Cour de justice de l’Union européenne, le 11 septembre 2019, n°C-143/18

Saisie à titre préjudiciel par une juridiction allemande, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur l’articulation entre le droit national et le droit de l’Union en matière de protection des consommateurs dans le cadre de contrats de services financiers conclus à distance. En l’espèce, des consommateurs avaient souscrit à distance un contrat de crédit immobilier auprès d’un établissement financier. Avant la conclusion du contrat, ils avaient reçu une information précontractuelle stipulant que leur droit de rétractation s’éteindrait prématurément si le contrat était intégralement exécuté par les deux parties à leur demande expresse. Plusieurs années après le versement des fonds et le début des remboursements, les emprunteurs ont déclaré se rétracter du contrat, arguant que l’information fournie était erronée au regard de la jurisprudence nationale. L’établissement de crédit ayant contesté la validité de cette rétractation tardive, les consommateurs ont saisi le Landgericht Bonn (tribunal régional de Bonn, Allemagne). Cette juridiction a constaté une contradiction entre l’interprétation du droit national par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), qui n’admettait pas l’extinction du droit de rétractation pour les contrats de crédit dans une telle hypothèse, et le texte même de la directive 2002/65/CE. Le juge national a donc interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de cette jurisprudence avec le droit de l’Union et sur les conséquences d’une éventuelle non-conformité quant à l’obligation d’information du professionnel. La question posée revenait essentiellement à déterminer si la directive opérait une harmonisation complète interdisant aux États membres de maintenir un droit de rétractation là où la directive l’excluait. En réponse, la Cour a jugé que la directive s’opposait à une réglementation ou une pratique nationale n’excluant pas le droit de rétractation en cas d’exécution intégrale du contrat à la demande expresse du consommateur. Elle a également précisé que le professionnel ne méconnaissait pas son obligation d’information en communiquant des renseignements conformes au droit de l’Union, même si ceux-ci contredisaient une jurisprudence nationale. Cette décision réaffirme la portée de l’harmonisation en droit de la consommation (I) et renforce l’effectivité des directives européennes face aux interprétations judiciaires nationales (II).

I. La clarification d’une harmonisation exhaustive du droit de rétractation

La décision commentée précise le caractère impératif de l’exception au droit de rétractation prévue par la directive (A), ce qui conditionne directement l’appréciation de la validité de l’information précontractuelle fournie au consommateur (B).

A. Le caractère impératif de l’extinction du droit de rétractation

La Cour de justice interprète l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 2002/65/CE comme une norme d’harmonisation complète et non comme une simple faculté laissée aux États membres. Cette disposition prévoit que le droit de rétractation « ne s’applique pas aux contrats exécutés intégralement par les deux parties à la demande expresse du consommateur avant que ce dernier n’exerce son droit de rétractation ». La juridiction de renvoi exposait que la jurisprudence de sa cour suprême nationale écartait l’application de cette exception pour les contrats de crédit à la consommation, maintenant ainsi un droit de rétractation même après l’exécution complète du contrat. Une telle lecture nationale aboutissait à offrir une protection plus étendue que celle prévue par le texte européen.

Cependant, la Cour rappelle que la directive 2002/65/CE procède, en principe, à une harmonisation complète des aspects qu’elle régit, comme l’indique son considérant 13. Par conséquent, les États membres ne peuvent maintenir ou introduire des dispositions différentes de celles prévues par la directive, sauf si le texte l’autorise expressément. Or, concernant l’exception à l’exercice du droit de rétractation, la directive ne contient aucune clause permettant aux États de maintenir un droit de rétractation dans l’hypothèse visée. La solution est donc sans équivoque : un État membre ne peut accorder au consommateur un droit de rétractation lorsque le droit de l’Union l’exclut. La jurisprudence nationale qui étendait ce droit au-delà des limites fixées par la directive est donc jugée incompatible avec celle-ci.

