La Cour de justice de l’Union européenne, en Grande chambre, a rendu le 12 juillet 2022 une décision fondamentale relative à la recevabilité des recours contre les actes législatifs. Un opérateur helvétique assurant la planification d’un gazoduc sous-marin a introduit un recours en annulation contre une directive étendant les règles du marché intérieur. L’acte contesté soumet désormais cette infrastructure aux obligations de dissociation des réseaux et d’accès des tiers, tout en limitant les possibilités de dérogations temporelles. Saisi en première instance, le Tribunal de l’Union européenne avait rejeté la demande par ordonnance le 20 mai 2020 au motif que la requérante n’était pas directement concernée. L’entreprise a formé un pourvoi en invoquant une erreur de droit quant à l’appréciation des conditions de l’article 263, quatrième alinéa, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La question posée à la Cour est de savoir si une directive peut directement et individuellement concerner un particulier avant même sa transposition nationale. Le juge de l’Union annule l’ordonnance attaquée en jugeant le recours recevable pour les dispositions spécifiques relatives aux régimes de dérogations.
**I. L’appréciation matérielle de la condition d’affectation directe**
*A. La primauté de la substance de l’acte sur sa forme juridique*
Le juge de l’Union rappelle que la recevabilité d’un recours ne dépend pas de la forme de l’acte mais de ses effets obligatoires. Il affirme que la « capacité d’un acte à produire directement des effets sur la situation juridique […] ne saurait être appréciée au regard du seul fait que cet acte revêt la forme d’une directive ». Le Tribunal avait commis une erreur en excluant catégoriquement l’affectation directe au motif qu’une directive nécessite par nature des mesures de transposition. Cette solution privilégie une analyse concrète des obligations imposées à l’opérateur dès l’entrée en vigueur de la norme européenne.
*B. La neutralisation du pouvoir d’appréciation des États membres*
L’affectation directe suppose que la mesure ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre matérielle. La Cour constate ici que l’État membre ne dispose d’aucune marge de manœuvre concernant l’application des obligations de dissociation à cet opérateur précis. En effet, l’infrastructure ne remplit pas les critères temporels fixés par la directive pour bénéficier des dérogations prévues aux articles 36 et 49 bis. Le caractère automatique des effets juridiques est ainsi établi car les autorités nationales « ne disposent d’aucune marge d’appréciation en ce qui concerne la possibilité d’accorder ces dérogations ».
**II. La consécration d’une individualisation par l’exclusion du régime dérogatoire**
*A. L’identification d’un cercle restreint d’opérateurs économiques*
Une personne est individuellement concernée si l’acte l’atteint en raison de qualités particulières ou d’une situation de fait la caractérisant. La Cour observe que cet opérateur se trouve dans une situation unique par rapport à tous les autres gestionnaires d’interconnexions gazières. Elle souligne que le gazoduc est le seul à se trouver « dans une telle situation » d’impossibilité juridique de prétendre à une dérogation. Cette analyse permet d’individualiser la requérante d’une manière analogue au destinataire d’une décision, conformément à la jurisprudence classique sur le cercle restreint.
*B. Un renforcement de la protection juridictionnelle effective des particuliers*
Cette décision marque une évolution importante vers un accès facilité au juge de l’Union pour les entreprises face à des directives. La Cour refuse de laisser subsister une lacune de protection qui obligerait l’opérateur à attendre une mesure de transposition nationale. En déclarant le recours recevable, elle garantit que les choix législatifs impactant précisément un acteur économique peuvent être contrôlés immédiatement. La portée de l’arrêt réside dans cette volonté de soumettre les actes législatifs complexes à un examen au fond dès lors que l’impact est certain.