Par un arrêt en date du 11 novembre 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours de la notion de déchet, telle qu’elle est définie par la directive 75/442/CEE. En l’espèce, le responsable légal d’une société avait fait l’objet de poursuites pénales en Italie pour avoir exercé une activité de gestion de déchets sans l’autorisation requise. Il lui était reproché le transport de matériaux ferreux, issus de la démolition de machines et de la collecte d’objets mis au rebut, sans être en possession du formulaire d’identification des déchets prévu par la législation nationale. La procédure a connu un tournant avec l’intervention d’un décret-loi national postérieur aux faits, proposant une « interprétation authentique » de la notion de déchet. Cette nouvelle législation nationale tendait à exclure de cette qualification les résidus de production ou de consommation destinés à être réutilisés, ce qui aurait eu pour effet de mettre un terme aux poursuites. Face à l’incertitude quant à la compatibilité de cette interprétation restrictive avec le droit communautaire, le tribunal de Terni a saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. Il était demandé à la Cour si la notion de déchet, et plus particulièrement l’acte de « se défaire », pouvait être limitée aux seules opérations d’élimination ou de valorisation prévues par les annexes de la directive, et si les résidus réutilisables pouvaient être systématiquement exclus de cette qualification. La Cour répond par la négative à ces deux interrogations. Elle rappelle ainsi la portée extensive de la qualification de déchet, subordonnée à l’acte de se défaire (I), tout en encadrant strictement les conditions permettant à un résidu d’échapper à cette qualification (II).
I. LE MAINTIEN D’UNE CONCEPTION EXTENSIVE DE LA NOTION DE DÉCHET
La Cour de justice clarifie d’abord l’interprétation du verbe « se défaire », en rejetant une approche qui lierait de manière indissociable la notion de déchet à des opérations de traitement prédéfinies. Elle réaffirme que la qualification doit être guidée par la finalité de protection environnementale de la directive, ce qui impose une acception large de l’acte d’abandon.
A. Le rejet d’une définition du déchet limitée aux seules opérations de valorisation ou d’élimination
La Cour écarte l’interprétation proposée par la législation nationale, qui assimilait l’acte de « se défaire » à la soumission d’une substance à une opération d’élimination ou de valorisation. Elle souligne le caractère tautologique d’un tel raisonnement. En effet, « en définissant l’action de se défaire d’une substance ou d’un objet à partir de la seule mise en œuvre d’une opération d’élimination ou de valorisation […], cette interprétation fait dépendre la qualification de déchet d’une opération qui ne peut elle-même recevoir sa qualification d’élimination ou de valorisation que si elle s’applique à un déchet ». Une telle approche est privée de toute utilité pour définir la notion même de déchet.
De surcroît, la Cour relève qu’une interprétation aussi restrictive aurait pour conséquence de réduire indûment le champ d’application de la directive. D’une part, elle pourrait conduire à qualifier de déchets des substances qui n’en sont pas, comme un combustible utilisé pour sa finalité énergétique. D’autre part, et surtout, elle exclurait de la qualification de déchet toute substance ou tout objet abandonné dans l’environnement sans être dirigé vers une filière de traitement spécifique. Or, l’article 4 de la directive distingue clairement l’abandon de l’élimination en imposant aux États membres de prendre « les mesures nécessaires pour interdire l’abandon, le rejet et l’élimination incontrôlée des déchets ». L’acte de se défaire est donc une notion plus large qui englobe l’abandon pur et simple, indépendamment de toute opération ultérieure.
B. La finalité environnementale comme clé d’interprétation de l’acte de se défaire
Le raisonnement de la Cour est entièrement sous-tendu par l’objectif de la directive, qui est « la protection de la santé de l’homme et de l’environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt des déchets ». Cette finalité, combinée à l’article 174 du traité CE qui consacre les principes de précaution et d’action préventive, impose d’interpréter largement la notion de déchet afin de garantir un niveau de protection élevé. C’est la volonté ou l’obligation pour le détenteur de se défaire d’une substance qui constitue le critère central, et non la destination effective de cette dernière.
L’absence de critère précis dans la directive pour déceler cette intention laisse une marge d’appréciation aux États membres pour choisir les modes de preuve, mais cette liberté ne peut porter atteinte à l’effet utile de la directive. En refusant de lier la définition du déchet à une liste fermée d’opérations, la Cour préserve l’efficacité du dispositif de contrôle. Toute substance dont un détenteur se sépare, quelle qu’en soit la modalité, doit potentiellement être considérée comme un déchet afin que sa gestion soit encadrée pour prévenir les risques environnementaux.
II. L’ENCADREMENT STRICT DE L’EXCLUSION DES RÉSIDUS DE LA QUALIFICATION DE DÉCHET
Après avoir posé le principe d’une interprétation large, la Cour se penche sur les exceptions possibles à cette qualification, notamment pour les résidus susceptibles d’être réutilisés. Elle admet la catégorie des sous-produits pour les résidus de production sous des conditions très strictes, mais refuse d’étendre cette logique aux résidus de consommation ou aux matières premières secondaires qui, comme la ferraille en l’espèce, restent des déchets jusqu’à leur recyclage complet.
A. L’admission conditionnée de la qualification de sous-produit pour les résidus de production
La Cour reconnaît qu’un résidu de production n’est pas nécessairement un déchet. Reprenant sa jurisprudence antérieure, elle admet qu’un « bien, un matériau ou une matière première résultant d’un processus de fabrication ou d’extraction qui n’est pas destiné principalement à le produire » peut être qualifié de sous-produit. Toutefois, cette qualification est soumise à des conditions cumulatives très restrictives afin d’éviter de vider la notion de déchet de sa substance.
Pour échapper à la qualification de déchet, la réutilisation du matériau doit être « non pas seulement éventuelle, mais certaine, sans transformation préalable, et dans la continuité du processus de production ». Le critère de la certitude de la réutilisation, souvent attesté par un avantage économique pour le détenteur, est déterminant. Il permet de distinguer un authentique produit d’une charge dont le détenteur chercherait à se défaire. Ainsi, seul un résidu qui peut être réinjecté dans un circuit économique sans traitement autre que les pratiques industrielles courantes peut être considéré comme un sous-produit.
B. Le refus d’étendre la notion de sous-produit aux résidus de consommation et aux matières premières secondaires
La Cour juge que la législation nationale en cause va bien au-delà de la stricte théorie du sous-produit. En prévoyant d’exclure de la notion de déchet tout résidu de production ou de consommation qui « peut être ou est effectivement et objectivement réutilisé », y compris après un traitement préalable, elle crée une exception beaucoup trop large. Cette interprétation est en contradiction directe avec la définition et les objectifs de la directive.
Appliquant son raisonnement aux faits de l’espèce, la Cour constate que les matériaux ferreux saisis ne peuvent être considérés comme des sous-produits. Provenant de la démolition ou de la mise au rebut, ils constituent des résidus de consommation dont les détenteurs se sont défaits. Leur destination à la sidérurgie en tant que matière première secondaire ne leur ôte pas leur qualité de déchet. La Cour précise à cet égard un point essentiel : « Dans un tel contexte, ils doivent cependant rester qualifiés de déchets jusqu’à avoir été effectivement recyclés en produits sidérurgiques, c’est-à-dire jusqu’à constituer les produits achevés du processus de transformation auquel ils sont destinés ». La qualification de déchet persiste donc tout au long des opérations de tri et de traitement, et ne cesse qu’au moment où une nouvelle matière première ou un nouveau produit est créé. La simple potentialité de réutilisation, même après traitement, ne suffit pas à déqualifier un déchet.