Cour de justice de l’Union européenne, le 11 mars 2021, n°C-802/19

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 mars 2021, une décision relative à l’ajustement de la base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée. Une société exploitant une pharmacie dans un État membre livre des médicaments à destination d’une caisse d’assurance maladie obligatoire située dans un autre État membre. Cette entreprise accorde des rabais financiers aux assurés sociaux lors de la délivrance de produits pharmaceutiques soumis à une prescription médicale obligatoire sur le territoire de destination.

L’administration fiscale refuse à l’officine le droit de réduire sa base d’imposition à raison des remises accordées aux bénéficiaires de la couverture de santé obligatoire. Le litige est porté devant le tribunal des finances puis devant la Cour fédérale des finances qui décide de solliciter une interprétation préjudicielle du droit européen. La juridiction de renvoi s’interroge sur la possibilité pour l’assujetti de diminuer sa dette fiscale lorsque l’opération initiale bénéficie d’une exonération au titre des livraisons intracommunautaires.

La question posée aux juges porte sur l’application de l’article 90 de la directive relative au système commun de taxe dans une telle configuration de distribution. La Cour répond qu’une pharmacie ne peut réduire sa base d’imposition dès lors que la livraison principale est exonérée de taxe dans l’État membre de départ. Cette interprétation repose sur l’absence de base taxable préalable susceptible de régularisation et sur l’étanchéité nécessaire entre les différentes opérations économiques réalisées par un même assujetti.

I. L’exigence fondamentale d’une base d’imposition préalable

A. L’absence d’opération taxable pour le fournisseur initial

Le mécanisme de régularisation prévu par le droit de l’Union suppose l’existence d’une taxe initialement collectée par l’assujetti lors de la réalisation d’une opération économique. L’article 90 de la directive 2006/112 prévoit qu’en cas de « réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence ». Cette disposition exige logiquement que l’opération de livraison ait généré une dette fiscale dont le montant peut être rectifié suite à un événement postérieur au contrat.

Dans cette affaire, la livraison effectuée par l’officine à la caisse d’assurance maladie constitue une opération intracommunautaire légalement exonérée dans l’État membre de départ des produits. L’entreprise ne dispose donc d’aucune base d’imposition sur laquelle appliquer une quelconque diminution au titre des rabais versés ultérieurement aux bénéficiaires finaux de ces prestations. La Cour souligne que « dans la mesure où l’assujetti ne dispose pas de base d’imposition qui pourrait faire l’objet d’une régularisation », le bénéfice de la réduction est exclu.

B. L’interdiction de compensations entre opérations distinctes

Le système commun de taxe repose sur un principe de spécificité interdisant de lier artificiellement des opérations indépendantes pour modifier la charge fiscale globale pesant sur l’entreprise. L’officine prétendait imputer la réduction de prix accordée aux assurés obligatoires sur la base taxable de ses ventes réalisées auprès de clients bénéficiant d’une assurance de nature privée. Une telle pratique méconnaît les règles de calcul de la taxe qui imposent d’évaluer chaque livraison de manière autonome en fonction de ses caractéristiques propres de taxation.

Les juges affirment avec clarté que « l’imputation de la réduction de la base d’imposition relative à une opération sur le calcul de la base d’imposition d’une autre opération […] est exclue ». Cette solution garantit que la taxe perçue par l’administration fiscale correspond exactement à la contrepartie réellement reçue par l’assujetti pour chaque opération imposable identifiée séparément. L’impossibilité de régulariser une opération exonérée ne saurait justifier une diminution de la taxe due pour des livraisons soumises au régime de droit commun de l’imposition.

II. Le cantonnement rigoureux de la jurisprudence antérieure

A. La nécessité d’un circuit de distribution intégralement assujetti

La société invoquait le bénéfice d’une solution jurisprudentielle classique permettant au premier maillon d’une chaîne de distribution de réduire sa base d’imposition en cas de rabais. Selon cette doctrine, la base taxable doit être diminuée de la réduction de prix accordée au consommateur final afin d’éviter que l’administration ne perçoive une somme indue. Toutefois, cette règle ne s’applique que si le fabricant ou le distributeur a effectivement acquitté une taxe au titre de l’opération dont il demande la modification.

La Cour écarte l’application de ce précédent en relevant que les conditions de formation d’une chaîne d’opérations imposable ne sont pas réunies dans l’espèce soumise à son examen. Puisque la première livraison n’a donné lieu à aucune perception de taxe par l’État de départ, il n’existe aucun risque de perception excessive de la part des autorités. L’examen d’une éventuelle chaîne de distribution devient superflu dès lors que le point de départ de la transaction échappe par nature au champ de l’imposition effective.

B. La préservation de la cohérence du système commun de taxe

La décision assure la neutralité fiscale en empêchant un assujetti d’obtenir un avantage indu par le biais d’une réduction de taxe sur des opérations pourtant déjà exonérées. Si l’entreprise pouvait déduire des rabais sur des livraisons non taxées, elle réduirait artificiellement sa contribution fiscale globale au détriment des recettes publiques de l’État. Le respect de l’égalité de traitement entre les opérateurs économiques impose que les règles de réduction de la base d’imposition soient appliquées avec une grande rigueur.

Cette approche confirme que le droit à réduction de la base taxable est strictement accessoire à l’existence d’une dette fiscale certaine et préalablement établie lors de l’opération. La solution retenue protège l’intégrité du système européen contre des tentatives de manipulation comptable des bases d’imposition entre différents régimes de taxation prévus par les textes. Les juges rappellent ainsi que la réalité économique des rabais ne peut primer sur la structure juridique des opérations de livraison choisies par les opérateurs économiques.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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