Par une décision rendue sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime juridique applicable à l’importation d’effets personnels issus d’espèces protégées. En l’espèce, une personne physique est entrée sur le territoire de l’Union en possession d’une quantité de caviar d’esturgeon supérieure à la limite autorisée sans permis d’importation. Les autorités douanières allemandes ont alors procédé à la confiscation de la totalité de la marchandise. La personne a contesté cette mesure devant le Finanzgericht Düsseldorf, qui a jugé la confiscation seulement partiellement légale, estimant que la quantité autorisée aurait dû lui être restituée. Saisi d’un pourvoi par l’administration douanière, le Bundesfinanzhof a sursis à statuer afin d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union. Le litige soulevait principalement deux questions. D’une part, il s’agissait de déterminer si des spécimens destinés à être offerts en cadeau pouvaient être qualifiés d’« effets personnels ou domestiques », bénéficiant ainsi d’une dérogation à l’obligation de permis. D’autre part, il était demandé si, en cas de dépassement de la quantité maximale autorisée sans permis, la confiscation devait porter sur l’intégralité de la marchandise ou uniquement sur la part excédentaire. La Cour de justice a répondu que la qualification d’effet personnel dépend de l’absence de finalité commerciale, indépendamment du fait que le bien soit destiné à être offert. Elle a en revanche jugé que le dépassement de la limite quantitative fixée par la réglementation entraîne la confiscation de la totalité des spécimens importés.
L’analyse de la Cour clarifie ainsi la notion d’effet personnel en la fondant sur le critère de l’absence de but commercial (I), tout en affirmant une application rigoureuse de la sanction en cas de non-respect des conditions de l’exemption (II).
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I. La finalité non commerciale, critère déterminant de l’effet personnel
La Cour consacre une interprétation extensive de la notion d’« effet personnel ou domestique » en l’appliquant à un bien destiné à être offert (A), ce qui confirme la prééminence du critère de l’absence de but lucratif dans l’application du régime dérogatoire (B).
A. L’extension de la notion d’effet personnel aux biens destinés à être offerts
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la possibilité de qualifier d’« effets personnels ou domestiques » des produits qu’un importateur déclarait vouloir offrir à des tiers. En effet, le règlement n° 338/97 définit ces effets comme les « spécimens morts, les parties de spécimens et les produits dérivés appartenant à un particulier et faisant partie ou devant faire partie de ses biens et effets normaux ». Le texte ne précise pas si une utilisation ou une consommation par l’importateur lui-même est une condition nécessaire à cette qualification. Face à cette ambiguïté, la Cour de justice se refuse à une lecture restrictive qui exclurait la cession à titre gratuit.
Elle juge que la notion peut inclure des biens destinés à être offerts en cadeau. Cette solution repose sur une analyse téléologique de la réglementation. La Cour relève qu’un bien détenu à titre personnel et sans intention commerciale peut logiquement faire l’objet d’un don. Ainsi, elle affirme que le caviar importé « peut être considéré comme étant un “effet personnel ou domestique” […] lorsqu’il est destiné à être offert comme présent à un tiers, pour autant qu’aucun élément ne révèle une finalité commerciale ». Cette approche pragmatique évite aux autorités douanières d’avoir à sonder les intentions ultimes de l’importateur, une vérification qui se révèlerait souvent difficile et intrusive. L’essentiel demeure l’absence de transaction commerciale.
B. La consécration du critère de l’absence de finalité commerciale
Pour fonder son raisonnement, la Cour s’appuie sur le contexte réglementaire et les objectifs poursuivis. Elle rappelle que le règlement d’application n° 865/2006 exclut explicitement de la dérogation les spécimens « utilisés dans un but lucratif, vendus, exposés à des fins commerciales, détenus pour la vente, mis en vente ou transportés pour la vente ». Cette disposition confirme que le législateur a entendu opposer l’usage personnel, entendu au sens large, à l’exploitation commerciale. L’intention de l’importateur est donc le facteur décisif pour déterminer si un spécimen bénéficie du régime dérogatoire.
La Cour renforce son interprétation en se référant aux objectifs de la convention CITES, que le droit de l’Union met en œuvre. Le but de cet encadrement est de contrôler le commerce des espèces menacées, et non de régir les usages privés sans but lucratif. En conséquence, la Cour conclut que l’absence de finalité commerciale constitue le critère décisif. Cette clarification a une portée importante, car elle offre une ligne directrice stable aux administrations nationales : tant que l’importation s’inscrit dans une sphère privée, y compris celle du don, elle peut relever de l’exception prévue pour les effets personnels.
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Ayant ainsi défini le champ d’application de l’exception, la Cour se penche sur les conséquences de son non-respect, adoptant une position d’une grande fermeté.
II. L’interprétation stricte de la dérogation emportant une sanction indivisible
La Cour juge que la limite quantitative prévue pour l’importation de caviar sans permis constitue une dérogation d’interprétation stricte (A), ce qui justifie une sanction rigoureuse et dissuasive en cas de dépassement, à savoir la confiscation totale de la marchandise (B).
A. La qualification de la limite quantitative comme une dérogation d’interprétation stricte
Le règlement n° 865/2006 autorise l’importation de caviar d’esturgeon sans permis « dans la limite de 125 grammes par personne ». La Cour devait déterminer si cette disposition permettait, en cas de dépassement, de conserver la fraction de la marchandise inférieure ou égale à cette limite. Pour ce faire, elle rappelle la règle fondamentale posée par le règlement n° 338/97 : l’introduction de spécimens d’espèces inscrites à l’annexe B, comme l’esturgeon, est en principe subordonnée à la présentation d’un permis d’importation.
Dès lors, la facilité accordée pour de petites quantités constitue une exception à ce principe. Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, les dérogations doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. Elle énonce clairement que la disposition en cause « constitue une dérogation au principe […] et doit, dès lors, faire l’objet d’une interprétation stricte ». Ce postulat juridique est fondamental, car il empêche d’envisager la limite de 125 grammes comme un droit acquis ou une franchise divisible. La tolérance accordée par le législateur ne s’applique qu’à la condition que sa limite ne soit pas franchie. Dans le cas contraire, l’importation rebascule entièrement sous le régime de droit commun, qui exige un permis.
B. La confiscation totale, une sanction à finalité dissuasive
En conséquence de cette interprétation stricte, la Cour conclut que le dépassement de la limite de 125 grammes rend l’intégralité de l’importation illégale en l’absence de permis. La sanction doit donc porter sur la totalité de la marchandise. La Cour juge que, « lorsque la quantité de caviar d’esturgeons introduite […] excède la limite de 125 g par personne […], l’intégralité de la quantité de caviar d’esturgeons ainsi importée doit être confisquée ». Cette solution est justifiée par les objectifs mêmes de la réglementation.
Admettre une confiscation seulement partielle reviendrait à affaiblir la portée de l’interdiction et à « encourager l’importation de ces produits dérivés […] sans permis ». La sanction perdrait son caractère dissuasif, l’importateur ne risquant que la perte du surplus. La Cour ajoute un argument d’ordre pratique, en soulignant la complexité qu’engendrerait une gestion des confiscations partielles pour les autorités douanières. La solution retenue privilégie ainsi l’efficacité du contrôle et l’objectif supérieur de protection des espèces sauvages, envoyant un signal clair quant à l’intransigeance du droit de l’Union face au non-respect des conditions très précises de l’exemption.