Par une décision dont la date n’est pas spécifiée, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de plusieurs dispositions du code des douanes communautaire. En l’espèce, une société avait importé des marchandises dans le cadre d’une opération qualifiée de contrat de vente. Les autorités douanières nationales ont toutefois remis en cause cette qualification, estimant qu’il s’agissait en réalité d’un contrat d’ouvraison ou de transformation. Par ailleurs, il est apparu qu’une restitution à l’exportation avait été perçue par l’opérateur économique au moyen d’une pratique visant à exploiter abusivement les règles du droit de l’Union. Saisie par la juridiction nationale, la Cour de justice a dû clarifier les modalités de détermination de la valeur en douane dans un tel contexte. La question soumise aux juges était double. D’une part, il s’agissait de savoir si les règles relatives à la valeur transactionnelle prévues par le code des douanes pouvaient s’appliquer à une opération qui, bien que formellement désignée comme une vente, constituait en substance un contrat de transformation. D’autre part, la Cour devait déterminer si une restitution à l’exportation, obtenue de manière abusive, devait être intégrée dans le calcul de la valeur en douane des marchandises importées. À cette double interrogation, la Cour répond par l’affirmative. Elle juge d’abord que les articles 29 et 32 du code des douanes « s’appliquent à la détermination de la valeur en douane de marchandises importées sur la base d’un contrat qui, bien que qualifié de contrat de vente, se révèle être, en réalité, un contrat d’ouvraison ou de transformation ». Elle ajoute ensuite que doit être prise en compte dans cette valeur la restitution à l’exportation obtenue par une pratique abusive.
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I. La primauté de la réalité économique sur la qualification contractuelle en matière douanière
La décision de la Cour de justice rappelle avec force que la détermination de la valeur en douane doit se fonder sur la nature économique réelle des transactions, indépendamment de la qualification juridique retenue par les parties. Cette approche pragmatique s’applique aux contrats d’ouvraison déguisés (A) et relègue au second plan la question distincte de l’origine des marchandises (B).
A. L’application des règles de la valeur transactionnelle à un contrat d’ouvraison
La Cour affirme que les règles de détermination de la valeur en douane prévues aux articles 29 et 32 du code des douanes ne sont pas écartées lorsque l’opération, qualifiée de vente, est en réalité une prestation de transformation. La valeur transactionnelle, définie comme le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises, demeure la base principale de l’évaluation douanière. En choisissant de ne pas s’arrêter à la qualification formelle du contrat, la Cour privilégie une interprétation téléologique des textes. Son objectif est de saisir la substance économique de l’opération pour asseoir l’assiette des droits de douane sur une base juste et représentative. La solution garantit ainsi l’application uniforme du droit douanier et prévient les manœuvres consistant à minorer artificiellement la valeur déclarée par le biais d’une qualification contractuelle inappropriée. Le juge de l’Union confirme que le prix payé dans le cadre d’un contrat d’ouvraison peut servir de point de départ au calcul de la valeur, sous réserve des ajustements prévus par la réglementation.
B. L’indifférence de la qualification de l’origine des marchandises
Dans la seconde partie de son premier motif, la Cour précise qu’il est « indifférent de savoir si les opérations d’ouvraison ou de transformation remplissent les conditions fixées à l’article 24 de ce règlement ». Cet article définit les critères permettant de conférer à une marchandise l’origine du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle. La Cour opère ici une distinction nette entre deux ensembles de règles poursuivant des finalités différentes. Les règles sur l’origine visent à déterminer le statut géographique d’un produit, notamment pour l’application de mesures de politique commerciale ou de taux de droits préférentiels. Les règles sur la valeur en douane, quant à elles, ont pour seul but d’établir une assiette pécuniaire pour le calcul des droits. En jugeant que la conformité des opérations de transformation aux critères de l’origine n’affecte pas la méthode de calcul de la valeur, la Cour préserve l’autonomie et la cohérence de chacun de ces deux piliers du droit douanier. La solution est logique : la valeur économique d’une prestation de transformation existe indépendamment du fait qu’elle soit ou non suffisante pour changer l’origine du produit fini.
II. La neutralisation de l’abus de droit dans le calcul de la valeur en douane
Au-delà de la question de la qualification contractuelle, la décision s’attache à sanctionner les comportements frauduleux en intégrant leurs effets dans la détermination de la valeur en douane. Cette position réaffirme avec vigueur le principe de l’interdiction de l’abus de droit en droit de l’Union (A) et en tire des conséquences directes sur le calcul de la valeur taxable (B).
A. La consécration du principe de l’interdiction de l’abus de droit
La Cour juge que les avantages tirés d’une pratique abusive doivent être pris en compte. Elle se fonde sur un principe général du droit de l’Union, celui de l’interdiction de l’abus de droit, selon lequel les justiciables ne sauraient se prévaloir de normes de l’Union de manière frauduleuse ou abusive. Une telle pratique est caractérisée lorsque, d’une part, un ensemble de circonstances objectives démontre que l’objectif visé par la réglementation n’est pas atteint, et, d’autre part, un élément subjectif révèle une intention d’obtenir un avantage en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. En visant une « pratique consistant à appliquer des dispositions du droit de l’Union dans le but d’en tirer abusivement profit », la Cour rappelle que les montages purement artificiels, dénués de toute réalité économique, ne sauraient être opposés aux administrations. Cette jurisprudence constante est ici appliquée au domaine douanier pour déjouer une manœuvre visant manifestement à bénéficier d’une restitution à l’exportation indue, laquelle fausse les conditions normales du marché.
B. L’incidence de la fraude sur le calcul de la valeur en douane
La sanction de l’abus de droit se matérialise par l’obligation d’inclure la restitution à l’exportation dans la valeur en douane des marchandises importées. En effet, la restitution est une subvention qui diminue artificiellement le coût de la marchandise pour l’opérateur. Ne pas en tenir compte dans la valeur en douane des biens réimportés reviendrait à valider l’avantage indûment perçu et à asseoir les droits de douane sur une valeur minorée, non conforme à la réalité économique. En imposant cette réintégration, la Cour assure que la valeur déclarée reflète le véritable coût économique des marchandises, neutralisant ainsi les effets de la fraude. Cette solution pragmatique et rigoureuse a une portée dissuasive significative. Elle signifie aux opérateurs économiques que les profits tirés d’un abus de droit seront non seulement annulés, mais pourront également alourdir leurs charges fiscales et douanières lors d’opérations ultérieures, garantissant ainsi la juste perception des ressources propres de l’Union.