Cour de justice de l’Union européenne, le 11 mars 2020, n°C-160/18

Par un arrêt dont la portée mérite d’être étudiée, la Cour de justice de l’Union européenne précise les modalités d’application des droits de douane additionnels dans le secteur de la viande de volaille et des œufs. En l’espèce, un importateur avait déclaré un prix à l’importation pour des marchandises qui ont ensuite été revendues sur le marché de l’Union à un tarif inférieur à ce prix d’importation. Les autorités douanières nationales, soupçonnant que le prix déclaré en douane n’était pas réel, ont envisagé de procéder à un recouvrement a posteriori de droits additionnels. Confrontée à cette situation, la juridiction nationale saisie du litige a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si la seule circonstance qu’une marchandise a été revendue à perte suffit à écarter le prix à l’importation déclaré. D’autre part, il était demandé de clarifier la méthode que les autorités douanières doivent employer pour fixer la valeur en douane lorsque le prix initialement déclaré est invalidé. À ces interrogations, la Cour répond de manière distincte : elle juge d’abord que la revente à perte ne constitue pas, à elle seule, une preuve suffisante de l’irréalité du prix d’importation. Elle ajoute ensuite que, en cas d’invalidation de ce prix, les autorités doivent recourir aux méthodes subsidiaires prévues par le code des douanes communautaire, et non à une valeur forfaitaire. La Cour clarifie ainsi, d’une part, la charge et l’objet de la preuve incombant à l’importateur (I) et, d’autre part, la méthodologie de substitution que doivent suivre les autorités douanières (II).

I. La preuve du prix à l’importation face à une vente à perte

La Cour de justice encadre le pouvoir d’appréciation des autorités douanières en précisant la force probante d’une vente à perte. Elle établit que ce seul indice est insuffisant pour remettre en cause le prix déclaré (A), ce qui consacre une approche pragmatique protégeant les opérateurs économiques (B).

A. L’insuffisance de la vente à perte comme critère unique de remise en cause du prix déclaré

La Cour de justice établit une distinction claire entre la transaction d’importation et la transaction de revente subséquente sur le territoire de l’Union. Selon elle, la réalité du prix d’importation doit être appréciée au moment de cette première opération, indépendamment des stratégies commerciales adoptées par la suite. Ainsi, elle affirme que « la circonstance selon laquelle des marchandises importées dans l’Union ont été vendues à perte, à savoir à un prix inférieur au prix à l’importation caf, tel qu’il figure dans la déclaration en douane, ne suffit pas, à elle seule, pour qu’il soit constaté que la réalité du prix à l’importation caf n’est pas avérée ». Cette solution signifie qu’une revente à perte constitue un simple indice, qui peut alerter les autorités, mais qui ne saurait fonder à lui seul un redressement. La charge de la preuve de la réalité du prix déclaré pèse sur l’importateur, mais celui-ci peut s’en acquitter en démontrant que « l’ensemble des conditions afférentes au déroulement de l’expédition desdites marchandises confirment la réalité de ce prix ». L’analyse doit donc porter sur des éléments objectifs liés à l’importation elle-même, tels que les contrats, les factures, ou les conditions de transport, et non sur la seule performance commerciale de l’opérateur.

B. La consécration d’une approche économique réaliste et la protection des opérateurs

En refusant de faire de la vente à perte un critère déterminant, la Cour adopte une vision réaliste du commerce international. Une telle vente peut en effet relever d’une stratégie économique légitime, comme la conquête d’un nouveau marché, la liquidation de stocks ou une réponse à une concurrence agressive. La lier automatiquement à une fraude douanière reviendrait à ignorer ces réalités et à faire peser une présomption de fraude sur des opérateurs agissant de bonne foi. Cette jurisprudence offre donc une sécurité juridique appréciable aux importateurs. Ils savent qu’une décision de gestion commerciale, même si elle conduit à une perte, ne les exposera pas systématiquement à un contentieux douanier, pourvu qu’ils soient en mesure de documenter rigoureusement la transaction d’importation initiale. La solution retenue par la Cour équilibre ainsi la nécessaire lutte contre la fraude douanière et la préservation de la liberté d’entreprendre, en évitant que le pouvoir de contrôle des autorités ne se transforme en un jugement sur l’opportunité des choix commerciaux de l’importateur.

II. La méthode de détermination de la valeur en douane en cas d’échec de la preuve

Lorsque la réalité du prix déclaré n’est pas établie, la Cour de justice précise la marche à suivre par les autorités douanières. Elle impose le recours aux méthodes de droit commun du code des douanes (A), garantissant par là une procédure contradictoire et prévisible pour l’opérateur (B).

A. Le renvoi aux méthodes de droit commun du code des douanes

La Cour écarte l’application d’un prix représentatif forfaitaire qui serait prévu par le règlement sectoriel pour privilégier l’application des règles générales du code des douanes. En cas d’échec de l’importateur à prouver la réalité du prix déclaré, les autorités douanières doivent « écarter ce prix et recourir aux méthodes de détermination de la valeur en douane des marchandises importées, prévues aux articles 29 à 31 du règlement (cee) n o 2913/92 du Conseil ». La Cour rappelle ainsi la hiérarchie des normes et des méthodes en matière de valeur en douane. L’article 29 du code des douanes établit la valeur transactionnelle comme méthode principale. À défaut, les articles 30 et 31 prévoient des méthodes subsidiaires fondées sur la valeur transactionnelle de marchandises identiques ou similaires, la méthode de la valeur déductive, ou celle de la valeur calculée. Ce renvoi à un cadre juridique structuré et hiérarchisé empêche les autorités de recourir à une solution de facilité qui consisterait à appliquer une valeur forfaitaire potentiellement déconnectée de la réalité économique de l’opération.

B. La garantie d’une procédure contradictoire et prévisible pour l’importateur

Le choix d’imposer le recours aux méthodes prévues par le code des douanes constitue une garantie fondamentale pour les droits des importateurs. Chacune de ces méthodes repose sur des critères objectifs et vérifiables, ce qui permet à l’opérateur de comprendre le calcul effectué par l’administration et, le cas échéant, de le contester sur des bases précises. Cette approche s’oppose à l’application d’un prix représentatif qui, par sa nature forfaitaire, peut s’avérer arbitraire et difficilement contestable. En réaffirmant la primauté du code des douanes, la Cour de justice assure que la détermination de la valeur en douane reste une procédure encadrée et contradictoire, même lorsque la valeur déclarée par l’importateur a été rejetée. Cette solution renforce la prévisibilité du droit douanier et la protection des opérateurs contre des décisions administratives qui ne seraient pas suffisamment motivées et fondées sur une base légale solide et ordonnée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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