Cour de justice de l’Union européenne, le 12 juillet 2012, n°C-284/11

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité des règles procédurales nationales encadrant le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée avec les principes fondamentaux du droit de l’Union. En l’espèce, une société établie en Bulgarie a fait l’acquisition de biens auprès d’un fournisseur espagnol en novembre 2008. Elle a ensuite demandé son enregistrement à la TVA, lequel a été effectif en janvier 2009. Ce n’est qu’en juin 2009 que cette société a procédé à l’autoliquidation de la taxe due sur cette acquisition intracommunautaire et a exercé son droit à déduction.

L’administration fiscale bulgare a considéré que le droit à déduction avait été exercé tardivement, au-delà du délai de trois mois prévu par la législation alors en vigueur. En conséquence, elle a non seulement refusé le bénéfice du droit à déduction mais a également imposé le paiement d’intérêts de retard. Saisie du litige, la juridiction administrative suprême bulgare a interrogé la Cour de justice sur la conformité d’une telle réglementation et d’une telle pratique au regard du droit de l’Union. La question posée était essentiellement de savoir si les principes d’effectivité et de neutralité fiscale s’opposent à ce qu’une législation nationale impose un bref délai de forclusion pour l’exercice du droit à déduction, tout en le sanctionnant par un refus total de ce droit en cas de non-respect.

La Cour de justice répond que les États membres peuvent fixer des délais de forclusion, à condition que ceux-ci ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction. Elle juge en outre que le principe de neutralité fiscale s’oppose à une sanction consistant en un refus total du droit à déduction pour un simple retard, bien qu’il ne s’oppose pas à l’imposition d’intérêts de retard proportionnés.

Il convient dès lors d’analyser la solution de la Cour en examinant d’une part, l’encadrement strict de la faculté des États membres à fixer des délais de forclusion (I), et d’autre part, le contrôle rigoureux de la proportionnalité des sanctions en cas de non-respect des obligations formelles (II).

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I. L’encadrement strict de la faculté des États membres à fixer des délais de forclusion

La Cour de justice, tout en reconnaissant la légitimité pour les États membres d’instaurer des délais pour l’exercice du droit à déduction, soumet cette prérogative au respect du principe d’effectivité. Elle admet ainsi la validité de principe d’un délai de forclusion (A) avant de la conditionner à une application pratique qui ne vide pas le droit de sa substance (B).

A. La reconnaissance d’un délai de forclusion au nom de la sécurité juridique

La Cour rappelle une solution constante en affirmant que les États membres disposent de la faculté de prévoir des délais pour l’exercice du droit à déduction. Cette possibilité se fonde sur le principe de sécurité juridique, lequel exige que la situation fiscale d’un assujetti ne puisse être indéfiniment remise en cause. La Cour énonce clairement que «la possibilité d’exercer le droit à déduction sans aucune limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de sécurité juridique». Ce faisant, elle confirme que l’instauration de délais de forclusion n’est pas, en soi, contraire au système commun de TVA.

Cette prérogative découle de l’article 273 de la directive TVA qui autorise les États membres à prendre des mesures pour assurer l’exacte perception de la taxe et éviter la fraude. Un délai raisonnable pour exercer un droit est une modalité procédurale classique qui participe à la bonne administration de l’impôt. La Cour ne remet donc pas en cause la législation bulgare dans son principe, mais se concentre sur ses modalités d’application et leurs effets concrets sur les droits que la directive confère aux assujettis.

Toutefois, cette faculté reconnue aux États membres n’est pas discrétionnaire et doit se conformer aux principes fondamentaux du droit de l’Union, au premier rang desquels figure le principe d’effectivité.

B. La primauté du principe d’effectivité comme limite à l’autonomie procédurale

La Cour conditionne la compatibilité d’un délai de forclusion au respect du principe d’effectivité. Un tel délai ne doit pas rendre «en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction». Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si, dans les circonstances de l’espèce, le délai, combiné aux autres obligations procédurales, respecte cette exigence. La Cour fournit cependant au juge national des critères d’appréciation précis et pertinents.

