Cour de justice de l’Union européenne, le 11 mars 2021, n°C-400/19

Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité d’une législation nationale avec le droit de l’Union en matière d’organisation commune des marchés des produits agricoles. Cette décision illustre la primauté du droit de l’Union et la portée des compétences exclusives de ses institutions dans un domaine hautement intégré.

En l’espèce, un État membre avait adopté une loi nationale interdisant certaines pratiques commerciales jugées déloyales, laquelle avait pour effet de restreindre les modalités de détermination des prix de vente pour les produits agricoles et alimentaires. Estimant que cette législation nationale portait atteinte aux règles établies par le règlement (UE) n° 1308/2013, une institution de l’Union a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement à l’encontre de cet État. Les prétentions de l’institution requérante soutenaient que la réglementation nationale créait une entrave au principe de libre formation des prix, principe qui constitue le fondement de l’organisation commune des marchés. L’État membre, pour sa part, justifiait vraisemblablement sa législation par la nécessité de protéger les fournisseurs contre des pratiques abusives.

Le problème de droit soumis à la Cour était donc de déterminer si un État membre peut, par sa législation interne, imposer des restrictions à la fixation des prix de vente de produits agricoles couverts par une organisation commune des marchés, sans méconnaître les obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que l’État membre a effectivement manqué à ses obligations. Elle déclare que la loi nationale, en restreignant les mécanismes de détermination des prix, est contraire au règlement portant organisation commune des marchés. Cette solution, qui réaffirme avec force l’exclusivité de la compétence de l’Union dans ce domaine, s’articule autour de la confirmation de la liberté des prix comme principe directeur (I) et emporte des conséquences significatives sur l’autonomie normative des États membres (II).

I. La sanctuarisation du principe de libre formation des prix

La Cour, par sa décision, réaffirme que la libre détermination des prix est un élément central de l’organisation commune des marchés agricoles, rendant toute intervention nationale unilatérale incompatible avec le droit de l’Union. Cette position repose sur une conception stricte du partage des compétences, où la réglementation européenne est censée occuper l’intégralité du champ normatif (A), ce qui conduit logiquement à la censure de l’initiative nationale (B).

A. La liberté des prix, clef de voûte de l’organisation commune des marchés

Le règlement (UE) n° 1308/2013 établit un cadre complet pour le marché des produits agricoles, visant à assurer son fonctionnement harmonieux par le jeu de l’offre et de la demande. Au cœur de ce dispositif se trouve le principe selon lequel les prix doivent, sauf exceptions prévues par le règlement lui-même, résulter de la confrontation des acteurs économiques. L’intervention d’un État membre par voie législative pour encadrer ou limiter cette liberté contrevient directement à l’objectif d’un marché unifié et concurrentiel. La Cour rappelle ainsi que l’harmonisation réalisée par le règlement a pour but de substituer un mécanisme commun aux diverses interventions nationales qui pourraient fausser la concurrence et fragmenter le marché intérieur.

En effet, la politique agricole commune repose sur l’idée que seuls des instruments adoptés au niveau de l’Union peuvent garantir une stabilité des marchés et des revenus équitables pour les agriculteurs, sans pour autant entraver la libre circulation des marchandises. Permettre à un État membre de fixer unilatéralement les règles de détermination des prix, même avec l’intention de corriger des déséquilibres, reviendrait à nier l’efficacité et la suprématie du cadre juridique commun. La décision commentée réitère donc une jurisprudence constante selon laquelle, dans un domaine couvert par une organisation commune de marché, les États membres ne disposent plus de la faculté d’adopter des mesures unilatérales affectant le mécanisme de formation des prix.

