Par un arrêt en date du 8 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur un recours en manquement intenté par la Commission européenne à l’encontre d’un État membre. La Commission reprochait à cet État de ne pas avoir exécuté une de ses décisions antérieures qui ordonnait la récupération d’une aide d’État jugée illégale et incompatible avec le marché intérieur. L’aide en question avait été octroyée à une entreprise par l’intermédiaire d’une société d’investissement de droit privé, sur la base d’un contrat de droit privé.
Pour se conformer à la décision de la Commission, l’État membre avait engagé une procédure de recouvrement devant les juridictions civiles nationales. Cette procédure s’est avérée particulièrement longue, notamment en raison de décisions de sursis à statuer prononcées par les juridictions du fond, bien que ces décisions aient finalement été annulées par la juridiction suprême nationale. Constatant que, plusieurs années après la décision de récupération, l’aide n’avait toujours pas été restituée par l’entreprise bénéficiaire, la Commission a saisi la Cour de justice. Le cœur du litige opposait l’argument de l’État membre, fondé sur le respect de son autonomie procédurale et la nécessaire application des voies de droit civil interne, à la position de la Commission, qui défendait une obligation de résultat imposant une récupération immédiate et effective.
Dès lors, la question se posait de savoir si un État membre manque à ses obligations lorsque, pour récupérer une aide d’État octroyée par un contrat de droit privé, il recourt à une procédure de droit interne qui ne permet pas une exécution immédiate et effective de la décision de la Commission.
La Cour de justice y répond par l’affirmative. Elle constate que l’État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union, en particulier de l’article 108, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et des dispositions du règlement afférent. La Cour juge que le choix d’une procédure nationale ne saurait justifier un retard considérable dans la récupération de l’aide, l’État membre étant tenu par une obligation de résultat qui prime sur les contraintes de son ordre juridique interne. La décision met ainsi en lumière la primauté de l’obligation de résultat en matière de récupération des aides d’État (I), tout en précisant les limites de l’autonomie procédurale nationale face à cette exigence (II).
I. L’affirmation de l’obligation de résultat dans la récupération des aides d’État
La Cour rappelle avec fermeté que l’obligation de récupérer une aide illégale est une obligation de résultat, dont le respect s’apprécie à l’aune de son effectivité (A). Par conséquent, les difficultés ou les lenteurs inhérentes aux procédures nationales ne constituent pas une justification recevable pour un manquement (B).
A. Le caractère impératif de l’exécution immédiate et effective
L’arrêt souligne que le droit de l’Union impose à l’État membre destinataire d’une décision de récupération de prendre « toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire ». La Cour s’appuie sur l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, qui dispose que « la récupération s’effectue, sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission ». Cette exigence d’effectivité n’implique pas seulement d’engager les procédures adéquates, mais bien d’obtenir la restitution effective des fonds.
Le raisonnement de la Cour est sans ambiguïté : l’objectif est de rétablir la situation de concurrence qui prévalait avant l’octroi de l’aide illégale. Cet objectif ne peut être atteint que si l’avantage concurrentiel dont a indûment bénéficié l’entreprise est supprimé. La Cour insiste sur le fait que l’aide doit matériellement sortir du patrimoine de l’entreprise. En l’espèce, elle relève qu’« il est constant que, ni à la date de l’introduction de la requête de la Commission ni à la date de l’audience de plaidoiries tenue devant la Cour, l’aide litigieuse n’était récupérée, dans la mesure où elle n’était pas sortie du patrimoine de l’entreprise bénéficiaire ». Ainsi, la simple initiation de poursuites judiciaires, aussi diligentes soient-elles en théorie, ne suffit pas à satisfaire aux obligations de l’État membre.
B. L’inefficacité des justifications fondées sur la lenteur procédurale
Face à l’obligation de résultat, l’État membre ne peut invoquer que des circonstances très exceptionnelles pour justifier son inaction. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement […] est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter la décision en question ». Cette impossibilité doit être démontrée par l’État, qui ne peut se contenter de faire état des difficultés juridiques, politiques ou pratiques de l’exécution.
De plus, l’arrêt met en exergue le manquement de l’État à son devoir de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne. Lorsqu’il rencontre des difficultés, un État membre doit en informer la Commission, lui exposer les problèmes et proposer des solutions ou demander une modification du délai. En l’espèce, la Cour constate que « la partie défenderesse n’a pas entrepris les démarches nécessaires dans le sens indiqué par cette jurisprudence ». En choisissant de gérer seul les obstacles procéduraux sans en référer à la Commission, l’État membre a pris le risque d’être jugé responsable du retard qui en a découlé. Cette approche réaffirme que la récupération des aides est un processus mené sous le contrôle de la Commission, et non une affaire purement nationale.
Cette exigence de résultat emporte des conséquences directes sur l’application des règles procédurales nationales.
II. Les limites de l’autonomie procédurale nationale
Si le droit de l’Union respecte en principe l’autonomie procédurale des États membres, celle-ci est conditionnée par le principe d’effectivité (A). Cette subordination s’étend également aux juridictions nationales, dont le rôle est crucial pour assurer l’application du droit de l’Union (B).
A. La subordination des choix procéduraux internes au principe d’effectivité
L’État membre soutenait que l’aide ayant été octroyée par un contrat de droit privé, sa récupération ne pouvait s’opérer que par les voies du droit civil, excluant le recours à un acte administratif exécutoire. La Cour ne remet pas en cause a priori le choix de la voie civile. Elle admet que « il ne saurait être reproché à la partie défenderesse d’avoir choisi son droit civil et d’avoir saisi la juridiction ordinaire afin de récupérer l’aide litigieuse ». Cependant, cette liberté de choix n’est pas absolue.
La Cour précise que l’application des procédures nationales est soumise à la condition qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la décision. Si le droit national s’avère être un obstacle, il doit céder. L’arrêt énonce clairement que « dans le cas où il s’avérerait que les règles de droit civil ne permettent pas d’assurer la récupération effective de l’aide litigieuse, il pourrait être nécessaire, selon les circonstances de l’espèce considérée, de laisser une règle nationale inappliquée ». Cette affirmation constitue une application directe du principe de primauté du droit de l’Union. La distinction opérée en droit interne entre droit public et droit privé devient inopérante si elle compromet la réalisation d’un objectif fixé par les traités.
B. Le rôle des juridictions nationales dans la garantie de l’effectivité du droit de l’Union
L’arrêt étend la responsabilité du manquement au-delà du seul pouvoir exécutif, en examinant le comportement des juridictions nationales. La Cour relève que les retards dans la procédure de récupération ont été aggravés par les décisions de suspension prononcées par les juridictions du fond. Elle souligne que ces juridictions ont été désavouées par leur juridiction suprême, qui a considéré qu’elles n’avaient pas correctement appliqué les critères de la jurisprudence de l’Union, notamment ceux issus des arrêts `Zuckerfabrik`.
Ce faisant, la Cour rappelle que « l’article 4, paragraphe 3, TUE crée également pour les juridictions nationales une obligation de coopération loyale avec la Commission et les juridictions de l’Union ». En tant qu’organes de l’État membre, les juridictions sont tenues d’assurer le plein effet du droit de l’Union. Le fait que des décisions judiciaires nationales aient fait obstacle à l’exécution rapide de la décision de la Commission contribue à caractériser le manquement de l’État dans son ensemble. L’impossibilité d’exécuter une décision de la Commission ne peut donc être considérée comme « absolue » si elle découle de décisions de justice nationales contraires au droit de l’Union. La responsabilité de l’État est ainsi engagée par l’action de l’ensemble de ses pouvoirs, y compris le pouvoir judiciaire.