B. La conformité de l’information précontractuelle au droit de l’Union

La seconde question découlait logiquement de la première : si la jurisprudence nationale était contraire à la directive, fallait-il en conclure que l’information fournie par le professionnel, bien que conforme à la directive, était trompeuse pour le consommateur ? La Cour répond par la négative, liant étroitement l’obligation d’information du professionnel au contenu même du droit de l’Union. Le professionnel avait informé les emprunteurs que leur droit de rétractation s’éteindrait en cas d’exécution complète du contrat à leur demande, ce qui correspond précisément au contenu de l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive.

Dès lors que la directive impose cette extinction du droit de rétractation, un État membre ne saurait obliger un professionnel à communiquer une information contraire, à savoir l’existence d’un droit de rétractation dans une telle situation. Une telle obligation reviendrait à contraindre le professionnel à fournir une information inexacte au regard du droit de l’Union. Par conséquent, la Cour juge que le fournisseur n’a pas manqué à son devoir d’information en communiquant des renseignements alignés sur le texte de la directive, quand bien même ces derniers entreraient en conflit avec une interprétation judiciaire nationale. L’obligation de fournir une information « claire et compréhensible » doit s’apprécier au regard des dispositions du droit de l’Union, et non au regard d’une jurisprudence nationale qui s’en écarte.

II. Le renforcement de l’effectivité du droit de l’Union

Au-delà de l’interprétation technique de la directive, l’arrêt emporte des conséquences significatives sur l’office du juge national (A) et sur l’uniformité de la protection accordée au consommateur au sein du marché intérieur (B).

A. L’obligation d’interprétation conforme imposée au juge national

Face à une jurisprudence nationale établie mais incompatible avec les objectifs d’une directive, la Cour de justice rappelle avec force l’obligation qui pèse sur les juridictions nationales. Elle souligne que « le principe d’interprétation conforme requiert que les autorités nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité du droit de l’Union ». Cette obligation ne se limite pas à une simple interprétation textuelle ; elle peut exiger une adaptation substantielle de la lecture du droit national.

De manière particulièrement notable, la Cour précise que les juridictions nationales « doivent modifier, le cas échéant, une jurisprudence nationale établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive ». L’arrêt ne se contente donc pas de constater l’incompatibilité, il enjoint implicitement à la juridiction de renvoi, et par extension à toutes les juridictions de l’État membre concerné, d’écarter la solution retenue par leur cour suprême pour assurer le plein effet de la directive. C’est une illustration claire de la primauté du droit de l’Union, qui ne s’applique pas seulement à la loi mais également à l’interprétation qu’en font les plus hautes juridictions nationales. Le juge national devient ainsi le premier garant de l’application correcte du droit de l’Union, même contre sa propre jurisprudence.

B. L’unification du standard du consommateur moyen

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le standard de consommateur à retenir pour évaluer la clarté de l’information, hésitant entre la figure européenne du « consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » et un standard national potentiellement plus protecteur, se référant à un consommateur moins averti. La Cour opte sans ambiguïté pour le standard européen uniforme. Elle justifie cette position par la nature même de l’harmonisation complète recherchée par la directive. Admettre des standards nationaux divergents reviendrait à créer une fragmentation du marché intérieur et à nuire à la sécurité juridique que la directive vise précisément à instaurer.

En imposant une définition unique du consommateur de référence, la Cour assure que les obligations d’information pesant sur les professionnels seront les mêmes dans tous les États membres et que le niveau de protection ne variera pas en fonction du for saisi. Cette solution garantit une application cohérente du droit de l’Union et renforce la prévisibilité pour les opérateurs économiques qui proposent des services financiers à distance à travers l’Europe. L’appréciation de la clarté de l’information précontractuelle est ainsi soustraite aux particularismes nationaux pour être soumise à un critère autonome et unifié, contribuant à la réalisation effective d’un marché unique des services financiers.

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Hassan KOHEN
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