L’application d’un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) constitue une dérogation au principe du taux normal, et son champ d’application est strictement encadré par le droit de l’Union européenne. Par un arrêt en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à préciser l’interprétation des dispositions de la directive 2006/112/CE, relative au système commun de TVA, concernant les animaux vivants. En l’espèce, la Commission européenne a engagé une procédure contre un État membre qui appliquait un taux réduit de TVA à l’ensemble des livraisons, importations et acquisitions intracommunautaires de chevaux, sans considération de leur destination. La législation nationale de cet État prévoyait en effet ce traitement fiscal favorable pour les chevaux, y compris ceux de selle et de course, ce qui, selon la Commission, outrepassait les possibilités offertes par la directive.
La procédure a débuté par une mise en demeure de la Commission, à laquelle l’État membre a répondu en justifiant sa pratique par le principe de neutralité fiscale et en soutenant que les animaux vivants formaient une catégorie autonome au sein de l’annexe III de la directive. Après un avis motivé de la Commission rejeté par l’État membre, un recours en manquement a été introduit devant la Cour de justice. Deux autres États membres sont intervenus au soutien de l’État défendeur, témoignant de l’importance de la question soulevée. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si l’annexe III de la directive TVA permet à un État membre d’appliquer un taux réduit de TVA à toutes les livraisons de chevaux vivants, ou si cette faculté est circonscrite aux seuls animaux destinés à la préparation de denrées alimentaires ou à la production agricole.
La Cour de justice a jugé qu’un État membre manque à ses obligations en appliquant un taux réduit de TVA à l’ensemble des livraisons de chevaux, sans opérer de distinction selon leur destination finale. La solution de la Cour repose sur une interprétation restrictive des dérogations prévues par la directive (I), dont la portée réaffirme la primauté de la finalité du texte sur les considérations de pure forme, tout en clarifiant l’application de principes cardinaux de la TVA (II).
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I. L’interprétation stricte des conditions d’application du taux réduit de TVA
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse de la lettre et de l’esprit de la directive, en privilégiant une interprétation téléologique de la disposition litigieuse (A) et en définissant précisément le critère de la destination normale de l’animal pour limiter le bénéfice du taux réduit (B).
A. La primauté de l’interprétation téléologique face aux divergences linguistiques
Le point central du litige reposait sur l’interprétation du point 1 de l’annexe III de la directive TVA, qui vise notamment « les animaux vivants, les graines, les plantes et les ingrédients normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ». L’État membre défendeur, s’appuyant sur la version allemande du texte, soutenait que la condition de destination alimentaire ne s’appliquait qu’aux « ingrédients ». Face aux divergences entre les versions linguistiques, la Cour a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle la finalité de la disposition doit guider l’interprétation.
À cet égard, la Cour a établi que l’objectif de cette annexe est de rendre moins onéreux pour le consommateur final l’achat de biens considérés comme essentiels, au premier rang desquels figurent les denrées alimentaires. Dès lors, les autres éléments de la liste, y compris les animaux vivants, doivent être lus à la lumière de cet objectif. La Cour a ainsi consacré une interprétation unitaire, affirmant que « le point 1 de l’annexe iii n’autorise l’application d’un taux réduit de la TVA que pour les animaux vivants normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ». Cette approche finaliste permet de surmonter les ambiguïtés nées des différentes traductions et d’assurer une application uniforme du droit de l’Union.
B. Une application distributive du critère de la destination « normale »
Après avoir établi le lien nécessaire avec la chaîne alimentaire, la Cour a précisé la portée de l’adverbe « normalement ». Elle a jugé que ce terme vise les animaux qui, « à titre habituel et de manière générale, sont destinés à entrer dans la chaîne alimentaire humaine et animale ». Pour certaines espèces comme les bovins ou les porcins, cette destination est leur vocation quasi exclusive, ce qui justifie l’application d’un taux réduit à toutes les livraisons d’animaux de ces espèces, sans examen au cas par cas.
En revanche, la Cour constate qu’il est « notoire que, dans l’Union, l’espèce chevaline se trouve dans une situation différente ». Les chevaux ne sont pas, de manière générale, destinés à la consommation, leur utilisation étant largement répandue pour le sport, les loisirs ou le travail. En conséquence, l’application globale du taux réduit à toute l’espèce équine n’est pas possible. La Cour en déduit logiquement que le taux réduit doit être réservé aux transactions spécifiques où la destination de l’animal est avérée. Ainsi, « seule la livraison d’un cheval en vue de son abattage pour être utilisé dans la préparation des denrées alimentaires peut faire l’objet d’un taux réduit de la TVA ». Le même raisonnement est appliqué pour écarter l’argument fondé sur l’utilisation agricole, la Cour jugeant que les chevaux ne sont pas « à titre habituel et de manière générale » utilisés dans la production agricole.
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II. La portée de la solution au regard des principes directeurs de la TVA
La décision de la Cour ne se limite pas à trancher un différend technique ; elle réaffirme le principe d’interprétation stricte des régimes dérogatoires en matière fiscale (A) et offre une clarification utile sur l’articulation de cette règle avec le principe de neutralité de la TVA (B).
A. La confirmation du principe d’interprétation stricte des régimes dérogatoires
En limitant le bénéfice du taux réduit de TVA, la Cour rappelle une règle fondamentale du droit fiscal de l’Union. Les taux réduits constituent une exception au principe d’application d’un taux normal, qui garantit la simplicité et l’efficacité du système de la TVA. Comme toute exception, leur champ d’application doit être interprété de manière restrictive afin de ne pas vider le principe de sa substance. La Cour souligne ce point en citant sa propre jurisprudence : « les dispositions qui ont le caractère d’une dérogation à un principe doivent être interprétées de manière stricte ».
Permettre à un État membre d’appliquer un taux réduit à tous les chevaux, y compris ceux dont la valeur peut être très élevée et qui sont manifestement des biens de luxe ou de loisir, constituerait une interprétation large et extensive de l’annexe III. Une telle approche créerait une brèche dans le système commun et risquerait de provoquer des distorsions de concurrence entre États membres. La solution retenue est donc une manifestation d’orthodoxie juridique, visant à préserver l’intégrité de l’assiette de la TVA et l’harmonisation fiscale poursuivie par le législateur de l’Union.
B. La conciliation avec le principe de neutralité fiscale
L’un des arguments principaux de l’État membre défendeur était que la différenciation du taux de TVA en fonction de la destination du cheval violerait le principe de neutralité fiscale, selon lequel des biens similaires doivent être soumis à un traitement fiscal identique. La Cour écarte cet argument avec une grande clarté. Elle rappelle que ce principe s’oppose à ce que des biens ou services « semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traités de manière différente ».
Or, selon la Cour, un cheval destiné à l’abattage et un cheval destiné aux courses hippiques ou au loisir ne se trouvent pas dans des situations économiques concurrentes. Leur marché, leur valeur et leur usage sont distincts. La différence de destination suffit à les considérer comme des biens non semblables du point de vue du consommateur. Par conséquent, « l’application d’un taux de la TVA différent en fonction de la destination d’un cheval n’est donc pas contraire à ce principe ». Si cette solution est intellectuellement rigoureuse, sa mise en pratique impose à l’assujetti de déterminer l’intention de l’acquéreur au moment de la livraison, ce qui peut engendrer une certaine insécurité juridique, un point soulevé par les intervenants mais que la Cour n’a pas jugé dirimant.