prive ce principe de sa portée.

Quant au principe de proportionnalité, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la restitution est la conséquence logique de l’illégalité d’une aide. Le rétablissement de la situation concurrentielle qui prévalait avant le versement de l’aide est l’objectif premier. Par conséquent, « la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité, de sorte que la récupération de cette aide, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée ». La Cour réaffirme ainsi la primauté de l’objectif de maintien d’une concurrence non faussée sur les intérêts, même dignes de considération, du bénéficiaire d’une aide illégalement mise à exécution.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture