Par un arrêt en date du 12 avril 2005, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en grande chambre, a interprété l’article 23, paragraphe 1, de l’accord de partenariat et de coopération signé entre les Communautés européennes et la Fédération de Russie.
En l’espèce, un joueur de football professionnel de nationalité russe, légalement employé par un club espagnol, s’est vu refuser par la fédération sportive nationale le remplacement de sa licence de joueur « non communautaire » par une licence équivalente à celle des joueurs ressortissants d’un État membre de l’Union européenne. Cette fédération justifiait son refus par l’application de sa propre réglementation qui limitait le nombre de joueurs extracommunautaires pouvant être alignés simultanément lors des compétitions nationales.
Le joueur a contesté cette décision devant le Juzgado Central de lo Contencioso-Administrativo, qui a rejeté son recours. Il a alors interjeté appel de ce jugement devant l’Audiencia Nacional. Cette dernière juridiction, estimant que la solution du litige dépendait de l’interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. La question de droit soumise à la Cour était de savoir si l’article 23, paragraphe 1, de l’accord de partenariat Communautés-Russie, qui prohibe toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail, s’opposait à l’application d’une réglementation sportive nationale limitant la participation de joueurs russes aux compétitions.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative, considérant que la disposition en cause « s’oppose à l’application à un sportif professionnel de nationalité russe, régulièrement employé par un club établi dans un État membre, d’une règle édictée par une fédération sportive du même État, selon laquelle les clubs ne sont autorisés à aligner, dans les compétitions organisées à l’échelle nationale, qu’un nombre limité de joueurs originaires d’États tiers qui ne sont pas parties à l’accord sur l’Espace économique européen ». Cette décision, en affirmant l’applicabilité directe d’une clause d’un accord de partenariat (I), étend de manière significative la portée du principe de non-discrimination dans le domaine sportif (II).
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I. L’affirmation de l’effet direct et de la portée matérielle du principe de non-discrimination
La solution retenue par la Cour repose sur une double reconnaissance : celle de l’effet direct de la disposition de l’accord de partenariat (A), puis celle de son application matérielle à une règle sportive limitant le nombre de joueurs étrangers (B).
A. La consécration de l’effet direct de la clause de non-discrimination
La Cour de justice devait d’abord déterminer si un particulier pouvait se prévaloir de l’article 23, paragraphe 1, de l’accord devant une juridiction nationale. Conformément à une jurisprudence constante, elle rappelle qu’une disposition d’un accord international est d’application directe lorsqu’elle « comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur ». Appliquant ce critère à la disposition en cause, la Cour juge que celle-ci consacre bien « dans des termes clairs, précis et inconditionnels, l’interdiction pour chaque État membre de traiter de manière discriminatoire, en raison de leur nationalité, les travailleurs russes ».
La Cour écarte les arguments qui tendaient à dénier cet effet direct. Ni la réserve liminaire de l’article (« Sous réserve des lois, des conditions et des procédures applicables dans chaque État membre »), ni l’article 48 de l’accord ne sauraient permettre aux États membres de vider la disposition de son effet utile. De même, le rôle conféré au Conseil de coopération pour formuler des recommandations ne subordonne pas l’application du principe à un acte ultérieur. Enfin, la nature même de l’accord, qui n’institue qu’un partenariat et non une association préfigurant une adhésion, n’est pas un obstacle à l’effet direct de certaines de ses stipulations.
B. L’inclusion des règles sportives dans le champ des « conditions de travail »
Une fois l’effet direct reconnu, il fallait encore que la règle sportive contestée relève bien du champ d’application de l’article 23, paragraphe 1, c’est-à-dire des « conditions de travail ». La fédération sportive et le gouvernement espagnol soutenaient que la licence fédérale et les quotas de joueurs relevaient de l’organisation des compétitions et non des conditions de travail du joueur déjà légalement employé.
La Cour rejette cette analyse restrictive. Elle considère qu’une règle qui limite la possibilité pour un club d’aligner un joueur dans des compétitions nationales affecte directement la substance de son activité professionnelle. La Cour juge ainsi qu’une telle règle « était relative aux conditions de travail […] dans la mesure où elle avait une incidence directe sur la participation aux rencontres de cette compétition d’un joueur professionnel […] déjà régulièrement employé dans l’État membre d’accueil ». Par cette interprétation extensive, la Cour confirme que le principe de non-discrimination en matière de conditions de travail ne se limite pas aux aspects contractuels stricts, mais englobe l’ensemble des règles qui conditionnent l’exercice même de l’activité salariée.
II. La portée considérable de l’arrêt dans l’ordre juridique communautaire
La décision ne se contente pas d’interpréter l’accord ; elle s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large qui étend la logique du marché intérieur aux relations extérieures de la Communauté (A) et restreint considérablement les possibilités de discrimination fondée sur la nationalité dans le sport professionnel (B).
A. La transposition de la jurisprudence du marché intérieur aux accords de partenariat
La valeur principale de cet arrêt réside dans l’audace de sa transposition. La Cour s’appuie explicitement sur ses arrêts antérieurs, notamment l’arrêt *Bosman* du 15 décembre 1995 concernant les discriminations entre ressortissants d’États membres, et l’arrêt *Deutscher Handballbund* du 8 mai 2003, relatif à un accord d’association avec la Slovaquie. Or, l’accord de partenariat avec la Russie a un objet bien moins intégrateur qu’un accord d’association, puisqu’il ne vise pas à préparer une adhésion.
Malgré cette différence de nature et de finalité, la Cour considère que le libellé très proche des clauses de non-discrimination justifie une interprétation identique. Elle juge que l’accord « institue, en faveur des travailleurs russes légalement employés sur le territoire d’un État membre, un droit à l’égalité de traitement dans les conditions de travail de même portée que celui reconnu en des termes similaires aux ressortissants des États membres par le traité ». Cette solution marque une étape importante dans la constitutionnalisation des principes fondamentaux de l’ordre juridique communautaire, qui irradient au-delà du cercle des États membres pour s’imposer dans le cadre de certains accords internationaux.
B. La condamnation des clauses de nationalité dans les compétitions de clubs
En appliquant le principe de non-discrimination à une règle de quota édictée par une fédération sportive, la Cour confirme et étend la portée de sa jurisprudence *Bosman*. Elle rappelle qu’une telle limitation ne peut être justifiée par des considérations purement sportives lorsque, comme en l’espèce, elle ne concerne pas « des rencontres spécifiques, opposant des équipes représentatives de leur pays, mais s’applique aux rencontres officielles entre clubs ». L’essentiel de l’activité des joueurs professionnels est ainsi soustrait à de telles discriminations.
La Cour constate par ailleurs qu’« aucun autre argument de nature à justifier objectivement la différence de traitement » n’a été soulevé. Cette décision a donc pour portée de rendre très difficile, voire impossible, pour les fédérations sportives des États membres, le maintien de clauses limitant le nombre de joueurs ressortissants d’États tiers dès lors que leur pays d’origine est lié à l’Union européenne par un accord comportant une clause de non-discrimination en matière de conditions de travail. L’arrêt constitue ainsi un jalon essentiel dans la libéralisation du marché du travail sportif en Europe, bien au-delà des seules frontières de l’Union.