Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les modalités de calcul des seuils de déclenchement de la procédure d’information et de consultation applicable aux licenciements collectifs, telle qu’encadrée par la directive 98/59/CE. En l’espèce, un employeur avait procédé à plusieurs licenciements individuels pour des motifs économiques et de production sur une courte période. Simultanément, d’autres contrats de travail avaient pris fin pour diverses raisons, notamment l’arrivée à leur terme, des départs volontaires, ainsi qu’une rupture initiée par une salariée à la suite d’une modification unilatérale substantielle de sa rémunération par l’employeur. Un travailleur licencié a saisi la juridiction nationale en soutenant que le nombre total de cessations de contrats sur la période de référence de quatre-vingt-dix jours aurait dû conduire l’employeur à suivre la procédure applicable aux licenciements collectifs. Le juge national, le tribunal du travail de Barcelone, a alors sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice de clarifier l’interprétation de plusieurs notions clés de la directive. Il s’agissait de déterminer si les travailleurs en contrat à durée déterminée devaient être inclus dans l’effectif de référence de l’entreprise, comment interpréter la condition d’un minimum de cinq licenciements pour assimiler d’autres formes de rupture à des licenciements, et enfin, si une rupture de contrat initiée par un salarié en réaction à une modification unilatérale imposée par l’employeur constituait un licenciement au sens de la directive. La Cour de justice a jugé que les travailleurs titulaires d’un contrat à durée déterminée doivent être inclus dans le calcul de l’effectif habituel de l’établissement, que le seuil de cinq licenciements nécessaire pour l’assimilation d’autres ruptures ne concerne que les licenciements au sens strict, et qu’une rupture résultant d’une modification unilatérale et substantielle du contrat par l’employeur doit être qualifiée de licenciement.
Il convient d’analyser la manière dont la Cour de justice précise le périmètre de calcul du licenciement collectif (I), avant d’examiner la portée de sa définition matérielle du licenciement (II).
I. La clarification du périmètre de calcul du licenciement collectif
La Cour de justice adopte une interprétation extensive de la base de calcul des effectifs de l’entreprise, tout en retenant une approche restrictive du seuil de déclenchement des règles d’assimilation.
A. L’inclusion des travailleurs à durée déterminée dans l’effectif de référence
La Cour de justice considère que la notion de travailleur habituellement employé doit être interprétée largement. Elle rappelle que la notion de « travailleur » au sens du droit de l’Union « ne peut être définie par un renvoi aux législations des États membres, mais doit trouver une interprétation autonome et uniforme dans l’ordre juridique de l’Union ». Cette interprétation se fonde sur des critères objectifs caractérisant la relation de travail, à savoir la fourniture d’une prestation sous la direction d’une autre personne en contrepartie d’une rémunération. Dès lors que les contrats à durée déterminée répondent à cette définition, les titulaires de ces contrats doivent être considérés comme des travailleurs au sens de la directive.
La Cour précise ensuite que l’adverbe « habituellement » ne permet pas d’exclure une catégorie de travailleurs en fonction de la nature de leur contrat. Elle juge qu’une interprétation contraire « est susceptible de priver l’ensemble des travailleurs occupés par cet établissement des droits qui leur sont reconnus par ladite directive et porterait dès lors atteinte à l’effet utile de cette dernière ». En refusant de distinguer selon la durée d’engagement, la Cour prévient les stratégies d’entreprise qui viseraient à moduler l’effectif par le recours à des contrats précaires pour se soustraire aux obligations liées aux licenciements collectifs. Cette solution assure une protection effective des droits de tous les travailleurs de l’établissement.
B. La distinction entre l’effectif de l’entreprise et les ruptures décomptées
La Cour de justice valide la distinction entre les travailleurs pris en compte pour calculer l’effectif total d’un établissement et ceux dont la cessation du contrat est décomptée comme un licenciement. Elle écarte l’argument selon lequel il serait contradictoire d’inclure les travailleurs à durée déterminée dans l’effectif global tout en excluant la fin de leur contrat du décompte des licenciements. La Cour explique cette différence de traitement par les « finalités distinctes poursuivies par le législateur de l’Union ». D’une part, l’exclusion des fins de contrats à durée déterminée du calcul des licenciements repose sur l’idée que ces travailleurs n’ont pas besoin de la même protection, leur contrat prenant fin de manière prévisible.
D’autre part, la prise en compte de ces mêmes travailleurs dans l’effectif total vise à évaluer la taille réelle de l’établissement pour ne pas imposer aux employeurs « une charge démesurée par rapport à la taille de leur établissement ». Pour ce calcul, « la nature de la relation d’emploi est dénuée de pertinence ». Cette dissociation méthodologique permet de concilier la protection des salariés face à une restructuration d’ampleur avec la nécessité de ne pas faire peser des contraintes procédurales excessives sur les petites structures.
II. La consolidation d’une conception matérielle du licenciement
La Cour de justice adopte une interprétation stricte du seuil numérique déclenchant l’assimilation des autres ruptures, mais promeut une approche substantielle pour qualifier une rupture de licenciement.
A. L’interprétation littérale du seuil de déclenchement de l’assimilation
Interrogée sur la règle d’assimilation prévue par la directive, la Cour opte pour une lecture littérale du texte. La directive dispose que pour le calcul du nombre de licenciements, d’autres formes de cessation du contrat de travail sont assimilées aux licenciements « pour autant que les licenciements sont au moins au nombre de cinq ». La Cour juge qu’il « ressort sans ambiguïté du libellé même » de cette disposition que la condition des cinq licenciements « ne vise que les “licenciements”, à l’exclusion des cessations de contrats assimilées à un licenciement ».
Cette interprétation évite un raisonnement circulaire où des ruptures assimilées pourraient elles-mêmes servir à atteindre le seuil nécessaire à leur propre assimilation. En exigeant un noyau dur de cinq licenciements « véritables », la Cour établit un critère clair et objectif qui renforce la sécurité juridique. Cette approche garantit que le mécanisme d’assimilation, qui étend la protection de la directive, ne soit activé qu’en présence d’un nombre certain de ruptures directement imputables à une décision de l’employeur et qualifiées de licenciements au sens strict.
B. L’approche substantielle de la rupture du contrat de travail
Enfin, la Cour se prononce sur le cas d’une salariée ayant demandé la résiliation de son contrat après que son employeur lui a imposé une baisse de 25 % de sa rémunération. Formellement initiée par la salariée, cette rupture aurait pu échapper à la qualification de licenciement. La Cour écarte cependant cette analyse formaliste en retenant que la cessation de la relation de travail « trouve son origine dans le changement unilatéral apporté par l’employeur à un élément substantiel du contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de cette travailleuse ».
La Cour rappelle que la notion de licenciement doit être interprétée comme englobant « toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement ». Elle affirme que le fait pour un employeur de procéder, « unilatéralement et au détriment du travailleur, à une modification substantielle des éléments essentiels de son contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de ce travailleur relève de la notion de “licenciement” ». En regardant au-delà de l’initiative formelle de la rupture pour en identifier la cause réelle et la contrainte subie par le salarié, la Cour adopte une approche matérielle qui préserve l’effet utile de la directive et empêche son contournement.