Un homme, père de deux enfants et titulaire d’une pension d’incapacité permanente, s’est vu refuser le bénéfice d’un complément de pension par la législation de son pays. Cette dernière réservait en effet l’octroi de cette prestation aux femmes ayant eu au moins deux enfants, au nom de leur « contribution démographique à la sécurité sociale ». Saisi du litige après que l’épouse du demandeur, décédé en cours d’instance, eut repris l’action, le juge national a interrogé la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de cette disposition avec le droit de l’Union. La juridiction espagnole se demandait si une telle règle, qui exclut les pères se trouvant dans une situation identique, constituait une discrimination fondée sur le sexe prohibée par les traités et directives européennes. La Cour, après avoir requalifié le fondement juridique pertinent comme étant la directive 79/7/CEE relative à l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale, a jugé que cette législation instaurait une discrimination directe fondée sur le sexe. Elle a estimé que la situation des pères et des mères était comparable au regard de l’objectif de la loi et que la différence de traitement ne pouvait être justifiée par aucune des dérogations prévues par le droit de l’Union. Par conséquent, la Cour a conclu que la directive s’opposait à une réglementation nationale qui réserve un tel complément de pension aux seules femmes.
Il convient d’analyser la manière dont la Cour établit la comparabilité des situations entre pères et mères (I), avant d’examiner le raisonnement qui la conduit à écarter toute justification à la différence de traitement constatée (II).
I. L’affirmation d’une situation comparable entre pères et mères au regard du complément de pension
Pour déterminer l’existence d’une discrimination, la Cour examine si la différence de traitement instituée par la loi nationale concerne des personnes se trouvant dans une situation comparable. Elle répond par l’affirmative en écartant d’abord la pertinence de la « contribution démographique » comme critère de différenciation (A), puis en relativisant l’impact des données statistiques sur les carrières face à la potentialité d’une éducation des enfants assumée par le père (B).
A. Le rejet de la contribution démographique comme critère de différenciation
La législation nationale justifiait explicitement l’octroi du complément de pension aux femmes par leur « contribution démographique à la sécurité sociale ». La Cour de justice écarte cet argument de manière concise et définitive. Elle observe que « la contribution des hommes à la démographie est tout aussi nécessaire que celle des femmes ». Ce faisant, elle refuse de voir dans l’acte de procréation un fondement objectif permettant de distinguer la situation des mères de celle des pères pour l’attribution d’un avantage social. L’argument démographique, aussi fondamental soit-il sur un plan biologique ou sociétal, est jugé inopérant pour justifier une rupture d’égalité en droit de la sécurité sociale. La Cour établit ainsi que, du point de vue de l’objectif affiché par la loi, les deux parents se trouvent dans une situation identique, rendant leur traitement différencié a priori suspect.
B. L’indifférence des données statistiques face à la potentielle similitude des parcours
Le gouvernement national a avancé un objectif subsidiaire : réduire l’écart entre les pensions des hommes et des femmes, ces dernières voyant plus souvent leur carrière interrompue ou écourtée pour élever des enfants. La Cour reconnaît cette réalité statistique mais refuse qu’elle puisse suffire à rendre les situations d’un père et d’une mère non comparables. Elle affirme que « la circonstance que les femmes sont plus touchées par les désavantages professionnels résultant de l’éducation des enfants parce que ce sont elles en général qui assument cette éducation n’est pas de nature à exclure la comparabilité de leur situation avec celle d’un homme qui a assumé l’éducation de ses enfants et a été, de ce fait, exposé aux mêmes désavantages de carrière ». La Cour privilégie ainsi une approche concrète et individuelle plutôt qu’une vision purement statistique et générale. La simple possibilité pour un père d’assumer l’éducation de ses enfants et de subir les mêmes préjudices de carrière suffit à le placer dans une situation comparable à celle d’une mère, rendant la discrimination injustifiée au regard de ce seul critère.
II. Le rejet systématique des dérogations au principe d’égalité de traitement
Une fois la discrimination directe établie, la Cour vérifie si celle-ci peut être sauvée par l’une des exceptions prévues par le droit de l’Union. Elle conclut par la négative, jugeant inapplicables tant les exceptions liées à la maternité et à l’éducation des enfants prévues par la directive (A) que la faculté de maintenir des mesures d’action positive (B).
A. L’inapplicabilité des exceptions liées à la maternité et à l’éducation des enfants
La directive 79/7 autorise des dérogations pour la protection de la femme « en raison de la maternité ». La Cour interprète cette notion de manière stricte, la liant à la condition biologique de la femme pendant et après la grossesse, ainsi qu’aux rapports particuliers avec son enfant juste après l’accouchement. Or, le complément de pension espagnol n’est pas lié à un congé de maternité ou à un préjudice de carrière découlant directement de l’éloignement du service post-accouchement. Le fait que les mères adoptives y aient également droit démontre, selon la Cour, que le législateur n’a pas entendu limiter la mesure à la seule protection biologique. De même, la dérogation relative aux avantages accordés aux personnes ayant « élevé des enfants » est écartée. La Cour souligne que la loi nationale subordonne l’octroi de l’avantage au fait d’avoir eu au moins deux enfants, et non à leur éducation effective ou à une interruption de carrière qui en résulterait.
B. L’exclusion de la qualification de mesure d’action positive
Enfin, la Cour examine si la mesure pourrait être considérée comme une action positive au sens de l’article 157, paragraphe 4, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, visant à compenser des désavantages dans la carrière des femmes. La réponse est là encore négative. La Cour juge qu’une telle mesure doit être de nature à aider les femmes dans leur carrière pour assurer concrètement une pleine égalité dans la vie professionnelle. Le complément de pension litigieux ne répond pas à cette exigence, car il « se borne à accorder aux femmes un surplus au moment de l’octroi d’une pension, sans porter remède aux problèmes qu’elles peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle ». Il ne s’agit pas d’une mesure préventive ou compensatrice active, mais d’un simple bonus accordé en fin de parcours, insuffisant pour être qualifié d’action positive. La discrimination, n’étant justifiée par aucune dérogation, est donc jugée contraire à la directive.