Cour de justice de l’Union européenne, le 11 septembre 2019, n°C-612/17

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 septembre 2019, une décision fondamentale concernant la classification comptable des organismes sans but lucratif. Un institut national de la statistique avait inscrit deux fédérations sportives sur la liste des administrations publiques en raison d’un prétendu contrôle étatique. Ces associations de droit privé contestaient ce rattachement devant la juridiction financière compétente en affirmant leur autonomie technique, organisationnelle et de gestion quotidienne. La juridiction saisie a sollicité l’interprétation du juge européen afin de préciser les critères caractérisant le pouvoir de déterminer la politique d’une unité. Le litige repose sur l’application du règlement concernant le système européen des comptes nationaux et régionaux à des entités percevant des cotisations obligatoires. La Cour affirme que le contrôle public suppose une capacité durable d’influer substantiellement sur les objectifs et les aspects opérationnels de l’institution. Cette solution permet de distinguer la simple régulation du secteur sportif d’une véritable direction stratégique exercée par une autorité de tutelle. L’analyse portera sur la caractérisation matérielle du contrôle public (I) avant d’examiner l’influence du financement sur la qualification des entités (II).

I. La caractérisation matérielle du contrôle public sur les institutions sans but lucratif

A. La distinction entre le cadre réglementaire général et le pouvoir de contrainte

La Cour précise que l’intervention publique sous forme de réglementation générale s’appliquant à toutes les unités n’est pas pertinente pour établir un contrôle. Elle définit cette notion comme une « réglementation visant à soumettre indistinctement et uniformément l’ensemble des unités du domaine d’activité concerné à des règles globales ». Les directives sportives ne constituent pas une preuve de subordination lorsque ces normes s’appliquent de manière abstraite à toutes les fédérations nationales. Le juge européen écarte ainsi les formes de régulation qui se bornent à fixer un cadre légal pour l’exercice d’une discipline particulière. Une telle approche préserve l’autonomie des acteurs privés agissant dans un secteur d’intérêt général sans les assimiler pour autant à l’administration. L’existence d’un monopole légal découlant de la reconnaissance sportive ne suffit pas à démontrer une influence dominante de la part de l’État. Cette précision est essentielle afin de garantir que la tutelle administrative ne soit pas systématiquement confondue avec une gestion directe des programmes.

B. L’exigence d’une influence réelle sur les choix stratégiques de l’entité

Le contrôle d’une institution sans but lucratif se définit comme le « pouvoir de déterminer sa politique générale ou son programme » d’activité. La Cour souligne que ce pouvoir correspond à la capacité d’exercer une « influence réelle et substantielle sur la définition et la réalisation des objectifs ». Il ne s’agit pas d’une simple surveillance formelle portant sur la régularité budgétaire ou sur le respect des statuts de l’association. Le juge invite à rechercher si l’autorité publique peut effectivement contraindre l’entité dans la conduite de ses orientations stratégiques et opérationnelles. L’appréciation doit porter sur la nomination des dirigeants et sur la faculté d’approuver ou de modifier les budgets de façon discrétionnaire. Cette vision matérielle du contrôle privilégie la réalité de l’autodétermination de l’unité sur les apparences juridiques liées à son statut privé. La décision renvoie au juge national le soin d’apprécier si les prérogatives du comité olympique limitent l’indépendance des fédérations sportives.

Le constat de cette influence durable conditionne l’examen de la nature des ressources financières perçues par les organismes chargés du sport national.

II. L’impact des modalités de financement sur la classification sectorielle

A. L’éventuelle nature publique des cotisations perçues sous un régime de monopole

La question préjudicielle portait sur la nature des cotisations versées par les adhérents aux fédérations sportives organisées sous la forme de personnes morales. Ces versements peuvent revêtir un caractère public lorsqu’ils constituent des « contributions obligatoires perçues dans un intérêt public » au profit d’un monopole. Le juge européen s’écarte d’une vision civile de la cotisation pour adopter une analyse économique conforme aux objectifs de l’Union européenne. Le caractère obligatoire du versement pour la pratique officielle rapproche ces ressources d’une fiscalité affectée plutôt que d’un simple lien contractuel. Cette qualification dépend toutefois de la dimension publique des missions exercées par les fédérations sportives dans l’organisation des compétitions de haut niveau. La Cour impose une vérification rigoureuse de la maîtrise budgétaire conservée par les entités sur le produit de ces collectes monétaires obligatoires. Ce glissement illustre la volonté d’harmoniser les comptes nationaux malgré la diversité des statuts juridiques internes propres à chaque État membre.

B. La nécessité d’une analyse globale de l’autonomie budgétaire et opérationnelle

Le fait qu’une institution soit quasi intégralement financée par le secteur public ne permet pas de conclure automatiquement à l’existence d’un contrôle. Le juge exige que les contrôles exercés sur ces flux financiers soient « suffisamment restrictifs pour influencer de manière réelle » la politique suivie. L’appréciation d’ensemble implique une part de jugement sur la réalité de l’indépendance opérationnelle dont dispose effectivement l’entité dans ses missions. Il convient de vérifier si l’organisme conserve la maîtrise de l’utilisation et de l’affectation des recettes issues des contributions de ses membres. La décision souligne que l’autonomie technique reconnue par la loi nationale constitue un indice fort d’absence de contrôle de l’administration publique. Cette jurisprudence limite les risques de reclassement comptable abusif en imposant la preuve d’une contrainte stratégique sur le programme d’activité. Le juge national doit donc peser l’accumulation des indices pour déterminer si l’entité appartient réellement au secteur des administrations publiques.

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Hassan KOHEN
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