Cour de justice de l’Union européenne, le 12 février 2015, n°C-48/14

Par un arrêt rendu le 22 septembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la légalité d’une directive fixant des exigences pour la protection de la santé de la population en ce qui concerne les substances radioactives dans les eaux destinées à la consommation humaine. En l’espèce, une proposition de directive avait été présentée par une institution de l’Union sur le fondement du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique. Au cours de la procédure d’adoption, une autre institution, le Parlement européen, avait proposé de modifier cette base juridique au profit de l’article 192, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif à la politique de l’environnement. Le Conseil, statuant en tant qu’organe d’adoption, a rejeté cette proposition et a adopté l’acte sur la base juridique initialement proposée, à savoir les articles 31 et 32 du traité CEEA.

Le Parlement européen a alors introduit un recours en annulation contre cette directive. Il soutenait que l’objectif principal de l’acte était la protection de la santé des personnes et l’utilisation prudente des ressources, ce qui relevait de la politique environnementale de l’Union et justifiait l’emploi de l’article 192, paragraphe 1, du traité FUE comme base juridique. Le requérant invoquait en outre une violation du principe de sécurité juridique, en raison de la coexistence de la nouvelle directive avec une directive antérieure régissant la qualité des eaux, ainsi qu’une violation du principe de coopération loyale entre les institutions. L’institution défenderesse, soutenue par plusieurs États membres et par la Commission, concluait au rejet du recours, arguant que le traité CEEA contenait des dispositions spécifiques pour la protection sanitaire contre les radiations ionisantes, constituant une *lex specialis* qui devait prévaloir.

La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si un acte de l’Union visant à protéger la population contre les substances radioactives dans l’eau potable devait se fonder sur les dispositions générales du traité FUE relatives à l’environnement ou sur les dispositions spécifiques du traité CEEA relatives à la protection sanitaire.

La Cour de justice a rejeté le recours dans son intégralité. Elle a jugé que le traité CEEA constituait bien la base juridique appropriée, en tant que disposition plus spécifique. La Cour a également écarté les griefs tirés de la violation des principes de sécurité juridique et de coopération loyale, considérant que le choix correct de la base juridique et les principes d’articulation des normes suffisaient à prévenir toute illégalité.

La décision de la Cour repose sur une application rigoureuse de la hiérarchie des normes et des compétences au sein du droit de l’Union, consacrant la primauté de la base juridique spécifique prévue par le traité CEEA (I). Ce faisant, elle écarte logiquement les critiques fondées sur une prétendue méconnaissance de principes généraux du droit de l’Union, dont la portée se trouve par là même précisée (II).

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I. La consécration de la base juridique spécifique du traité Euratom

La Cour de justice fonde sa décision sur le caractère spécial des dispositions du traité CEEA, réaffirmant ainsi la prééminence de ce critère dans la détermination de la base juridique (A). Cette solution a également pour effet de préserver l’autonomie et l’effet utile du régime juridique instauré par ce traité particulier (B).

A. L’application du critère de la *lex specialis*

Le raisonnement de la Cour s’articule autour de la jurisprudence constante selon laquelle le choix de la base juridique d’un acte doit se fonder sur des éléments objectifs, dont sa finalité et son contenu. En l’espèce, la directive attaquée vise à protéger la santé publique contre les dangers des substances radioactives. Or, le traité CEEA contient des dispositions dédiées à cet objectif précis. La Cour constate que « l’article 31 ea constitue une base juridique plus spécifique pour ce qui concerne la protection de la santé de la population contre les substances radioactives dans les eaux destinées à la consommation humaine que la base juridique générale résultant de l’article 192, paragraphe 1, TFUE ». La compétence générale de l’Union en matière d’environnement, bien qu’elle inclue la protection de la santé, ne peut donc pas être mobilisée lorsqu’une disposition plus précise existe.

Cette approche orthodoxe confirme qu’un acte doit être rattaché à la base juridique la plus pertinente, sans que des considérations relatives à la procédure d’adoption ne puissent influencer ce choix. La Cour rappelle qu’il est « sans pertinence à cet égard la base juridique qui a été retenue pour l’adoption d’autres actes de l’Union présentant, le cas échéant, des caractéristiques similaires ». L’existence d’une réglementation antérieure sur la qualité de l’eau, fondée sur le traité FUE, ne pouvait donc faire obstacle à l’adoption d’une législation distincte sur le fondement plus approprié du traité CEEA pour le volet spécifique de la radioactivité. La solution retenue est donc une application classique du principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale.

