Cour de justice de l’Union européenne, le 11 novembre 2015, n°C-219/14

Un salarié a été engagé par son employeur et, au cours de la relation de travail, son temps de travail a été modifié, passant d’un régime à temps partiel à un régime à temps plein. Un litige est né quant aux modalités de calcul des droits à congé annuel payé acquis par le salarié durant sa période d’activité à temps partiel. Saisie du litige, une juridiction britannique a décidé de surseoir à statuer afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait pour la juridiction de renvoi de savoir si le droit de l’Union, et plus particulièrement la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail ainsi que l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, devaient être interprétés en ce sens qu’ils imposent ou, au contraire, interdisent, qu’un droit à congé annuel acquis soit recalculé à la suite d’une augmentation du temps de travail. La question se posait également de savoir si les modalités de calcul de ces droits différaient selon que la relation de travail était maintenue ou qu’elle avait pris fin. En réponse, la Cour de justice a jugé que les États membres ne sont pas tenus de prévoir un recalcul rétroactif des droits à congé annuel déjà acquis en cas d’augmentation du temps de travail, mais qu’un nouveau calcul doit être effectué pour la période durant laquelle le temps de travail a effectivement augmenté. Elle a par ailleurs précisé que les principes de calcul de ces droits demeurent identiques, que ce soit pour déterminer un solde de congés en cours de contrat ou une indemnité compensatrice après la rupture.

La solution apportée par la Cour clarifie la méthode de calcul des droits à congé en cas de modification du temps de travail (I), tout en réaffirmant la nature de standard minimal des normes européennes en la matière (II).

I. La clarification de la méthode de calcul des droits à congé

La Cour de justice de l’Union européenne établit une méthode de calcul rigoureuse fondée sur une distinction claire des périodes de travail (A) et sur une application cohérente des principes de calcul, que la relation de travail soit maintenue ou non (B).

A. Une méthode de calcul fondée sur la distinction des périodes de travail

La Cour précise que les droits au congé annuel payé se constituent et doivent être évalués en fonction du rythme de travail défini par le contrat de travail. Ainsi, lorsqu’un salarié voit son temps de travail modifié, il convient de ne pas confondre les différentes périodes. La Cour énonce clairement qu’« il s’ensuit que, pour ce qui est de la constitution des droits au congé annuel payé, il convient de distinguer les périodes au cours desquelles le salarié travaillait selon des rythmes de travail différents ». Cette approche a pour conséquence directe que le volume des droits à congé acquis ne saurait être modifié de manière rétroactive. Le droit au congé annuel acquis par un salarié durant une période de travail à temps plein, par exemple, ne saurait être réduit s’il passe ultérieurement à un travail à temps partiel. La Cour étend ce raisonnement au cas d’espèce, où le temps de travail augmente, en refusant une réévaluation du droit déjà constitué. Cette solution garantit une sécurité juridique en attachant l’acquisition d’un droit à des conditions temporelles précises, empêchant ainsi qu’une modification ultérieure du contrat de travail n’ait d’effet sur un droit déjà consolidé dans le patrimoine du salarié.

B. Une application cohérente des principes de calcul

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la nécessité d’adopter une approche différente pour le calcul des droits selon qu’il s’agissait d’une indemnité compensatrice de congé non pris à la fin du contrat ou du calcul d’un solde de congés en cours de contrat. La Cour répond par la négative, affirmant que la méthode de calcul doit reposer sur des principes identiques dans les deux situations. Elle juge que « le calcul des droits au congé annuel payé doit être effectué selon les mêmes principes, qu’il s’agisse de déterminer l’indemnité compensatrice pour congé annuel payé non pris due dans le cas où il est mis fin à la relation de travail ou le solde des droits au congé annuel payé en cas de maintien de la relation de travail ». Cette position assure une cohérence et une prévisibilité dans l’application du droit au congé payé. Le calcul de l’indemnité financière, qui vise à placer le travailleur dans une situation comparable à celle où il aurait pris ses congés, doit logiquement se fonder sur les mêmes règles que celles qui régissent l’acquisition de ces congés. La Cour rappelle que la rémunération ordinaire du travailleur est déterminante et que le moment où le calcul intervient est en principe sans pertinence, sauf complexité particulière de la rémunération nécessitant une analyse spécifique par le juge national.

II. La portée limitée de l’obligation européenne

La Cour, tout en fixant une méthode de calcul, rappelle qu’il n’existe aucune obligation de recalcul rétroactif en droit de l’Union (A), ce qui confirme la faculté pour les États membres d’adopter des dispositions plus protectrices pour les travailleurs (B).

A. L’absence d’obligation de recalcul rétroactif

La réponse principale de la Cour aux questions préjudicielles est qu’aucune norme européenne n’impose aux États membres de recalculer les droits à congé acquis en cas d’augmentation du temps de travail. La Cour énonce que les textes pertinents « doivent être interprétés en ce sens que, en cas d’augmentation du nombre d’heures de travail effectuées par un travailleur, les États membres n’ont pas l’obligation de prévoir que les droits au congé annuel payé déjà acquis, et éventuellement pris, soient recalculés rétroactivement en fonction du nouveau rythme de travail dudit travailleur ». Cette solution s’appuie sur le fait que le principe du *pro rata temporis*, applicable au travail à temps partiel, ne peut être appliqué *ex post* à un droit déjà acquis dans d’autres conditions. Imposer un recalcul reviendrait à donner un effet rétroactif à la nouvelle organisation du temps de travail, ce qui serait contraire à la logique d’acquisition progressive des droits. La Cour précise cependant qu’un nouveau calcul est nécessaire, mais uniquement pour la période de travail suivant l’augmentation des heures, ce qui est une application directe de sa méthode de distinction des périodes.

B. La faculté maintenue d’adopter des dispositions plus favorables

La Cour ne se contente pas de dire ce que le droit de l’Union n’impose pas ; elle précise également ce qu’il n’interdit pas. Elle juge en effet que si les dispositions européennes « n’exigent donc pas des États membres qu’ils procèdent à un nouveau calcul des droits au congé annuel déjà constitués », elles « ne s’opposent pas non plus à ce que les États membres adoptent des dispositions plus favorables aux travailleurs et procèdent à un tel nouveau calcul ». Cette affirmation est fondamentale, car elle rappelle que la directive sur le temps de travail et l’accord-cadre sur le travail à temps partiel établissent des normes minimales de protection. Les États membres conservent donc toute latitude pour aller au-delà de ce socle et pour instaurer, par la loi ou la négociation collective, un mécanisme de recalcul des droits à congé qui serait plus avantageux pour le salarié. Cette solution respecte la diversité des systèmes de relations sociales en Europe et confirme que le droit de l’Union, en matière sociale, vise à harmoniser par le bas tout en encourageant les progrès nationaux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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