Elle l’invite notamment à prendre en considération l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris la durée de la procédure d’enregistrement à la TVA. En effet, si l’enregistrement est une condition préalable à l’exercice du droit à déduction et que la procédure pour l’obtenir ampute significativement le délai de forclusion, ce dernier pourrait être jugé trop restrictif. La Cour relève qu’en l’espèce, l’assujetti n’aurait disposé que «d’un mois pour exercer son droit à déduction». De plus, la Cour souligne que des modifications législatives ultérieures allongeant considérablement ce délai peuvent constituer un indice que le délai initial était excessivement court et difficile à respecter.

Surtout, la Cour rappelle que l’enregistrement n’est qu’une exigence formelle de contrôle et que le droit à déduction naît lorsque les conditions de fond sont remplies. Dès lors, «l’administration fiscale ne saurait imposer, en ce qui concerne le droit de ce dernier de déduire cette taxe, des conditions supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice de ce droit». L’autonomie procédurale nationale trouve ici sa limite dans la nécessité de garantir l’effet utile des droits conférés par la directive.

Au-delà de la question du délai, la Cour examine les conséquences de son inobservation et rappelle avec force les exigences du principe de neutralité fiscale.

II. Le contrôle rigoureux de la proportionnalité des sanctions pour non-respect des obligations formelles

La Cour de justice opère une distinction nette entre les sanctions qui anéantissent le droit à déduction et celles qui ne font que pénaliser un retard. Elle juge que le refus du droit à déduction constitue une sanction disproportionnée (A), tout en validant le principe d’intérêts de retard à condition qu’ils demeurent eux-mêmes proportionnés (B).

A. Le refus du droit à déduction, une sanction jugée disproportionnée

La Cour affirme sans équivoque que le principe de neutralité fiscale s’oppose à une sanction consistant à refuser le droit à déduction en cas de simple acquittement tardif de la taxe. Le droit à déduction est un élément fondamental du mécanisme de la TVA, visant à soulager entièrement l’assujetti du poids de la taxe. Le refuser pour un manquement à une obligation formelle, tel qu’un retard dans la déclaration, constitue une mesure radicale et disproportionnée.

La Cour précise qu’«une telle sanction apparaît disproportionnée au cas où aucune fraude ni atteinte au budget de l’État ne seraient établies». Le simple retard ne saurait être assimilé à une fraude. Dès lors que les exigences de fond du droit à déduction sont remplies et que l’administration fiscale dispose des informations nécessaires pour le vérifier, ce qui était le cas en l’espèce, le droit à déduction doit être accordé. Le non-respect d’une formalité ne peut justifier la perte d’un droit substantiel, sauf si cette omission empêche d’apporter la preuve que les conditions de fond sont satisfaites.

En censurant une sanction aussi sévère, la Cour réaffirme la primauté de la substance sur la forme en matière de TVA et protège l’intégrité du principe de neutralité.

Si le refus du droit à déduction est écarté, la Cour n’exclut pas pour autant toute forme de sanction pour sanctionner la diligence insuffisante de l’opérateur économique.

B. La validation conditionnelle des intérêts de retard comme sanction adéquate

La Cour admet que les États membres puissent sanctionner le non-respect des obligations déclaratives. À ce titre, «le versement d’intérêts de retard peut constituer une sanction adéquate». Cette solution est conforme au pouvoir des États membres d’assurer l’exacte perception de l’impôt. Une telle sanction vise à compenser le préjudice subi par le Trésor public du fait du paiement tardif de la taxe et à inciter les assujettis à respecter leurs obligations dans les temps.

Cependant, cette sanction doit elle-même respecter le principe de proportionnalité. Elle ne doit pas aller «au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif». La Cour met en garde contre des intérêts de retard dont le montant serait si élevé qu’il reviendrait en pratique à priver l’assujetti de son droit à déduction. Si la sanction pécuniaire avait pour effet d’absorber l’essentiel du montant de la TVA déductible, elle serait alors requalifiée en sanction disproportionnée, contrevenant indirectement au principe de neutralité.

En définitive, il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier si le montant des intérêts de retard réclamés à l’entreprise est proportionné à la gravité du manquement. La Cour fournit ainsi un cadre d’analyse complet, conciliant la nécessité de faire respecter les règles procédurales et l’impératif de préserver les droits fondamentaux des assujettis.

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Hassan KOHEN
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