Cour de justice de l’Union européenne, le 11 septembre 2025, n°C-215/24

La Cour de justice de l’Union européenne, en sa quatrième chambre, a rendu un arrêt le 6 octobre 2025 portant sur l’exécution des peines privatives de liberté. Ce litige concerne la faculté pour un État membre d’exécution de suspendre une peine qu’il s’est engagé à faire subir sur son propre territoire national.

Un individu a fait l’objet d’une condamnation par le tribunal d’arrondissement de Porto à six mois d’emprisonnement pour une fraude fiscale après l’échec d’une amende. L’intéressé ayant établi sa résidence en Espagne, les autorités portugaises ont émis un mandat d’arrêt européen pour assurer l’exécution effective de cette sanction pénale initiale.

Le tribunal d’exécution espagnol a refusé la remise de la personne au motif de sa résidence habituelle mais a accepté de prendre en charge l’exécution de la peine. Le tribunal pénal au niveau national n° 1 de Madrid a ordonné par la suite la suspension de l’incarcération pour une durée de deux ans.

Le tribunal d’arrondissement de Porto a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle relative à la régularité d’une telle décision de suspension de peine. Le juge portugais s’interroge sur la compatibilité de cette mesure avec les articles 8 et 17 de la décision-cadre 2008/909 relative à la reconnaissance mutuelle.

La Cour affirme que les dispositions européennes s’opposent à ce qu’une autorité de l’État d’exécution suspende la peine alors que l’autorité d’émission n’a pas pris une telle mesure. Cette solution repose sur une distinction entre les modalités matérielles d’exécution et la substance même de la décision de condamnation pénale rendue par le juge.

L’étude de cette décision suppose d’analyser l’interprétation restrictive des modalités d’exécution avant d’envisager la consolidation du principe de confiance mutuelle au sein de l’espace judiciaire européen.

I. L’interprétation restrictive de la notion de modalités d’exécution de la peine

A. L’exclusion de la suspension du champ d’application de l’article 17

La Cour de justice souligne que l’exécution d’une condamnation est régie par le droit de l’État d’exécution une fois que le transfert de la personne est effectué. Cette compétence exclusive concerne les modalités d’exécution et les mesures afférentes comme les motifs de la libération anticipée ou conditionnelle prévus par la réglementation nationale.

Le juge européen précise que les modalités d’exécution couvrent les mesures visant à « garantir l’exécution matérielle d’une peine privative de liberté » sans en altérer la substance. La suspension totale de la peine avant tout commencement d’exécution ne saurait être assimilée à une simple modalité technique de mise en œuvre de la sanction.

L’article 17 prévoit des droits d’information pour l’État d’émission concernant les libérations conditionnelles mais reste silencieux sur la possibilité d’une suspension intégrale de la peine. Cette absence de mention textuelle indique que le législateur de l’Union n’a pas entendu déléguer un tel pouvoir souverain à l’autorité chargée de l’exécution matérielle.

B. Le maintien de l’obligation de reconnaissance intégrale du jugement

L’article 8 impose à l’État d’exécution de reconnaître le jugement transmis et de « prendre sans délai toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la condamnation ». Les adaptations de la peine ne sont autorisées que si la durée ou la nature de la sanction est incompatible avec le droit interne de l’État requis.

Le juge rappelle que « l’autorité compétente de l’État d’exécution ne saurait modifier la substance de la condamnation prononcée par l’autorité compétente de l’État d’émission ». Une suspension de peine décidée unilatéralement par l’État d’exécution méconnaîtrait l’exigence de reconnaissance du quantum et de la fermeté de la sanction pénale initialement prononcée.

La Cour relève que la mesure de suspension « ne saurait en aucun cas être regardée comme une adaptation de la condamnation » rendue possible par les textes européens. Le respect de la substance du jugement étranger constitue le fondement nécessaire du mécanisme de coopération judiciaire entre les États membres dans le domaine pénal.

II. La consolidation du principe de confiance mutuelle dans l’espace pénal européen

A. La primauté de l’autorité d’émission quant à la substance de la sanction

La décision de suspendre l’exécution d’une peine privative de liberté relève exclusivement de la compétence de l’autorité de l’État d’émission au moment du prononcé du jugement. Cette prérogative permet au juge ayant statué au fond d’évaluer la nécessité de l’incarcération au regard de la personnalité de l’auteur et de l’infraction.

L’existence de la décision-cadre 2008/947 spécifique aux mesures de probation confirme que la suspension de peine appartient au domaine du jugement initial et non de son exécution. Le champ d’application de ce texte et celui de la décision-cadre 2008/909 s’excluent mutuellement pour préserver la clarté des compétences judiciaires respectives.

L’État d’émission conserve le droit de retirer le certificat de transmission si les conditions d’exécution envisagées par l’État requis ne correspondent pas aux attentes de la justice nationale. Cette faculté de retrait garantit que la peine prononcée sera effectivement subie conformément aux objectifs de politique pénale définis par la juridiction ayant rendu la condamnation.

B. La cohérence du système européen de coopération pénale

Le principe de confiance mutuelle justifie que l’État d’exécution reconnaisse les décisions étrangères tout en limitant sa marge de manœuvre à la gestion pratique de la détention. Toute extension du pouvoir d’adaptation au-delà des cas prévus par les traités nuirait gravement à la coopération efficace entre les autorités judiciaires des États membres.

La Cour de justice assure que le fonctionnement du mandat d’arrêt européen ne soit pas paralysé par des disparités excessives entre les législations pénales des États membres. La reconnaissance mutuelle impose une harmonie dans l’application des peines pour éviter que le transfert de résidence ne devienne un moyen d’échapper aux sanctions.

Cette solution jurisprudentielle renforce l’effectivité des condamnations pénales tout en facilitant la réinsertion sociale des condamnés dans leur État de résidence habituelle sans sacrifier l’impératif de justice. La stabilité des relations judiciaires européennes dépend du respect scrupuleux des limites posées par le législateur de l’Union aux compétences des États d’exécution.

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Hassan KOHEN
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