La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 12 juillet 2012, précise l’opposabilité des actes lors de l’adhésion de nouveaux États membres. Cette décision traite de la validité d’une taxe nationale sur les stocks excédentaires fondée sur un règlement non publié en langue estonienne. Une société en liquidation a fait l’objet d’une imposition sur ses stocks de beurre après l’adhésion de la République d’Estonie à l’Union européenne. L’administration fiscale s’est appuyée sur des règlements européens qui n’avaient pas fait l’objet d’une publication régulière au Journal officiel dans la langue nationale. Les recours formés par la redevable contre les avis d’imposition émis ont été rejetés par les premières juridictions saisies. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Riigikohus a décidé, par une décision du 17 mars 2011, de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. Le problème juridique porte sur l’opposabilité aux particuliers d’obligations contenues dans un règlement non traduit officiellement, malgré une référence opérée par la législation interne. La Cour répond que l’article 58 de l’acte d’adhésion s’oppose à l’application de telles dispositions tant qu’elles ne sont pas publiées dans la langue de l’État. L’étude de cette solution conduit à examiner d’abord le principe de non-opposabilité lié au défaut de publication avant d’analyser les conséquences de ce manquement.
I. L’affirmation rigoureuse du principe de non-opposabilité lié au défaut de publication officielle
A. L’exigence constitutionnelle d’une publicité régulière dans la langue de l’État membre
La Cour de justice rappelle qu’un « principe fondamental dans l’ordre juridique de l’Union exige qu’un acte ne soit pas opposable avant une publication régulière ». Cette règle garantit que les justiciables puissent prendre connaissance de l’étendue de leurs obligations avant que celles-ci ne produisent des effets de droit contraignants. L’article 58 de l’acte d’adhésion de 2003 confirme que les textes des institutions font foi dans les nouvelles langues officielles dès l’adhésion des États concernés. Il en résulte qu’une publication régulière suppose impérativement la diffusion de l’acte dans la langue de l’État membre au Journal officiel de l’Union européenne. Le juge refuse ainsi de donner effet à une norme qui n’a pas respecté les formes prescrites pour assurer la transparence du droit.
B. Le rejet de la connaissance de la norme par des vecteurs informels
L’administration fiscale soutenait que la société redevable ne pouvait ignorer ses obligations puisque l’acte d’adhésion envisageait déjà la taxation des stocks agricoles. La Cour écarte fermement cet argument en jugeant que l’opposabilité d’un règlement demeure « subordonnée aux conditions générales de mise en œuvre du droit de l’Union ». Le fait que la redevable ait déclaré ses stocks avec exactitude ne suffit pas à rendre opposable une réglementation qui n’a pas été publiée. Cette approche purement objective de la publicité légale interdit aux autorités nationales de se fonder sur une connaissance supposée ou réelle du justiciable. La protection du citoyen contre l’arbitraire repose sur cette exigence formelle de traduction préalable qui conditionne la force exécutoire de la norme européenne.
II. L’inefficacité du relais législatif national face aux carences de l’administration européenne
A. L’insuffisance du renvoi textuel interne vers une source communautaire non traduite
Le législateur estonien avait adopté une loi nationale relative à la taxe sur les stocks excédentaires qui renvoyait explicitement au règlement de la Commission. Cependant, cette législation interne ne reprenait pas la définition précise des produits agricoles taxables, se bornant à citer une disposition communautaire encore non publiée. La Cour observe que « les particuliers n’étaient pas en mesure d’identifier ces produits grâce à la réglementation nationale » en raison de cette opacité textuelle. Un renvoi législatif ne saurait pallier l’absence de publication officielle de la norme de référence dans la langue comprise par les opérateurs économiques locaux. La sécurité juridique impose que les éléments essentiels de l’imposition soient accessibles directement ou par une incorporation matérielle explicite dans le droit interne.
B. La primauté de la sécurité juridique sur les impératifs d’effectivité du droit
Le gouvernement estonien invoquait l’objectif de lutte contre la spéculation pour justifier l’application immédiate de la taxe malgré les retards de traduction officielle. Le juge communautaire estime toutefois que le principe d’effectivité ne peut concerner des « règles qui ne sont pas encore opposables aux particuliers » dans l’ordre juridique. Admettre la solution inverse reviendrait à « faire supporter aux particuliers les conséquences négatives du non-respect de l’obligation qui pesait sur l’administration ». La Cour fait ainsi prévaloir la protection des droits individuels sur les intérêts financiers ou économiques de l’Union européenne et des États membres. Cette jurisprudence sanctuarise le plurilinguisme comme une condition substantielle de validité de l’application du droit européen aux personnes privées au sein des nouveaux États membres.