Cour de justice de l’Union européenne, le 11 novembre 2021, n°C-819/19

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 11 novembre 2021, s’est prononcée sur l’application des règles de concurrence au transport aérien international. Cette décision précise la compétence des juges nationaux pour sanctionner des ententes survenues avant la pleine mise en œuvre du règlement n° 1/2003. Dans cette affaire, des structures de compensation réclamaient l’indemnisation de dommages causés par une coordination tarifaire occulte entre plusieurs transporteurs aériens. Ces pratiques concernaient des liaisons avec des États tiers effectuées entre les années 1999 et 2006 sous l’empire de dispositions transitoires. Les requérants sollicitaient la condamnation solidaire des entreprises impliquées pour obtenir la réparation intégrale des préjudices subis par les expéditeurs de marchandises. Le tribunal d’Amsterdam, par une décision du 18 septembre 2019, s’interrogeait sur sa capacité à appliquer directement les interdictions issues du droit primaire. Les entreprises défenderesses opposaient l’absence de décision préalable des autorités de concurrence pour les périodes où le cadre administratif demeurait alors incomplet. Elles estimaient que l’effet direct de l’article 81 CE ne pouvait être invoqué rétroactivement sans violer le principe fondamental de sécurité juridique. Le juge néerlandais a donc sursis à statuer pour demander si le régime transitoire s’opposait à l’exercice d’une compétence juridictionnelle autonome. La Cour de justice affirme que les juridictions nationales peuvent appliquer les règles de concurrence même en l’absence de constatation administrative préalable. L’analyse de cette solution repose sur la vigueur de l’effet direct des traités avant d’apprécier les garanties de sécurité juridique entourant cette compétence.

I. La confirmation du plein effet direct de l’interdiction des ententes

A. L’autonomie de l’effet direct vis-à-vis des régimes de mise en œuvre

La Cour rappelle que l’interdiction des ententes produit des effets directs immédiats dans les relations entre les particuliers au sein de l’Union. Ces dispositions créent des droits dont les justiciables peuvent se prévaloir devant les tribunaux nationaux sans attendre l’intervention d’une autorité de régulation. La compétence du juge découle directement du traité et ne dépend pas des modalités d’application administrative fixées ultérieurement par le Conseil européen. « l’article 81, paragraphe 1, CE produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendre des droits dans le chef des justiciables ». Cette autonomie assure que les droits patrimoniaux issus des normes européennes bénéficient d’une protection juridictionnelle constante et effective contre les pratiques illicites. Le régime transitoire ne limite pas l’application des interdictions par les magistrats nationaux dans le cadre de litiges relevant du droit privé. Cette autonomie institutionnelle se double d’une application matérielle continue des normes de concurrence à l’ensemble des activités économiques de transport.

B. La permanence de l’applicabilité des règles de concurrence au transport aérien

Le secteur des transports aériens demeure soumis aux règles générales de concurrence depuis l’entrée en vigueur initiale des traités fondateurs de la Communauté. Bien que le législateur ait différé l’adoption de règlements d’application spécifiques pour certaines liaisons internationales, les principes fondamentaux restaient pleinement exécutoires. L’absence de dispositions techniques permettant à la Commission d’agir n’entraînait pas une suspension de l’interdiction de fond frappant les pratiques concertées nuisibles. Les entreprises ne sauraient donc prétendre que leurs comportements échappaient au contrôle judiciaire en raison d’une carence temporaire du cadre réglementaire de mise en œuvre. « Les transports aériens ont, au même titre que les autres modes de transport, été soumis aux règles générales des traités » dès leur origine. La juridiction nationale doit sauvegarder les droits des victimes même lorsque les autorités administratives ne disposaient pas encore des moyens d’investigation nécessaires. Si la compétence du juge national est ainsi confirmée dans son principe, son exercice doit néanmoins respecter les exigences de la sécurité juridique.

II. La conciliation de la compétence juridictionnelle avec les impératifs de sécurité juridique

A. L’absence de risque de décisions contradictoires après l’évolution législative

L’exercice de la compétence juridictionnelle nationale est parfois limité par la nécessité absolue d’éviter des décisions contraires à celles de la Commission européenne. Cependant, cette restriction s’efface lorsque tout risque de contradiction disparaît suite à l’évolution du cadre législatif ou à l’inaction des autorités. Dans les circonstances présentes, aucune procédure administrative n’était susceptible de déboucher sur une exemption rétroactive pour les accords litigieux passés entre transporteurs. « les défenderesses ne sauraient se prévaloir de l’existence d’un risque que la juridiction de renvoi prenne une décision qui irait à l’encontre d’une décision adoptée ». Le règlement n° 1/2003 a supprimé les mécanismes de notification préalable, rendant impossible une validation postérieure des ententes conclues durant la période transitoire. La sécurité juridique des entreprises n’est pas compromise par une action judiciaire engagée après que les pouvoirs administratifs ont été clairement définis. La levée des incertitudes décisionnelles permet alors de consacrer pleinement l’effectivité du droit à réparation dont bénéficient les victimes de ces ententes.

B. La préservation du droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles

Le droit de demander réparation pour un préjudice causé par une entente constitue un élément indispensable à la pleine efficacité du droit européen. Ces actions renforcent le caractère opérationnel des règles de concurrence en décourageant les comportements coordonnés qui faussent artificiellement le jeu du marché intérieur. Les juges nationaux remplissent une mission de sauvegarde en protégeant les opérateurs économiques contre les conséquences néfastes des restrictions de concurrence injustifiées. Interdire l’accès au juge pour les périodes antérieures reviendrait à récompenser la dissimulation de pratiques illicites au détriment de l’équité et de la justice. La Cour souligne que toute personne est en droit de faire valoir la nullité d’une pratique interdite et de réclamer une indemnisation appropriée. Cette solution garantit que les objectifs économiques et sociaux des traités ne sont pas vidés de leur substance par de simples obstacles procéduraux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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