La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 6 octobre 2025, apporte des précisions essentielles sur le régime de responsabilité des éditeurs de presse numérique.
Le litige initial concerne une action en responsabilité civile engagée par un particulier s’estimant lésé par des articles diffusés sur une plateforme d’information en ligne. La société exploitante tire ses revenus exclusifs de la publicité commerciale insérée sur les pages de son journal numérique, dont l’accès demeure entièrement gratuit pour l’utilisateur.
Saisie par un recours de la Cour d’appel de Nicosie en date du 12 mai 2024, la juridiction européenne doit déterminer si ce modèle économique relève du droit de l’Union. Le demandeur conteste l’immunité dont pourrait bénéficier l’éditeur en invoquant les dispositions protectrices de la directive relative au commerce électronique pour limiter sa responsabilité civile.
La question de droit consiste à savoir si une société de presse assurant le contrôle de son contenu peut être qualifiée de prestataire technique pour s’exonérer de ses fautes. Il convient également de s’interroger sur l’applicabilité directe des limitations de responsabilité prévues par la directive dans un litige opposant exclusivement des personnes de droit privé.
La Cour affirme que les services rémunérés par la publicité constituent bien des services de la société de l’information, sans toutefois permettre l’exonération des éditeurs responsables de leur contenu. L’analyse portera d’abord sur la qualification du service numérique avant d’examiner les limites de la responsabilité civile applicables aux litiges entre particuliers.
I. La qualification extensive du service de presse numérique
A. L’inclusion des services rémunérés par la publicité
La directive définit largement les services de la société de l’information en y incluant les prestations fournissant des informations en ligne contre une rémunération même indirecte. La Cour précise que cette notion englobe des « services fournissant des informations en ligne pour lesquels le prestataire est rémunéré par les revenus générés par des publicités ». Cette interprétation extensive permet d’englober la majorité des modèles économiques actuels de la presse numérique sans exiger un paiement direct de la part du lecteur. La gratuité d’accès pour l’utilisateur final ne fait donc pas obstacle à la qualification juridique de service de la société de l’information selon le droit européen.
B. Le maintien de la responsabilité civile nationale pour diffamation
L’harmonisation européenne ne prive pas les États membres de leur compétence pour sanctionner les atteintes à la réputation des personnes commises par voie de presse électronique. Les juges soulignent que « la directive 2000/31 ne s’oppose pas à l’application d’un régime de responsabilité civile pour diffamation » dans le cadre de tels services. Cette solution préserve l’équilibre entre la libre prestation des services numériques et la protection nécessaire des droits de la personnalité garantis par les législations nationales. Les juridictions internes conservent ainsi le pouvoir de condamner un éditeur indélicat dès lors que les conditions de la responsabilité civile sont réunies.
II. Le régime de responsabilité restreint de l’éditeur de presse
A. L’exclusion des privilèges d’hébergeur pour l’éditeur de contenu
Les limitations de responsabilité prévues pour les intermédiaires techniques ne sauraient bénéficier aux prestataires qui exercent un contrôle effectif sur la teneur des informations qu’ils diffusent. La Cour écarte le bénéfice des articles 12 à 14 pour une société éditrice dès lors qu’elle « a connaissance des informations publiées et exerce un contrôle sur celles-ci ». Cette distinction fondamentale entre l’hébergeur passif et l’éditeur actif interdit à ce dernier de se prévaloir d’une simple fonction de transmission ou de stockage. L’engagement de la responsabilité de plein droit demeure la règle pour tout professionnel qui valide et organise la publication électronique d’un journal.
B. L’effet relatif de la directive dans les litiges entre particuliers
La directive peut être invoquée dans un litige privé pour interpréter le droit national mais elle ne saurait créer d’obligations autonomes à la charge d’un particulier. Le texte précise que les limitations de responsabilité sont « susceptibles de s’appliquer dans le cadre d’un litige entre particuliers » sous réserve d’une transposition correcte en droit interne. Le prestataire ne peut toutefois pas utiliser ces dispositions européennes pour s’opposer directement à l’introduction d’une action juridictionnelle ou à l’adoption de mesures provisoires nécessaires. Cette précision rappelle que la directive ne dispense pas les parties de se conformer aux règles de procédure civile établies par le législateur de chaque État membre.