Cour de justice de l’Union européenne, le 11 novembre 2021, n°C-340/20

Par un arrêt en date du 11 novembre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée du régime de mesures restrictives adopté à l’encontre de l’Iran. En l’espèce, un créancier cherchait à obtenir une mesure conservatoire sur les avoirs d’une entité dont les fonds étaient gelés en application de plusieurs règlements européens successifs. Cette mesure visait à garantir le paiement d’une créance dont la cause était sans rapport avec les activités de prolifération nucléaire et antérieure à l’instauration des sanctions. Confrontée à l’opposition fondée sur le droit de l’Union, la juridiction nationale saisie du litige a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice.

Il était ainsi demandé si les règlements européens instituant le gel des fonds et des ressources économiques devaient être interprétés comme faisant obstacle à l’octroi, sans autorisation préalable, d’une mesure conservatoire instaurant au profit d’un créancier un droit de paiement prioritaire sur lesdits fonds. La question se posait de savoir si une telle mesure, bien que ne provoquant pas une sortie immédiate d’actifs du patrimoine du débiteur, entrait dans le champ de l’interdiction.

La Cour de justice répond par l’affirmative en énonçant que les règlements « s’opposent à ce que soient diligentées, sur des fonds ou des ressources économiques gelés […], sans autorisation préalable de l’autorité nationale compétente, des mesures conservatoires qui instaurent, au profit du créancier concerné, un droit d’être payé par priorité ». Elle ajoute que la circonstance que la créance soit étrangère au programme nucléaire iranien et antérieure aux sanctions est dépourvue de pertinence.

Cette décision consacre une conception extensive des mesures de gel des avoirs (I), laquelle se justifie par la nécessaire primauté des objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune sur les intérêts privés des créanciers (II).

I. L’interprétation extensive de la notion de gel des avoirs

La Cour adopte une lecture finaliste des règlements, considérant que l’interdiction ne se limite pas aux transferts de fonds mais englobe également les actes préparatoires qui affectent les ressources économiques (A), neutralisant ainsi l’objet même des mesures conservatoires nationales (B).

A. L’interdiction des mesures conservatoires créant un droit de préférence

La solution retenue par la Cour de justice précise le périmètre de la prohibition édictée par les règlements successifs. Le gel des avoirs implique non seulement l’impossibilité de transférer des fonds, mais aussi celle de mettre à disposition de l’entité visée des ressources économiques ou d’en faire usage. En jugeant qu’une mesure conservatoire créant un droit de préférence pour un créancier est contraire à ces dispositions, la Cour établit qu’une telle sûreté constitue en elle-même une forme d’utilisation prohibée des ressources économiques.

Le raisonnement ne s’attache pas à l’effet immédiat de la mesure, qui est de nature purement conservatoire, mais à sa finalité. En octroyant « un droit d’être payé par priorité », la mesure modifie la situation juridique de l’actif gelé en le grevant d’une charge au profit d’un tiers. Elle affecte ainsi la disponibilité future de la ressource, la rendant potentiellement inaccessible pour d’autres usages si le gel venait à être levé, et contrevient à l’objectif de neutralisation complète du patrimoine de l’entité sanctionnée.

B. La neutralisation de la finalité de la mesure conservatoire

La décision met en lumière une tension entre le droit des créanciers à la protection de leurs droits et les impératifs de la sécurité internationale. Une mesure conservatoire a pour objet de garantir l’efficacité future d’une voie d’exécution en rendant un bien indisponible pour le débiteur. Or, dans le contexte des sanctions, l’indisponibilité est déjà la règle, mais elle est organisée au profit de la communauté internationale et non d’un créancier particulier.

En interdisant la constitution d’un droit préférentiel, la Cour de justice préserve l’intégrité du régime de sanctions. Permettre à un créancier de prendre rang avant les autres reviendrait à créer une brèche dans le dispositif de gel, en allouant indirectement une partie de la valeur des actifs gelés à la satisfaction d’un intérêt privé. La Cour réaffirme ainsi que les fonds et ressources visés doivent demeurer intégralement sous le contrôle des autorités compétentes, sans qu’un droit particulier puisse en diminuer la substance ou en orienter l’affectation future.

Cette interprétation rigoureuse se justifie par la place prééminente qu’occupent les objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune dans l’ordre juridique de l’Union.

II. La primauté des objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune

La Cour de justice subordonne clairement le droit de créance individuel à l’efficacité des mesures restrictives (A) et confirme le caractère objectif et impersonnel du régime de sanctions, indifférent à la nature de la créance (B).

A. La subordination du droit de créance à l’efficacité des mesures restrictives

L’arrêt illustre la hiérarchie des intérêts en présence. Le droit d’obtenir le paiement d’une créance, bien que fondamental, doit céder le pas devant les objectifs poursuivis par la politique étrangère et de sécurité commune. Les mesures restrictives à l’encontre de l’Iran visent à prévenir la prolifération nucléaire, un objectif d’intérêt public supérieur qui justifie des limitations significatives aux droits patrimoniaux individuels. L’efficacité, ou l’effet utile, de ces règlements commande d’éviter tout contournement, même indirect.

La Cour rappelle implicitement que le seul tempérament à cette rigueur réside dans la possibilité de solliciter une autorisation de l’autorité nationale compétente. Ce mécanisme dérogatoire permet un contrôle au cas par cas, afin de vérifier si le déblocage partiel des fonds pour le paiement d’une créance spécifique ne compromet pas les finalités du régime de sanctions. En l’absence d’une telle autorisation, l’interdiction demeure absolue, préservant ainsi la cohérence et la force du dispositif.

B. L’indifférence de l’origine et de l’antériorité de la créance

En précisant que « la circonstance que la cause de la créance à recouvrer […] est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) […] n’est pas pertinente », la Cour ancre le caractère objectif des mesures de gel. Celles-ci ne sont pas une sanction de nature pénale visant à punir une faute spécifique, mais un instrument de politique internationale destiné à priver une entité de ses moyens d’action.

Le régime s’applique donc à la totalité des fonds et ressources économiques, indépendamment de leur origine ou de l’historique des transactions. Cette approche empêche des contestations complexes sur la nature de chaque créance, qui paralyseraient l’application des sanctions. La solution est sévère pour les créanciers de bonne foi dont les droits sont nés dans un contexte étranger à toute activité illicite, mais elle est la condition de l’étanchéité et de l’efficience d’un outil essentiel de la diplomatie de l’Union européenne.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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