Par un arrêt en date du 11 septembre 2008, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles une mesure fiscale adoptée par une entité infra-étatique peut échapper à la qualification d’aide d’État. En l’espèce, des entités territoriales historiques d’une communauté autonome espagnole, dotées de compétences fiscales propres en vertu d’un régime foral, avaient adopté des dispositions instaurant un taux d’impôt sur les sociétés et des déductions fiscales plus favorables que ceux prévus par la législation nationale. Saisie de recours en annulation contre ces mesures, une juridiction supérieure espagnole a interrogé la Cour, par la voie d’une question préjudicielle, sur l’interprétation de la notion de « mesure sélective » au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne. Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si une mesure fiscale, applicable de manière générale à toutes les entreprises sur le territoire d’une collectivité infra-étatique, devait être considérée comme sélective du seul fait qu’elle n’est pas en vigueur sur l’ensemble du territoire de l’État membre. La Cour de justice répond que le caractère sélectif d’une telle mesure doit être apprécié au regard du cadre de référence que constitue l’entité infra-étatique elle-même, à la condition que cette dernière jouisse d’une autonomie institutionnelle, procédurale et économique suffisante. Elle renvoie à la juridiction nationale le soin d’apprécier si, au regard du droit constitutionnel et fiscal espagnol, ces conditions sont remplies. La solution de la Cour clarifie ainsi la notion de sélectivité dans un contexte de décentralisation fiscale (I), tout en définissant les critères stricts de l’autonomie qui conditionnent cette analyse (II).
I. La consécration d’une conception relative de la sélectivité des mesures fiscales infra-étatiques
La Cour de justice confirme que l’appréciation du caractère sélectif d’une mesure ne peut se limiter à une simple analyse géographique. Elle impose de définir au préalable le cadre de référence juridique pertinent, qui peut être celui de l’entité infra-étatique si celle-ci est suffisamment autonome.
A. Le rejet d’une application purement géographique du critère de sélectivité
La Cour écarte une interprétation qui qualifierait automatiquement de sélective toute mesure fiscale dont le champ d’application est géographiquement plus restreint que le territoire national. Elle rappelle qu’une mesure n’est sélective que si elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif du régime en cause. Par conséquent, l’élément déterminant n’est pas la délimitation géographique de la mesure, mais son caractère dérogatoire par rapport à un système de référence. La Cour confirme ainsi une jurisprudence antérieure en précisant que « le cadre de référence ne doit pas nécessairement être défini dans les limites du territoire de l’État membre concerné, en sorte qu’une mesure octroyant un avantage dans une partie seulement du territoire national n’est pas de ce seul fait sélective ». Cette approche permet d’adapter le contrôle des aides d’État aux structures institutionnelles complexes de certains États membres, où le pouvoir normatif, y compris fiscal, est partagé entre le pouvoir central et des entités décentralisées.
B. L’identification du cadre de référence pertinent à l’entité infra-étatique autonome
Si le territoire national n’est pas systématiquement le seul cadre de référence possible, il devient nécessaire d’identifier le système normatif par rapport auquel la mesure doit être évaluée. La Cour établit que ce cadre de référence peut être l’entité infra-étatique elle-même. Dans une telle hypothèse, le régime fiscal normal est celui défini par cette entité dans l’exercice de ses compétences. Une mesure qu’elle adopte ne sera alors qualifiée de sélective que si elle avantage certaines entreprises ou productions par rapport à d’autres au sein de ce même cadre régional. La Cour précise que ce basculement du cadre de référence est possible lorsque l’entité infra-étatique, « notamment en raison de son statut et de ses pouvoirs, occupe un rôle fondamental dans la définition de l’environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises présentes sur le territoire relevant de sa compétence ». La reconnaissance d’un tel rôle est cependant subordonnée à une autonomie réelle, dont la Cour détaille les critères.
II. La délimitation des critères de l’autonomie conférée à l’entité infra-étatique
Pour qu’une entité infra-étatique puisse constituer le cadre de référence de l’analyse de la sélectivité, la Cour exige la réunion de trois conditions cumulatives. Elle en énonce les termes avec précision, mais confie au juge national la mission délicate d’en vérifier l’application concrète.
A. L’énoncé des trois conditions cumulatives de l’autonomie
La Cour systématise les conditions permettant d’établir qu’une décision a été prise dans l’exercice de pouvoirs suffisamment autonomes. Premièrement, l’entité doit disposer d’une autonomie institutionnelle, c’est-à-dire être dotée, sur le plan constitutionnel, d’un statut politique et administratif distinct de celui du gouvernement central. Deuxièmement, elle doit jouir d’une autonomie procédurale, ce qui signifie que la décision doit avoir été « adoptée sans que le gouvernement central puisse intervenir directement sur son contenu ». La simple existence de mécanismes de concertation ou de coordination n’exclut pas cette autonomie, tant que le pouvoir central ne dispose pas d’un droit de veto ou du pouvoir d’imposer sa propre décision. Troisièmement, l’autonomie doit être économique et financière. Cette condition implique que « les conséquences financières d’une réduction du taux d’imposition national applicable aux entreprises présentes dans la région ne doivent pas être compensées par des concours ou des subventions en provenance des autres régions ou du gouvernement central ». L’entité doit donc assumer seule les conséquences budgétaires de ses choix fiscaux, qu’il s’agisse d’une baisse des recettes ou d’une augmentation des dépenses.
B. Le renvoi au juge national de l’appréciation concrète de l’autonomie
Si la Cour définit les critères d’interprétation du droit de l’Union, elle laisse à la juridiction de renvoi la tâche d’appliquer ces critères aux faits du litige. Cette répartition des rôles est particulièrement marquée en l’espèce, car l’évaluation de l’autonomie des entités concernées nécessite une analyse approfondie et complexe du droit constitutionnel et des mécanismes financiers internes à l’État membre. Le juge national devra ainsi examiner la portée réelle des principes de coordination et d’harmonisation fiscale, la nature des commissions paritaires entre l’État et la communauté autonome, et surtout les flux financiers liés au système de la « quote-part ». Il lui appartiendra de vérifier si, au-delà des apparences, ces mécanismes ne constituent pas une forme de compensation par l’État central des réductions d’impôts décidées localement. La Cour conclut en affirmant qu’il revient au juge national de déterminer si les entités infra-étatiques « jouissent d’une telle autonomie, ce qui aurait pour conséquence que les normes adoptées dans les limites des compétences qui sont octroyées […] n’ont pas un caractère sélectif au sens de la notion d’aide d’État ».