Cour de justice de l’Union européenne, le 12 juillet 2012, n°C-171/11

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le douze juillet deux mille douze, précise l’application du droit de l’Union aux organismes privés. Une société italienne fabrique des raccords en cuivre et bénéficie initialement d’un certificat de conformité délivré par un organisme de normalisation de droit privé. Ce dernier modifie ultérieurement ses prescriptions techniques en introduisant un nouveau test thermique pour les joints d’étanchéité de ces produits de construction. La société refuse de se soumettre à cette exigence supplémentaire et subit par conséquent le retrait de son attestation de conformité pour le marché national.

La juridiction de première instance, le Landgericht Köln, rejette le recours au motif que l’organisme certificateur peut librement décider des conditions de délivrance de ses labels. La société interjette appel devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf en réclamant la prorogation de son certificat et le versement d’une indemnité pour le préjudice subi. La requérante soutient que les activités de normalisation entravent son accès au marché en raison de la présomption de conformité attachée aux produits certifiés par l’organisme. L’organisme de droit privé prétend au contraire échapper aux dispositions du traité car il n’exerce aucune prérogative de puissance publique pour le compte de l’État.

Le problème juridique posé à la juridiction européenne concerne l’assujettissement d’un organisme de droit privé aux dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises. Il convient de déterminer si les activités de normalisation et de certification constituent des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives interdites par le droit communautaire. La Cour de justice affirme que l’article vingt-huit du traité s’applique aux organismes privés dont les normes techniques régissent en pratique l’entrée des produits sur le marché.

**I. L’assimilation de l’activité de normalisation privée à une mesure d’effet équivalent**

**A. La détention d’un pouvoir de réglementation du marché national**

La Cour de justice examine en premier lieu l’influence réelle de l’organisme de droit privé sur la commercialisation des raccords en cuivre dans l’État membre. Elle relève que la réglementation nationale établit une présomption de conformité pour les produits certifiés, facilitant ainsi grandement leur distribution auprès des installateurs et des consommateurs. Cette reconnaissance législative confère à l’organisme une autorité qui dépasse le simple cadre contractuel privé pour influencer directement les flux commerciaux entre les différents États membres. L’arrêt souligne qu’un tel organisme « détient en réalité, du fait notamment de son habilitation à certifier les produits, le pouvoir de réglementer l’entrée sur le marché ».

L’existence de cette présomption légale transforme une norme technique facultative en une barrière incontournable pour les opérateurs économiques étrangers souhaitant importer leurs marchandises. La Cour de justice considère que l’absence de certification prive la société distributrice de toute chance réelle de vendre ses produits sur le territoire de destination. Cette situation place l’entité privée dans une position comparable à celle d’une autorité publique dont les décisions affectent le commerce intracommunautaire par des mesures d’effet équivalent.

**B. L’effacement de la distinction entre organismes publics et structures privées**

Le juge européen écarte l’argument tiré de la nature purement privée de l’organisme pour justifier l’inapplicabilité des dispositions relatives à la libre circulation des marchandises. Il importe peu que la structure ne soit pas financée par des fonds publics ou qu’elle ne soit pas soumise au contrôle direct de l’administration nationale. L’analyse se concentre sur les effets de l’activité normative afin de vérifier si elle crée des entraves « au même titre que des mesures d’origine étatique ». La Cour de justice refuse de laisser un vide juridique qui permettrait à des entités privées de fragmenter le marché intérieur par des exigences techniques.

Cette approche fonctionnelle permet d’étendre la portée du traité à des acteurs qui, bien que privés, exercent une influence déterminante sur l’exercice des libertés fondamentales européennes. L’organisme ne peut donc pas invoquer son autonomie statutaire pour imposer des tests techniques sans respecter les principes de nécessité et de proportionnalité du droit communautaire. La protection de la libre circulation des biens impose ainsi une soumission rigoureuse des normalisateurs privés aux règles fondamentales de l’Union européenne pour garantir l’unité du marché.

**II. L’affirmation de l’effet utile du principe de libre circulation des marchandises**

**A. L’appréciation concrète du caractère impraticable des procédures alternatives**

L’organisme de normalisation et l’État membre soutiennent qu’un fabricant peut théoriquement prouver la conformité de ses produits par d’autres moyens que la certification officielle. La Cour de justice rejette toutefois cet argument en soulignant que le recours à des expertises individuelles entraîne des coûts supplémentaires et des difficultés administratives majeures. Ces obstacles rendent la procédure alternative peu ou pas praticable pour une entreprise étrangère souhaitant intégrer le marché national de manière efficace et rentable. Le juge rappelle que « le seul fait d’être dissuadé d’introduire ou de commercialiser les produits en question constitue pour l’importateur une entrave » prohibée.

L’entrave est d’autant plus manifeste que l’organisme refuse systématiquement les rapports de contrôle établis par des laboratoires agréés dans d’autres États membres de l’Union. Cette pratique discriminatoire oblige les fabricants à multiplier les tests coûteux et inutiles, ce qui contredit directement l’objectif de reconnaissance mutuelle des évaluations de conformité. La Cour exige ainsi que les procédures nationales de certification restent accessibles et ne constituent pas une charge disproportionnée pour les produits légalement fabriqués ailleurs.

**B. La limitation de l’autonomie normative face aux impératifs du marché intérieur**

La décision de la Cour de justice limite la liberté des organismes de normalisation en leur imposant le respect des exigences de justification objective des normes techniques. Une modification brutale des standards de sécurité, comme l’introduction d’un test de longue durée, doit reposer sur des motifs légitimes de protection de la santé. L’arrêt consacre une jurisprudence protectrice qui empêche les acteurs privés de verrouiller les marchés nationaux sous couvert de spécifications techniques arbitraires ou excessivement rigoureuses. Cette solution assure que la normalisation contribue à l’intégration économique plutôt qu’à la création de nouveaux monopoles ou de barrières protectionnistes déguisées.

La portée de cet arrêt réside dans la responsabilisation des instances de certification privées dont les décisions ont un impact systémique sur les échanges transfrontaliers de marchandises. Les juridictions nationales doivent désormais vérifier que ces entités ne méconnaissent pas le principe de libre circulation lorsqu’elles modifient leurs référentiels techniques ou refusent des agréments. Cette surveillance judiciaire garantit la primauté du droit de l’Union sur les intérêts particuliers des groupements professionnels locaux dans le secteur stratégique de la construction.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture