Dans un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la compatibilité du principe de non-discrimination en raison de l’âge avec une réglementation nationale fixant une limite d’âge pour l’accès à un emploi public. En l’espèce, un candidat au poste de pompier dans le service technique intermédiaire s’est vu opposer un refus à sa candidature au motif qu’il avait dépassé la limite d’âge de trente ans, fixée par la législation d’un Land allemand. S’estimant victime d’une discrimination, l’intéressé a saisi les juridictions nationales afin d’obtenir une indemnisation. Le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main, doutant de la conformité de la réglementation nationale avec la directive 2000/78/CE, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la haute juridiction de déterminer si une législation nationale qui établit un âge maximal de recrutement à trente ans pour le service technique intermédiaire des pompiers professionnels constituait une dérogation justifiée au principe de l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge. La Cour de justice juge que la directive ne s’oppose pas à une telle réglementation. Elle considère que la possession de capacités physiques particulièrement élevées constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour l’exercice de cette profession, et que la fixation d’une telle limite d’âge est un moyen approprié et nécessaire pour garantir le caractère opérationnel du service des pompiers.
La solution retenue par la Cour de justice repose sur la reconnaissance d’une exigence professionnelle spécifique justifiant une différence de traitement (I), dont la validité demeure cependant subordonnée à une stricte appréciation de sa proportionnalité (II).
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I. La reconnaissance d’une exigence professionnelle justifiant la limite d’âge
La Cour de justice justifie la différence de traitement fondée sur l’âge en la rattachant à une exigence professionnelle spécifique, plutôt qu’à une dérogation d’ordre général. Pour ce faire, elle opère un recentrage de l’analyse juridique sur le fondement de l’exigence professionnelle (A), avant de valider l’objectif de maintien de la capacité opérationnelle du service public concerné (B).
A. Le recentrage du débat sur le fondement de l’exigence professionnelle
Alors que la juridiction de renvoi orientait son questionnement vers l’article 6 de la directive, qui prévoit des justifications générales aux différences de traitement liées à l’âge, la Cour choisit de fonder son raisonnement sur l’article 4, paragraphe 1. Cette disposition permet qu’« une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er [de cette directive] ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante ». Ce faisant, la Cour déplace l’analyse du terrain de la justification d’une discrimination avérée vers celui d’une qualification de la différence de traitement, qui, sous certaines conditions, n’est pas considérée comme discriminatoire. Il ne s’agit plus de justifier une discrimination, mais de constater qu’une telle discrimination n’est pas constituée lorsque la caractéristique liée à l’âge est fondamentale pour l’exercice de l’activité.
B. La validation de l’objectif de maintien de la capacité opérationnelle
La Cour reconnaît ensuite que le « souci d’assurer le caractère opérationnel et le bon fonctionnement du service des pompiers professionnels constitue un objectif légitime » au sens de la directive. Elle s’appuie pour cela sur le dix-huitième considérant de la directive, lequel admet la nécessité pour les services de secours de pouvoir maintenir leur caractère opérationnel. Dans ce cadre, la possession de capacités physiques particulièrement importantes est considérée comme une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » pour les missions de lutte contre les incendies ou de secours aux personnes qui incombent au service technique intermédiaire des pompiers. En distinguant ces missions des fonctions d’encadrement, la Cour admet que la nature même de l’activité justifie que le recrutement soit conditionné par des aptitudes physiques spécifiques qui sont intrinsèquement liées à la jeunesse.
II. Une justification soumise à un contrôle de proportionnalité rigoureux
La reconnaissance de cette exigence professionnelle ne dispense pas la Cour d’un examen approfondi de la proportionnalité de la mesure. Elle s’attache ainsi à vérifier la corrélation effective entre la capacité physique requise et l’âge (A), puis elle apprécie la nécessité de la limite d’âge au regard des contraintes de gestion des carrières (B).
A. La corrélation établie entre la capacité physique et l’âge
La Cour de justice prend soin de vérifier que le lien entre l’âge et la capacité physique n’est pas une simple présomption mais repose sur des éléments objectifs. Se fondant sur les observations qui lui ont été soumises, elle retient que « très peu de fonctionnaires âgés de plus de 45 ans auraient les capacités physiques suffisantes pour exercer leur activité dans le domaine de la lutte contre les incendies ». Ce constat factuel, basé sur des données scientifiques non contredites, permet d’établir que la pleine capacité physique, nécessaire à l’exercice de la profession de pompier, est bien une caractéristique liée à l’âge. La justification ne repose donc pas sur un stéréotype lié à l’âge, mais sur l’évolution biologiquement avérée des aptitudes physiques, laquelle a un impact direct sur la capacité à exercer les tâches les plus exigeantes du métier de pompier.
B. L’appréciation de la nécessité de la limite d’âge pour la gestion de la carrière
Enfin, la Cour examine si la limite d’âge fixée à trente ans est une mesure appropriée et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif. Son raisonnement s’inscrit dans une logique de gestion à long terme des effectifs. Le recrutement de fonctionnaires avant trente ans permet de garantir qu’ils pourront être affectés aux missions les plus exigeantes « pendant une durée minimale de 15 à 20 ans » avant d’être redéployés vers des postes moins physiques. Un recrutement à un âge plus avancé compromettrait cet équilibre et ne permettrait pas d’assurer une période de service suffisamment longue dans les fonctions opérationnelles. La mesure est donc jugée nécessaire pour garantir une structure des âges fonctionnelle au sein du corps des pompiers et pour maintenir sa pleine capacité opérationnelle. La limite d’âge apparaît ainsi comme un outil indispensable à l’organisation raisonnable du service.