B. La caractérisation de l’entrave à l’effet utile du droit de l’Union

La Cour constate que la législation nationale litigieuse, en « restreignant […] les modalités de détermination des prix de vente des produits agricoles et alimentaires », constitue une violation des obligations découlant du règlement. L’analyse de la Cour est formelle : peu importent les objectifs poursuivis par la loi nationale, tels que la lutte contre des pratiques déloyales. Dès lors que la mesure affecte un élément essentiel de l’organisation commune des marchés, à savoir la formation des prix, elle est réputée incompatible avec le droit de l’Union. Cette approche garantit l’effet utile du règlement, qui serait compromis si les États membres pouvaient y déroger au gré de leurs politiques internes.

Le manquement est ainsi caractérisé par la simple existence d’une norme nationale qui interfère avec le champ d’application du règlement européen. La Cour n’examine pas si, en pratique, la restriction est significative ou si elle produit des effets bénéfiques sur un autre plan. Le seul fait d’avoir légiféré dans un domaine où la compétence a été transférée à l’Union suffit à constituer le manquement. Cette position rigoureuse est essentielle pour préserver l’intégrité du marché intérieur et assurer une application uniforme du droit de l’Union sur tout son territoire.

La condamnation de l’État membre n’est donc pas seulement la résolution d’un litige technique ; elle revêt une portée plus large en réaffirmant la hiérarchie des normes et la répartition des compétences qui structurent l’ordre juridique de l’Union.

II. La portée de la décision : une réaffirmation de la compétence quasi exclusive de l’Union

Au-delà de la question spécifique des prix, cet arrêt a une portée considérable en ce qu’il délimite de manière stricte l’autonomie des États membres dans les secteurs régis par une politique commune. Il confirme la limitation de leur marge de manœuvre (A) et renforce par conséquent l’autorité de la politique agricole commune (B).

A. Une marge de manœuvre nationale drastiquement réduite

La décision commentée illustre parfaitement le peu de latitude laissé aux États membres dans les domaines où l’Union a exercé sa compétence. Bien que la politique agricole soit une compétence partagée, l’adoption d’une organisation commune des marchés aussi détaillée que celle prévue par le règlement n° 1308/2013 équivaut, en pratique, à une préemption quasi totale du domaine par l’Union. Les États ne peuvent intervenir que dans les espaces expressément laissés vacants par le législateur de l’Union ou sur habilitation spécifique de celui-ci. Toute autre initiative est perçue comme une atteinte à l’uniformité et à la primauté du droit de l’Union.

Cette approche, si elle peut paraître rigide, est la conséquence logique de l’intégration poussée du marché agricole. Elle vise à prévenir une renationalisation rampante des politiques sectorielles qui mettrait en péril les acquis de plus d’un demi-siècle de construction européenne. La valeur de cet arrêt réside ainsi dans son message clair : la poursuite d’objectifs nationaux, même légitimes, ne peut se faire au détriment des règles communes qui garantissent l’égalité de traitement et des conditions de concurrence équitables à travers l’Union. La protection des fournisseurs, si elle est souhaitable, doit être recherchée par des mécanismes compatibles avec le cadre européen, voire par une adaptation de ce dernier.

B. La consolidation de l’intégrité de la politique agricole commune

En censurant la mesure nationale, la Cour de justice joue son rôle de gardienne des traités et de l’intégrité du droit de l’Union. Cet arrêt aura une portée préventive, en dissuadant d’autres États membres qui seraient tentés d’adopter des législations similaires pour répondre à des pressions politiques ou économiques internes. Il s’agit donc d’un arrêt de principe qui rappelle que la politique agricole commune forme un tout cohérent dont l’équilibre ne saurait être perturbé par des interventions unilatérales.

La solution retenue a pour effet de consolider l’architecture de la politique agricole commune en confirmant que sa gestion relève de la seule compétence des institutions de l’Union. Elle garantit que les ajustements nécessaires pour faire face aux nouveaux défis, tels que le pouvoir de négociation de la grande distribution ou la volatilité des prix, doivent être débattus et adoptés au niveau européen. En définitive, cette décision réaffirme que l’efficacité du marché unique agricole dépend de la discipline collective des États membres et du respect scrupuleux des compétences exclusives attribuées à l’Union dans ce secteur stratégique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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