B. La préservation de l’autonomie du système juridique d’Euratom

Au-delà du seul choix de la disposition applicable, l’arrêt renforce la position singulière du traité CEEA dans l’architecture des traités de l’Union. La Cour souligne que l’argumentation du requérant méconnaîtrait non seulement l’effet utile de l’article 31 du traité CEEA, mais aussi « le principe inscrit à l’article 106 bis, paragraphe 3, ea, selon lequel les dispositions du traité fue ne dérogent pas aux dispositions du présent traité ». Cette clause de non-dérogation empêche que les compétences définies dans le traité FUE ne viennent vider de leur substance les attributions spécifiques prévues par le traité CEEA. Accepter la thèse du Parlement aurait conduit à rendre l’article 31 CEEA largement inopérant, dès lors que toute mesure de protection sanitaire contre les radiations ionisantes aurait pu être rattachée à la politique de l’environnement.

Le juge de l’Union interprète ainsi les dispositions du chapitre 3 du traité CEEA de manière large afin d’assurer une protection « cohérente et efficace de la population contre les dangers résultant des radiations ionisantes, quelle qu’en soit la source ». Cette interprétation téléologique garantit la pérennité d’un corpus de règles dédiées à un risque spécifique, celui du nucléaire, et confirme que le traité CEEA constitue un ordre juridique distinct, doté de ses propres règles de fond et de procédure, que le traité FUE ne saurait altérer.

II. Le rejet des violations alléguées des principes généraux du droit

Après avoir validé la base juridique, la Cour écarte les moyens tirés de la violation du principe de sécurité juridique (A) et du principe de coopération loyale (B), en fournissant une lecture restrictive de leur portée dans ce contexte.

A. L’absence de violation du principe de sécurité juridique

Le Parlement européen soutenait que la superposition de deux régimes juridiques, l’un découlant de la directive de 1998 sur la qualité de l’eau et l’autre de la directive attaquée, créait une situation d’insécurité juridique. La Cour rejette ce moyen en se fondant sur une analyse pragmatique des textes en présence. Elle constate d’abord qu’il n’existe « aucune contradiction dans l’articulation entre la directive attaquée et la directive 98/83 », les valeurs paramétriques étant soit identiques, soit nouvelles. Le principe de sécurité juridique, qui exige que les règles soient claires, précises et prévisibles, n’est donc pas méconnu.

La Cour ajoute que, en tout état de cause, la directive attaquée constitue une *lex specialis* par rapport à la directive générale sur la qualité de l’eau. Dès lors, le principe *lex specialis derogat legi generali* trouve à s’appliquer pour résoudre toute éventuelle incompatibilité, une solution d’ailleurs explicitement confirmée par un considérant de la directive attaquée elle-même. La coexistence de deux actes n’est donc pas, en soi, génératrice d’incertitude, dès lors que les règles de conflit de lois permettent de déterminer sans ambiguïté la norme applicable. L’argument du requérant est ainsi écarté par le recours à un principe d’articulation classique des normes juridiques.

B. L’interprétation stricte du devoir de coopération loyale

Le dernier moyen soulevé par le requérant portait sur une violation du principe de coopération loyale, au motif que le Conseil aurait artificiellement isolé un élément d’un acte pour le soumettre à une procédure législative moins contraignante pour lui. La Cour rappelle que si les institutions doivent pratiquer entre elles une coopération loyale en vertu de l’article 13, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne, cette obligation « s’exerce toutefois dans le respect des limites des pouvoirs conférés dans les traités à chaque institution ». Le principe de coopération loyale ne peut donc servir à modifier l’équilibre institutionnel voulu par les auteurs des traités.

Ayant déjà établi que le Conseil avait utilisé la base juridique adéquate, la Cour en déduit que les conséquences procédurales qui en découlent, à savoir la simple consultation du Parlement et non sa participation en tant que colégislateur, ne résultent pas d’une violation de la coopération loyale mais « uniquement du choix opéré par les auteurs des traités ». Soumettre l’exercice par le Conseil de ses compétences au titre du traité CEEA à l’accord préalable du Parlement, comme le suggérait ce dernier, reviendrait à élargir les pouvoirs de celui-ci au-delà de ce que les textes prévoient. La Cour réaffirme ainsi que le respect des compétences attribuées par les traités constitue une limite infranchissable à la portée du principe de coopération loyale.

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Hassan KOHEN
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