La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 novembre 2021, une décision fondamentale relative à la qualification juridique du temps de travail. Ce litige opposait un sapeur-pompier réserviste à son employeur public à propos de la nature des périodes de garde effectuées sous régime d’astreinte. Le travailleur devait rejoindre sa caserne dans un délai maximal de dix minutes en cas d’appel d’urgence pour participer aux interventions de secours. Il bénéficiait toutefois de l’autorisation d’exercer une activité de chauffeur de taxi pour son propre compte durant ces mêmes périodes de garde. La juridiction nationale fut saisie d’un recours après le rejet d’une réclamation tendant à la qualification de ces heures en temps de travail. Elle décida alors de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive concernant l’aménagement du temps de travail. La question posée visait à déterminer si une période d’astreinte avec un délai de réaction court constitue du temps de travail malgré une activité accessoire. La Cour répond que de telles périodes ne sont pas du temps de travail si les contraintes n’affectent pas significativement la liberté du travailleur.
I. L’appréciation concrète des contraintes pesant sur le travailleur
A. Le critère de l’affectation significative de la liberté individuelle
La Cour rappelle d’abord que les notions de temps de travail et de période de repos sont exclusives l’une de l’autre dans le droit européen. Une période de garde relève du temps de travail si les contraintes imposées « affectent objectivement et très significativement la faculté » du travailleur de gérer son temps. Le juge doit donc vérifier si l’intéressé peut consacrer ces moments à ses propres intérêts sans subir de contraintes majeures durant l’astreinte. Cette approche fonctionnelle privilégie l’intensité des restrictions subies sur la simple disponibilité physique du salarié ou de l’agent public concerné par la mesure.
B. L’incidence du délai de réaction et de la fréquence des interventions
Le délai de réaction imposé pour rejoindre le lieu de travail constitue un élément central de l’analyse globale menée par les juges européens. Un délai limité à quelques minutes impose, en principe, une qualification de temps de travail en raison de la pression constante exercée sur l’intéressé. Toutefois, la Cour précise qu’il faut « évaluer l’impact d’un tel délai de réaction au terme d’une appréciation concrète » tenant compte des facilités accordées. La fréquence moyenne des interventions effectives doit également être prise en compte pour mesurer l’intensité réelle des contraintes pesant sur le sapeur-pompier.
II. La conciliation de l’astreinte avec l’exercice d’une activité accessoire
A. L’activité professionnelle indépendante comme indice de liberté
L’originalité de cet arrêt réside dans l’importance accordée à la possibilité pour le travailleur d’exercer une autre activité professionnelle pour son propre compte. Cette faculté constitue une « indication importante » que le régime d’astreinte ne soumet pas le travailleur à des contraintes majeures durant ses gardes. Si le cadre juridique permet l’exercice effectif d’un second métier, l’impact sur la gestion du temps personnel est alors considéré comme moins contraignant. La juridiction nationale doit vérifier si cette activité accessoire peut être réellement exercée malgré l’obligation de rejoindre la caserne sur simple appel.
B. La persistance d’une obligation de sécurité à la charge de l’employeur
Même si l’astreinte est qualifiée de période de repos, l’employeur reste tenu de protéger la sécurité et la santé des travailleurs selon les directives. Il ne peut instaurer des gardes « à ce point longues ou fréquentes » qu’elles constitueraient un risque pour l’intégrité physique ou mentale de l’agent. Le droit national doit définir les modalités d’application de cette obligation de protection afin d’éviter tout abus dans l’organisation des services d’urgence. Cette décision maintient ainsi un équilibre entre la flexibilité organisationnelle nécessaire aux services de secours et la protection fondamentale de la santé.