Par un arrêt du 12 juin 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en cinquième chambre, a précisé les contours de la notion de « pratique commerciale agressive » au sens de la directive 2005/29/CE. En l’espèce, une autorité nationale de protection des consommateurs avait sanctionné une entreprise de télécommunications pour une pratique consistant à faire signer des contrats ou des avenants par ses clients au moment de leur livraison par un coursier. Le consommateur devait alors prendre sa décision finale en présence de ce dernier, sans disposer d’un temps de réflexion pour examiner les documents qui lui étaient soumis. Saisie en dernier ressort, une juridiction suprême nationale a interrogé la Cour sur la compatibilité de ce procédé avec le droit de l’Union. La question posée visait à déterminer si le fait d’imposer au consommateur de prendre une décision commerciale en présence du coursier constituait une pratique agressive, soit en toutes circonstances, soit uniquement si les documents contractuels n’avaient pas été préalablement communiqués, ou encore seulement si des pressions supplémentaires étaient exercées. La Cour de justice a jugé que cette pratique ne pouvait être qualifiée d’agressive en toutes circonstances mais qu’elle pouvait le devenir si des comportements déloyaux spécifiques étaient adoptés pour faire pression sur le consommateur et altérer sa liberté de choix.
L’analyse de la Cour distingue ainsi la nature de la pratique commerciale de son contexte d’exécution. D’une part, elle rejette une qualification systématique de la pratique comme étant agressive (I), mais d’autre part, elle admet une telle qualification lorsque des pressions caractérisant une influence injustifiée sont exercées sur le consommateur (II).
I. LE REJET D’UNE QUALIFICATION SYSTÉMATIQUE DE PRATIQUE AGRESSIVE
La Cour de justice écarte l’idée que la méthode de conclusion du contrat en présence d’un coursier soit intrinsèquement agressive. Pour ce faire, elle s’appuie d’une part sur le caractère exhaustif de la liste des pratiques réputées déloyales en toutes circonstances (A) et, d’autre part, elle subordonne son analyse à la possibilité pour le consommateur d’avoir eu un accès préalable aux informations contractuelles (B).
A. L’exclusion de la pratique de la liste des agressions caractérisées
La directive 2005/29/CE établit en son annexe I une liste de pratiques commerciales qui sont « réputées déloyales en toutes circonstances ». Cette liste a pour objectif de garantir un haut niveau de sécurité juridique en identifiant des comportements qui, par leur nature même, ne nécessitent aucune évaluation contextuelle. La Cour rappelle ce principe en soulignant que seules les pratiques énumérées dans cette annexe peuvent être jugées déloyales sans une analyse au cas par cas. Or, comme le constate la juridiction, le mode de conclusion de contrat en cause n’y figure pas. En conséquence, « la pratique commerciale en cause au principal ne saurait être qualifiée de pratique commerciale agressive en toutes circonstances, au sens de cette directive, qu’à la condition qu’elle corresponde à l’une des situations énumérées aux points 24 à 31 de cette annexe ». Faute de correspondance, une telle pratique ne peut être interdite de manière générale et absolue ; son éventuel caractère agressif doit être apprécié au regard des critères généraux des articles 8 et 9 de la directive.
B. La pertinence de l’accès préalable du consommateur à l’information
La Cour précise ensuite que la pratique ne devient pas agressive du seul fait de l’absence d’envoi individuel des documents avant la visite du coursier, à la condition que le consommateur ait pu en prendre connaissance par un autre biais. L’élément déterminant est la capacité du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause. Si le professionnel a mis à disposition les modèles de contrats sur son site Internet, et que le consommateur pouvait y accéder avant de finaliser sa commande, sa liberté de choix n’est pas nécessairement altérée par la signature en présence du coursier. La Cour affirme que dans une telle hypothèse, le consommateur « a été mis en mesure d’effectuer librement son choix contractuel ». Il appartient toutefois à la juridiction nationale de vérifier que cette possibilité était effective, en tenant compte des spécificités de chaque canal de vente, notamment pour la vente par téléphone où la qualité de l’information peut être inférieure. Cette approche pragmatique refuse de sanctionner un formalisme pour lui-même, préférant s’attacher à la réalité de l’information dont disposait le consommateur.
Si la méthode contractuelle n’est pas intrinsèquement répréhensible, elle peut le devenir en fonction des circonstances factuelles l’entourant, ce qui conduit à examiner les conditions de sa requalification en pratique agressive.
II. L’ADMISSION D’UNE QUALIFICATION CONDITIONNÉE À L’EXERCICE D’UNE PRESSION
La Cour admet que la pratique peut être qualifiée d’agressive si elle s’accompagne d’une influence injustifiée. Cette qualification repose alors sur l’identification de comportements concrets visant à faire pression sur le consommateur (A) et confère au juge national un rôle essentiel dans l’appréciation des faits pour protéger la liberté de choix du consommateur (B).
A. L’influence injustifiée comme critère déterminant du caractère agressif
L’article 8 de la directive 2005/29/CE définit la pratique agressive comme celle qui altère ou est susceptible d’altérer de manière significative la liberté de choix du consommateur par le harcèlement, la contrainte ou une influence injustifiée. C’est ce dernier concept, défini à l’article 2, sous j), de la directive, que la Cour mobilise. Il s’agit de « l’utilisation d’une position de force vis-à-vis du consommateur de manière à faire pression sur celui-ci […] de telle manière que son aptitude à prendre une décision en connaissance de cause soit limitée de manière significative ». La Cour indique que des pratiques additionnelles de la part du professionnel ou de son coursier peuvent transformer une méthode de vente neutre en une pratique agressive. Il ne s’agit plus d’évaluer la seule impossibilité matérielle de lire les documents, mais de rechercher si une pression psychologique a été exercée. La Cour souligne ainsi que la simple demande de signature sans octroyer un temps d’étude sur le moment ne suffit pas.
B. L’appréciation factuelle de la pression exercée sur le consommateur
La Cour fournit des exemples concrets de comportements susceptibles de constituer une influence injustifiée. Il en va ainsi lorsque le coursier « insiste sur la nécessité de signer le contrat », menace de conséquences négatives en cas de retard, comme la perte de conditions avantageuses, ou invoque des conséquences personnelles pour lui-même, telle qu’une évaluation défavorable par son employeur. De tels agissements sont de nature à « incommoder ce consommateur ou troubler sa réflexion concernant la décision commerciale à prendre ». La solution de la Cour repose sur une analyse psychologique fine de la situation du consommateur, qui, à son domicile, peut se sentir contraint par la simple présence d’un tiers et par les arguments que celui-ci déploie. En définitive, il incombe au juge national d’examiner l’ensemble des circonstances factuelles pour déterminer si la liberté de choix du consommateur a été significativement altérée. Cet arrêt renforce ainsi la protection du consommateur en déplaçant le contrôle du seul aspect formel de l’information vers une appréciation substantielle de la pression exercée lors de l’acte de contractualisation.