La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 12 janvier 2023, une décision fondamentale relative à la lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle.
Un travailleur indépendant collaborait depuis plusieurs années avec une société de télévision publique nationale en réalisant des montages audiovisuels sur le fondement de contrats d’entreprise. Après la diffusion d’une vidéo musicale promouvant la tolérance envers les couples de personnes de même sexe, le donneur d’ordre a brusquement cessé toute collaboration. Le requérant a sollicité devant le tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie, le 20 décembre 2017, l’octroi de dommages et intérêts pour violation de l’égalité de traitement. La juridiction polonaise a interrogé la Cour sur l’interprétation de la directive 2000/78 relative à l’application du principe de non-discrimination aux activités non salariées. Il convient de déterminer si le refus de conclure un contrat avec un indépendant pour des motifs d’orientation sexuelle relève du champ d’application du droit de l’Union. Les juges luxembourgeois considèrent que les notions de conditions d’accès à l’emploi et de travail incluent les prestations réalisées par un travailleur indépendant.
**I. L’interprétation extensive du champ d’application de la protection européenne**
La directive 2000/78 s’applique à toutes les personnes pour les conditions d’accès aux activités non salariées sans renvoyer aux définitions des seuls États membres.
**A. La consécration de la protection des activités non salariées**
La Cour affirme que les termes de la directive « doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme » afin de garantir l’égalité. Le législateur européen n’a pas entendu limiter la protection aux seuls salariés mais vise l’élimination de tous les obstacles discriminatoires à l’exercice d’un travail. Cette approche téléologique permet d’englober les relations contractuelles de droit civil dès lors qu’elles permettent l’accès à des moyens de subsistance par le labeur personnel. Le refus de renouveler un contrat d’entreprise pour des motifs liés à l’orientation sexuelle tombe ainsi sous le coup de l’interdiction des discriminations directes.
**B. L’exigence de stabilité et de réalité de l’activité professionnelle**
La protection contre les discriminations suppose toutefois que les activités en cause soient « réelles et exercées dans le cadre d’une relation juridique caractérisée par une certaine stabilité ». Le juge européen distingue ainsi la simple fourniture ponctuelle de services de l’activité professionnelle stable s’inscrivant dans une organisation ou une hiérarchie professionnelle. Le caractère involontaire de la cessation d’activité pour le travailleur indépendant est assimilé à un licenciement, garantissant une protection équivalente à celle des travailleurs salariés. L’objectif de la directive consiste à offrir une protection efficace contre les exclusions fondées sur des critères prohibés quel que soit le statut du travailleur.
**II. La primauté de l’égalité de traitement sur la liberté contractuelle**
L’exclusion nationale du libre choix du contractant ne saurait justifier une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle sans vider la directive de son effet utile.
**A. L’encadrement strict de la liberté d’entreprise**
Bien que l’article 16 de la Charte protège le libre choix du partenaire économique, la liberté d’entreprise ne constitue nullement une prérogative absolue en droit européen. La Cour précise que cette liberté « doit être prise en considération par rapport à sa fonction dans la société » et se soumettre impérativement aux principes d’ordre public. Une restriction à la liberté contractuelle s’avère nécessaire pour prévenir les atteintes aux droits fondamentaux des individus au sein d’une société démocratique et égalitaire. La protection du droit de choisir son cocontractant s’arrête là où commence l’exercice arbitraire d’une discrimination condamnée par les traités et le droit dérivé.
**B. L’inefficacité des dérogations fondées sur la liberté d’autrui**
L’article 2 de la directive autorise des dérogations limitées pour la protection des droits d’autrui mais celles-ci doivent impérativement faire l’objet d’une interprétation très stricte. Le refus de contracter fondé uniquement sur l’orientation sexuelle ne peut être tenu pour nécessaire à la garantie de la liberté contractuelle des partenaires économiques. Admettre une telle discrimination reviendrait à tolérer des obstacles arbitraires à l’épanouissement personnel et à la participation pleine des citoyens à la vie économique et sociale. La réglementation nationale ne peut donc valablement écarter la protection européenne au nom d’un libre choix du contractant qui masquerait un comportement discriminatoire illicite.