Cour de justice de l’Union européenne, le 12 février 2015, n°C-396/13

Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne est venue apporter des clarifications substantielles concernant les droits des travailleurs détachés au sein de l’Union. En l’espèce, une entreprise établie dans un État membre avait détaché plusieurs de ses salariés sur le territoire d’un autre État membre. Un syndicat de cet État d’accueil, estimant que les travailleurs n’avaient pas perçu le salaire minimal dû en vertu des conventions collectives locales, a recueilli la cession de leurs créances salariales. Le syndicat a ensuite engagé une action en justice devant les juridictions de l’État d’accueil afin de recouvrer les sommes qu’il jugeait impayées. L’entreprise employeuse a toutefois opposé à cette action une fin de non-recevoir, tirée de la législation de son propre État de siège qui prohibait la cession de créances issues d’une relation de travail. Face à ce conflit de normes et à des incertitudes sur la composition du salaire minimal, la juridiction nationale saisie a décidé de surseoir à statuer. Elle a adressé à la Cour de justice une série de questions préjudicielles. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs, lue à la lumière du droit à un recours effectif, permettait à une loi nationale de faire obstacle à l’action en justice d’un syndicat fondée sur des créances salariales cédées. D’autre part, la juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur les divers éléments, tels que les indemnités, les allocations ou les avantages en nature, pouvant ou non être intégrés dans le calcul du salaire minimal au sens de cette même directive. À ces interrogations, la Cour a répondu en affirmant que le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une réglementation nationale interdisant la cession de créances puisse paralyser l’action en recouvrement d’un syndicat dans l’État d’accueil. Elle a ensuite procédé à une ventilation détaillée des composantes du salaire minimal, établissant une ligne de partage entre les sommes qui en font partie et celles qui doivent en être exclues.

La décision de la Cour renforce ainsi la protection des travailleurs détachés en sécurisant leur accès à la justice (I), tout en clarifiant de manière pragmatique la substance de leurs droits salariaux (II).

I. La consolidation de l’accès au juge pour le travailleur détaché

La Cour de justice garantit l’effectivité des droits conférés par la directive 96/71 en écartant les obstacles procéduraux nationaux (A) et en validant indirectement le rôle des acteurs collectifs dans leur mise en œuvre (B).

A. L’éviction des règles nationales entravant l’action en recouvrement

La Cour énonce de manière explicite que la directive 96/71, combinée à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « s’oppose à ce qu’une réglementation de l’État membre du siège de l’entreprise […] puisse faire obstacle à ce qu’un syndicat […] introduise un recours ». Ce faisant, elle confère une primauté incontestable à l’objectif de protection du travailleur détaché sur les particularismes juridiques nationaux qui pourraient en diminuer la portée. Le raisonnement de la Cour repose sur le principe de l’effet utile du droit de l’Union. Permettre à une législation nationale de neutraliser les mécanismes de recouvrement prévus par le droit de l’État d’accueil viderait de sa substance le droit au salaire minimal garanti par la directive. La solution assure une cohérence systémique, en prévenant les situations où un droit serait reconnu en théorie mais impossible à faire valoir en pratique. L’invocation de l’article 47 de la Charte, relatif au droit à un recours effectif, ancre cette solution au plus haut niveau de la hiérarchie des normes de l’Union et en fait une exigence fondamentale pour l’interprétation de la législation secondaire.

B. La légitimation de l’intervention syndicale par la cession de créance

En validant l’action du syndicat fondée sur la cession de créances, la Cour reconnaît le rôle essentiel des organisations de travailleurs dans la défense effective des droits individuels. Les travailleurs détachés, souvent dans une position de vulnérabilité en raison de la barrière de la langue, de l’isolement et de la méconnaissance du système juridique local, peuvent hésiter à engager seuls une procédure judiciaire. La cession de leurs créances à un syndicat constitue un outil de mutualisation du risque et des ressources, permettant de surmonter ces obstacles. La Cour ne se prononce pas directement sur la validité de la cession elle-même, mais sur l’impossibilité pour une loi étrangère de paralyser l’action qui en découle. Cette approche pragmatique conforte les instruments de l’action collective qui se sont développés pour assurer le respect des législations sur le salaire minimal. La portée de cette décision est donc considérable, car elle sécurise une voie d’action privilégiée pour les syndicats de l’État d’accueil, qui sont souvent les mieux placés pour contrôler le respect des conventions collectives locales par les entreprises étrangères.

La voie de droit étant ainsi assurée, la Cour s’attache ensuite à délimiter l’objet de la créance dont le recouvrement est poursuivi.

II. La délimitation matérielle de la créance de salaire minimal

La Cour de justice opère une distinction rigoureuse entre les sommes qui constituent des éléments du salaire minimal et celles qui n’en sont pas, en se fondant sur un critère fonctionnel. Elle admet ainsi l’inclusion de certaines indemnités sous des conditions strictes de transparence et d’équivalence (A), mais exclut fermement les avantages qui ne sont pas de nature pécuniaire (B).

A. L’intégration conditionnelle des indemnités de détachement

La Cour examine plusieurs types d’indemnités versées aux travailleurs. Elle admet qu’un calcul du salaire fondé sur un classement en groupes de rémunération est conforme au droit de l’Union, « à condition que ce calcul et ce classement soient effectués selon des règles contraignantes et transparentes ». Elle établit ensuite un principe d’équivalence pour l’indemnité journalière, qui « doit être considérée comme faisant partie du salaire minimal dans des conditions identiques à celles auxquelles est soumise l’inclusion de cette indemnité dans le salaire minimal versé aux travailleurs locaux ». De même, une indemnité de trajet quotidien peut être incluse si les conditions factuelles de son octroi sont remplies. L’approche de la Cour est pragmatique : elle cherche à déterminer si ces indemnités constituent une véritable contrepartie du travail ou si elles visent à compenser les charges spécifiques liées au détachement. En liant leur inclusion dans le salaire minimal au traitement réservé aux travailleurs locaux, elle prévient le risque que des remboursements de frais soient abusivement qualifiés de salaire pour atteindre artificiellement le seuil minimal requis.

B. L’exclusion des avantages en nature et la définition du pécule de vacances

La Cour adopte une position très claire concernant les avantages non monétaires. Elle juge que « la prise en charge du logement de ces travailleurs ne doit pas être considérée comme constituant un élément du salaire minimal » et qu’il en va de même pour « une allocation prenant la forme de bons d’alimentation ». Cette solution est logique, car le salaire minimal vise à garantir un pouvoir d’achat et une rémunération pécuniaire au travailleur. L’intégration d’avantages en nature, dont la valeur peut être volatile et l’utilité variable, créerait une insécurité juridique et ouvrirait la voie à des abus. La Cour préserve ainsi le caractère purement salarial de la notion de salaire minimal. Enfin, elle précise que « le pécule de vacances qui doit être accordé aux travailleurs détachés pour la durée minimale des congés annuels payés correspond au salaire minimal auquel ceux-ci ont droit durant la période de référence ». Cette dernière précision assure que le droit aux congés payés, autre noyau dur de la directive, soit également calculé sur une base salariale complète et non diminuée, garantissant une protection cohérente et intégrale du travailleur détaché.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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