Cour de justice de l’Union européenne, le 12 mai 2016, n°C-532/14

Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les règles de classement tarifaire applicables à des boissons alcoolisées complexes, dont le mode de fabrication et la composition finale rendaient l’interprétation de la nomenclature combinée délicate. En l’espèce, une société de production de boissons était en litige avec l’administration fiscale néerlandaise au sujet du classement douanier de trois types de produits. Le premier, une boisson de base obtenue par fermentation puis purifiée par ultrafiltration, présentait un caractère neutre en goût, couleur et odeur. Le deuxième consistait en des boissons élaborées à partir de cette base, auxquelles étaient ajoutés divers ingrédients comme du sucre et des arômes, mais sans alcool distillé. Le troisième était une boisson issue de cette même base, mais additionnée cette fois d’alcool distillé, bien que ce dernier représente moins de la moitié de l’alcool total.

La société soutenait que ces boissons, étant issues d’un processus de fermentation, devaient relever de la position 2206 de la nomenclature combinée, relative aux « autres boissons fermentées ». À l’inverse, l’administration fiscale, suivie en partie par les juridictions nationales, estimait que leurs caractéristiques objectives les rapprochaient des spiritueux, et qu’elles devaient donc être classées sous la position 2208, qui vise notamment l’alcool éthylique, les eaux-de-vie et les liqueurs. Confrontée à cette difficulté d’interprétation, exacerbée par des jurisprudences antérieures nécessitant clarification, la Cour suprême des Pays-Bas (Hoge Raad der Nederlanden) a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si des boissons issues de fermentation, mais ayant subi des transformations substantielles telles qu’une purification intense ou l’adjonction d’autres ingrédients, devaient être classées selon leur mode d’obtention initial sous la position 2206, ou selon leurs caractéristiques et propriétés objectives finales sous la position 2208.

En réponse, la Cour de justice de l’Union européenne affirme que la classification doit se fonder sur les propriétés objectives des produits finis. Elle juge ainsi qu’une boisson fermentée mais purifiée au point de devenir neutre acquiert les caractéristiques de l’alcool éthylique et relève de la position 2208. De même, les mélanges obtenus à partir de cette base, qu’ils contiennent ou non de l’alcool distillé ajouté, doivent être classés sous la position 2208 dès lors que leurs propriétés organoleptiques sont celles de liqueurs ou d’autres spiritueux. La solution retenue par la Cour repose sur une application rigoureuse du critère des caractéristiques objectives, clef de voûte du système douanier commun. Cette approche permet de distinguer clairement les produits selon leur nature finale plutôt que leur origine, ce qui assure une application cohérente de la nomenclature.

I. Le critère des caractéristiques objectives comme clef de voûte de la classification tarifaire

La Cour de justice réaffirme avec force que la classification d’une marchandise doit s’opérer au regard de ses propriétés intrinsèques au moment de son dédouanement. Cette prééminence des caractéristiques finales sur le processus de fabrication se manifeste tant pour les produits ayant subi une purification intense que pour ceux résultant de mélanges complexes.

A. La primauté des propriétés organoleptiques sur le procédé de fabrication

Pour la boisson de base fermentée puis purifiée, la Cour établit un principe de transmutation tarifaire. Bien que son alcool provienne exclusivement de la fermentation, le traitement de purification par ultrafiltration lui a conféré « une couleur, une odeur et un goût neutres ». Ces attributs ne sont pas ceux d’une boisson fermentée traditionnelle comme le cidre ou le vin, mais bien ceux de l’alcool éthylique neutre, produit typiquement classé sous la position 2208. La Cour estime donc que le produit a perdu les caractères essentiels d’une boisson fermentée pour acquérir ceux d’un produit relevant de la position 2208. Elle précise ainsi que « dès lors que le Ferm Fruit a acquis, à la suite de divers processus de purification, les propriétés objectives de l’alcool éthylique qui relève de la position 2208 de la nc, à savoir une couleur, une odeur et un goût neutres, il relève de la position 2208 de la nc ». Le mode d’obtention, critère d’origine, s’efface ainsi devant le résultat final, critère de nature.

Cette analyse consacre une approche pragmatique, où la réalité objective et perceptible du produit l’emporte sur son histoire productive.

