Dans un arrêt rendu par sa cinquième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée de la directive 2009/72/CE au regard de la fiscalité directe des États membres. Une entreprise slovaque du secteur de l’électricité s’est vue assujettir à un prélèvement spécial institué par la législation nationale, lequel s’appliquait à diverses entités dites réglementées. Ce prélèvement était calculé sur le résultat global de l’entreprise, incluant les revenus d’activités exercées à l’étranger, et conditionné par la détention d’une autorisation administrative ainsi que par la part des revenus tirés de l’activité réglementée. Contestant la compatibilité de cette mesure fiscale avec le droit de l’Union, l’entreprise a porté l’affaire devant les juridictions nationales. Le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour suprême de la République slovaque), saisi du litige, a décidé de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. La juridiction de renvoi s’interrogeait essentiellement sur la conformité du prélèvement spécial avec les objectifs de la directive 2009/72, notamment la création d’un marché de l’électricité concurrentiel, et avec les principes de non-discrimination et de transparence. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si la directive 2009/72, visant à établir des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, s’oppose à une législation nationale qui impose un prélèvement de nature fiscale sur le revenu global d’entreprises du secteur de l’énergie, lorsque ce prélèvement poursuit un objectif budgétaire. La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant que « la directive 2009/72 […] et, en particulier, son article 3, paragraphes 1 à 3 et 10, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale » de ce type.
L’analyse de la Cour repose sur une stricte délimitation du champ d’application de la directive (I), ce qui conduit à affirmer la persistance de l’autonomie fiscale des États membres dans ce domaine (II).
I. Le périmètre circonscrit de la directive sur le marché de l’électricité
La solution retenue par la Cour de justice découle d’une analyse rigoureuse du fondement juridique de la directive, qui exclut les dispositions fiscales (A), et de la qualification de la mesure litigieuse en tant qu’impôt de portée générale (B).
A. L’exclusion principielle des dispositions fiscales du champ de la directive
La Cour rappelle que la directive 2009/72 a pour objectif de réaliser un marché intérieur de l’électricité par le rapprochement des législations nationales. Pour ce faire, le législateur de l’Union a utilisé comme base juridique l’article 95 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Or, le raisonnement de la Cour s’appuie sur une exclusion explicite prévue par ce même traité. Elle souligne que, « conformément au libellé même du paragraphe 2 de l’article 95 CE, le paragraphe 1 de cet article ne s’appliquait pas aux dispositions fiscales ». Cette exclusion formelle est déterminante, car elle signifie que la compétence de l’Union exercée au travers de cette directive n’a jamais eu pour objet d’harmoniser les impôts directs des États membres. Par conséquent, une mesure nationale relevant de la fiscalité directe ne peut, en principe, être appréciée à l’aune des dispositions d’une directive qui n’a pas été conçue pour encadrer ce domaine.
B. La qualification de la mesure nationale en tant qu’imposition de caractère général
Pour confirmer l’inapplicabilité de la directive, la Cour procède ensuite à la qualification du prélèvement slovaque. Elle constate qu’il ne s’agit pas d’une mesure sectorielle visant à réguler le fonctionnement du marché de l’électricité. Plusieurs éléments factuels soutiennent cette analyse : le prélèvement poursuit un objectif budgétaire de réduction du déficit public, il s’applique à des entreprises de nombreux secteurs d’activité réglementée et non uniquement à celui de l’énergie, et enfin, son assiette est le « compte de résultat global de l’entité réglementée concernée » et non les revenus spécifiquement tirés de la fourniture d’électricité. Il s’agit donc bien d’un impôt direct sur le revenu des sociétés, dont la finalité et le champ d’application dépassent largement le cadre réglementaire du marché de l’électricité. Cette qualification achève de démontrer que la mesure nationale se situe en dehors du champ matériel de la directive 2009/72.
II. La confirmation de l’autonomie fiscale des États membres en matière de fiscalité directe
La conséquence logique de cette délimitation est que les principes contenus dans la directive sont inopérants pour contester le prélèvement (A), ce qui préserve en retour la compétence des États membres en matière d’impôts directs (B).
A. L’inapplicabilité consécutive des principes de la directive
Puisque le prélèvement spécial n’entre pas dans le champ d’application de la directive 2009/72, les obligations et principes qu’elle édicte ne peuvent lui être opposés. La Cour écarte ainsi l’ensemble des griefs soulevés par la juridiction de renvoi, qu’il s’agisse de l’atteinte à la concurrence, des entraves à l’accès au marché, de la transparence ou de la non-discrimination. Sur ce dernier point, la Cour précise qu’elle ne saurait examiner la mesure au regard du principe général de non-discrimination, dès lors que la directive est « le seul acte de droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée » et qu’aucun autre fondement pertinent n’a été invoqué. En affirmant que les dispositions de la directive « ne s’appliquent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, instituant un prélèvement spécial sur le revenu des entreprises », la Cour ferme la porte à un contrôle de la législation fiscale nationale par le biais des règles d’harmonisation du marché de l’électricité.
B. La portée de la solution : la sauvegarde de la compétence fiscale nationale
Au-delà du cas d’espèce, la décision réaffirme avec force un principe fondamental de la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres. La fiscalité directe demeure une compétence quasi exclusive des États, l’harmonisation en ce domaine restant limitée et soumise à des exigences procédurales strictes, comme la règle de l’unanimité au Conseil. Le présent arrêt illustre que les directives d’harmonisation de marché, même si elles visent à éliminer les entraves aux échanges, ne peuvent servir de moyen détourné pour s’immiscer dans les politiques fiscales des États membres. La Cour de justice se montre ainsi gardienne de la lettre des traités et de l’équilibre des compétences. En refusant d’étendre la portée d’une directive de marché intérieur à une mesure fiscale générale, elle préserve l’autonomie des États membres dans la définition de leurs politiques budgétaires et fiscales, y compris lorsque celles-ci peuvent avoir des effets indirects sur des secteurs harmonisés au niveau de l’Union.