Par un arrêt rendu le 12 avril 2018, la septième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’exercice du droit à déduction. Cette décision porte sur le point de départ du délai de forclusion pour déduire un complément de taxe sur la valeur ajoutée après redressement.
Entre février 2008 et mai 2010, un fournisseur vend des granulats de caoutchouc en appliquant par erreur un taux de taxe réduit de cinq pour cent. À la suite d’un contrôle fiscal en 2011, l’administration exige l’application du taux normal et procède à un redressement financier pour les exercices concernés.
Le vendeur acquitte le complément de taxe et sollicite son remboursement auprès de l’acheteur par l’envoi de notes de débit rectificatives en octobre 2012. L’acquéreur refuse ce paiement au motif que le délai national de quatre ans pour exercer son droit à déduction est expiré pour les ventes initiales.
Saisi d’un recours, le Supremo Tribunal de Justiça par décision du 2 janvier 2017 sursoit à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive. La question posée concerne la compatibilité d’un délai de forclusion commençant à courir dès la facturation initiale en cas de régularisation fiscale ultérieure.
La Cour de justice de l’Union européenne répond que les principes de neutralité et d’effectivité s’opposent à une réglementation nationale interdisant la déduction dans ces circonstances. Elle estime que le délai ne peut expirer avant que l’assujetti ne soit en possession des documents rectificatifs nécessaires à l’exercice de son droit.
I. L’exigibilité du droit à déduction conditionnée par la possession de la facture
A. Le principe de naissance immédiate du droit à déduction
La Cour rappelle que le droit des assujettis de déduire la taxe payée en amont constitue un principe fondamental du système commun de la fiscalité européenne. Ce mécanisme vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques taxées.
L’article 167 de la directive prévoit que « le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible » lors de l’opération. La neutralité fiscale garantit ainsi une charge fiscale identique pour toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces transactions.
B. La subordination de l’exercice du droit à la détention d’un document rectificatif
L’exercice effectif de ce droit demeure subordonné au respect de conditions formelles impératives, dont la possession d’une facture établie conformément aux exigences de la directive. L’article 178 précise que l’assujetti doit détenir ce document pour opérer valablement la déduction de la taxe dont il est redevable auprès de l’administration.
Dans cette affaire, la Cour souligne que « l’exercice dudit droit n’est en principe possible qu’à partir du moment où l’assujetti est en possession d’une facture ». Les documents rectificatifs ou les notes de débit sont assimilés à une facture lorsqu’ils modifient le document initial de façon spécifique et non équivoque.
II. La préservation de la neutralité fiscale face aux délais de forclusion nationaux
A. L’impossibilité objective d’agir comme limite à la sécurité juridique
Les États membres peuvent fixer des délais de forclusion pour garantir la sécurité juridique et éviter que la situation fiscale ne soit indéfiniment remise en cause. Ces délais ne doivent cependant pas rendre l’exercice du droit à déduction pratiquement impossible ou excessivement difficile pour l’assujetti agissant de bonne foi.
L’acquéreur se trouvait dans une « impossibilité objective d’exercer son droit à déduction avant la régularisation de la taxe » effectuée tardivement par son fournisseur habituel. Il n’avait pas connaissance du complément de taxe dû et ne disposait pas des pièces justificatives nécessaires pour procéder à l’imputation de cette charge.
B. La sanction de l’automaticité des délais préfix nationaux
La juridiction européenne censure une application rigide du délai national qui ferait courir la prescription à partir d’une facturation initiale incomplète ou erronée. Une telle pratique aboutirait à une rupture systématique de la neutralité fiscale en faisant supporter définitivement le poids de la taxe à un assujetti.
Le bénéfice de la déduction ne peut être refusé si l’administration n’établit pas l’existence d’une fraude ou d’une collusion entre les parties à l’instance. Le droit à déduction doit primer sur les règles de procédure nationales dès lors que les conditions matérielles sont réunies après un redressement fiscal régulier.