B. L’application du caractère essentiel pour les produits mélangés

Pour les boissons constituées de mélanges, la Cour applique la règle générale d’interprétation 3 b) de la nomenclature, qui prescrit de classer les ouvrages composés d’après la matière qui leur confère leur caractère essentiel. Dans le cas des boissons fabriquées à partir de la base purifiée avec ajout de sucre, d’arômes et autres agents, la Cour considère qu’elles ont « les caractéristiques objectives d’une liqueur ». Peu importe que l’alcool qu’elles contiennent soit exclusivement issu de la fermentation, leur composition finale et leur profil organoleptique les destinent à être perçues et consommées comme des liqueurs, lesquelles relèvent de la position 2208. Concernant la boisson contenant également de l’alcool distillé, la juridiction de renvoi s’interrogeait sur la prépondérance à accorder à la proportion d’alcool fermenté (51 %) par rapport à l’alcool distillé (49 %). La Cour écarte une approche purement quantitative et indique que « la proportion d’un type d’alcool plus importante que celle d’un autre type d’alcool ne constitue qu’un critère parmi d’autres à prendre en compte ». Le caractère essentiel est déterminé par une appréciation globale incluant les caractéristiques organoleptiques et la destination du produit, qui en l’espèce le rattachent à la position 2208.

La solution ainsi dégagée se veut non seulement une application rigoureuse des textes, mais elle apporte également une clarification attendue dont la portée dépasse le cas d’espèce.

II. La portée d’une solution pragmatique et unificatrice en matière douanière

En privilégiant une méthode d’analyse objective et globale, la Cour de justice ne se contente pas de trancher les litiges qui lui sont soumis ; elle précise sa jurisprudence antérieure et renforce la prévisibilité du droit douanier pour l’ensemble des acteurs économiques de l’Union.

A. La clarification de la jurisprudence antérieure relative aux boissons complexes

L’arrêt commenté était particulièrement attendu en ce qu’il permettait de préciser l’interprétation de décisions antérieures, notamment l’arrêt `Siebrand` de 2009. Dans cette affaire, la Cour avait accordé une importance notable au fait que la part d’alcool distillé était supérieure à celle de l’alcool fermenté pour classer un produit sous la position 2208. Cette approche avait pu être interprétée comme érigeant la proportion d’alcool en critère quasi décisif. La présente décision nuance et clarifie ce point en expliquant que ce critère quantitatif n’est qu’« un critère parmi d’autres » et que son importance dans l’affaire `Siebrand` s’expliquait par les faits particuliers de l’espèce. De même, en se référant à l’arrêt `Paderborner Brauerei Haus Cramer`, la Cour confirme qu’un processus de purification peut faire basculer un produit de la position 2206 à la position 2208 s’il acquiert les propriétés de l’alcool éthylique. L’apport de cet arrêt réside donc dans sa capacité à synthétiser et à hiérarchiser les différents critères de classement pour les boissons alcoolisées complexes, offrant une grille d’analyse plus stable et cohérente.

Cette clarification jurisprudentielle contribue directement à une meilleure sécurité juridique, objectif fondamental du droit de l’Union.

B. Le renforcement de la sécurité juridique pour les opérateurs économiques

En matière douanière, la prévisibilité du classement tarifaire est essentielle pour les entreprises, car elle conditionne les droits de douane, les accises et l’application des réglementations commerciales. En fondant sa décision sur les « caractéristiques et propriétés objectives » des marchandises, la Cour ancre la classification dans des éléments vérifiables, limitant l’incertitude liée à l’appréciation de processus de fabrication parfois opaques ou complexes. Une entreprise sait désormais que si elle modifie substantiellement une boisson fermentée au point de la rendre neutre ou de lui donner les attributs d’une liqueur, elle doit s’attendre à un classement sous la position 2208, indépendamment de l’origine fermentaire de l’alcool. Cette solution pragmatique favorise une application uniforme du tarif douanier commun sur tout le territoire de l’Union, prévenant les distorsions de concurrence qui pourraient naître d’interprétations divergentes de la part des administrations nationales. La décision sert ainsi les objectifs d’intégration du marché intérieur en fournissant un cadre d’analyse clair et unifié.

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Hassan KOHEN
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