Par un arrêt en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser la portée des obligations qui incombent aux États membres en matière de qualité de l’air. La directive 2008/50/CE établit un cadre pour la définition et la fixation d’objectifs concernant la qualité de l’air ambiant, visant à protéger la santé humaine et l’environnement. En l’espèce, la Commission européenne a engagé une procédure de recours en manquement à l’encontre d’un État membre, lui reprochant le dépassement systématique et persistant, depuis 2010, de la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote (NO2) dans plusieurs zones et agglomérations de son territoire. Après une procédure précontentieuse infructueuse, la Commission a saisi la Cour, articulant son recours autour de deux griefs principaux. Le premier grief portait sur la violation de l’obligation de résultat de ne pas dépasser les valeurs limites fixées par l’article 13 de la directive, combiné à son annexe XI. Le second grief concernait le manquement à l’obligation, prévue à l’article 23 de la même directive, d’établir des plans relatifs à la qualité de l’air prévoyant des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible. L’État membre défendeur contestait les manquements, arguant que le dépassement des valeurs limites n’entraînait qu’une obligation d’adopter des plans de réduction, et que des facteurs externes, tels que les conditions orographiques ou d’autres politiques de l’Union, devaient exonérer sa responsabilité. La question soumise à la Cour portait donc sur le point de savoir si le simple dépassement factuel des seuils de pollution suffit à caractériser un manquement, et quelles sont les exigences concrètes qui pèsent sur un État membre pour assurer l’effectivité des plans de remédiation. La Cour de justice a constaté le manquement de l’État membre sur les deux fondements, consacrant une interprétation stricte tant de l’obligation de résultat que de l’obligation de diligence en matière de qualité de l’air.
Cette décision réaffirme avec force le caractère contraignant des normes de qualité de l’air (I), tout en encadrant de manière rigoureuse l’action des États membres pour corriger les situations de non-conformité (II).
I. L’affirmation d’une obligation de résultat à la charge des États membres
La Cour confirme que le respect des valeurs limites constitue une obligation de résultat dont le non-respect est objectivement constaté (A), et écarte les justifications tirées de circonstances particulières ou de politiques tierces (B).
A. La consécration du caractère objectif du manquement à l’obligation de respect des valeurs limites
La Cour de justice rappelle de manière constante que la procédure en manquement repose sur une constatation objective du non-respect des obligations par un État membre. Dans ce cadre, elle juge que « le fait de dépasser les valeurs limites fixées pour les polluants dans l’air ambiant suffit en lui‑même pour pouvoir constater un manquement aux dispositions combinées de l’article 13, paragraphe 1, et de l’annexe xi de la directive 2008/50 ». L’obligation de respecter les valeurs limites est donc une obligation de résultat, et non de moyens. La seule présentation des données chiffrées, transmises par l’État membre lui-même en application de ses obligations de communication, suffit à établir la preuve du manquement.
L’argument de l’État membre, selon lequel une tendance à l’amélioration progressive des niveaux de concentration devrait exclure le manquement, est fermement rejeté. La Cour précise qu’une « éventuelle tendance partielle à la baisse mise en évidence par les données recueillies, qui n’aboutit toutefois pas à ce que l’État membre concerné se conforme aux valeurs limites au respect desquelles il est tenu, n’est pas susceptible d’infirmer le constat du manquement ». Par cette formule, la Cour signifie que seule l’atteinte effective de l’objectif fixé par la directive est pertinente, et non les efforts, même réels, qui n’y aboutissent pas. Le caractère systématique et persistant des dépassements sur une longue période, en l’occurrence de 2010 à 2018 pour la plupart des zones, ne fait que renforcer ce constat.
B. Le rejet des causes d’exonération tirées de facteurs structurels et de politiques européennes
L’État membre tentait de s’exonérer de sa responsabilité en invoquant un ensemble de facteurs échappant à son contrôle. Il arguait notamment de conditions orographiques et météorologiques défavorables, ainsi que de l’incidence négative d’autres politiques de l’Union, comme celles favorisant les véhicules diesel ou l’utilisation de la biomasse. La Cour balaye cet argumentaire en rappelant que la directive a été conçue en tenant compte de la multiplicité des sources de pollution. Elle prévoit d’ailleurs des mécanismes spécifiques pour gérer de telles situations, notamment la possibilité de faire reconnaître l’impact des sources naturelles ou de demander un report des délais, procédures que l’État membre n’avait pas utilisées.
La Cour réitère qu’il est « sans pertinence que le manquement résulte de la volonté de l’État membre auquel il est imputable, de sa négligence ou bien encore de difficultés techniques ou structurelles auxquelles celui-ci aurait été confronté ». Elle refuse ainsi que des caractéristiques géographiques ou climatiques puissent justifier une défaillance durable, considérant au contraire que ces éléments doivent être pris en compte par l’État membre dans l’élaboration de ses plans d’action. De même, l’argument tenant à une prétendue incohérence des politiques de l’Union est jugé inopérant. La Cour estime qu’un État membre ne saurait se prévaloir d’un manque de coordination allégué pour se soustraire à une obligation claire et inconditionnelle résultant du droit en vigueur.
II. Le contrôle rigoureux des mesures destinées à réduire la durée du dépassement
Au-delà du constat de la pollution, la Cour examine attentivement l’obligation de l’État d’agir pour y remédier, en définissant les critères d’appréciation des plans relatifs à la qualité de l’air (A) et en sanctionnant l’adoption de calendriers de mise en conformité manifestement excessifs (B).
A. Les critères d’appréciation du caractère « approprié » des plans relatifs à la qualité de l’air
Le second grief portait sur la violation de l’article 23 de la directive, qui impose aux États, en cas de dépassement des valeurs limites, d’établir des plans d’action. La Cour rappelle que si le dépassement ne suffit pas, à lui seul, à prouver un manquement à cette seconde obligation, les mesures prévues doivent néanmoins « en tout état de cause, faire en sorte que la période de dépassement des valeurs limites fixées pour le polluant concerné soit la plus courte possible ». Le pouvoir d’appréciation des États membres dans le choix des mesures est donc encadré par cette exigence temporelle.
Pour évaluer la conformité des plans, la Cour procède à une analyse au cas par cas qui prend en compte plusieurs facteurs. Elle examine la date d’adoption des plans, relevant en l’espèce un retard considérable, les plans ayant été adoptés plusieurs années après les premiers dépassements constatés. Elle vérifie également le contenu formel des plans, constatant l’absence d’informations essentielles requises par l’annexe XV de la directive, comme le calendrier de mise en œuvre ou l’estimation de l’amélioration attendue. Le caractère systématique et persistant du dépassement constitue en lui-même un indice majeur de l’insuffisance des mesures prises.
B. La sanction de l’inefficacité découlant de délais de mise en conformité excessifs
L’élément le plus déterminant dans l’appréciation de la Cour est la durée de la période de remédiation envisagée par les plans nationaux. Elle constate que les plans adoptés par l’État membre prévoient d’atteindre les valeurs limites à des échéances très lointaines, parfois jusqu’en 2025 ou 2030, soit plus de quinze ans après la date à laquelle les valeurs auraient dû être respectées. La Cour en conclut que de tels plans « ne sont pas à même de permettre que la période de dépassement des valeurs limites fixées pour le no2 soit la plus courte possible ». Elle rejette l’argument de l’État membre fondé sur la nécessité de trouver un équilibre avec d’autres intérêts publics et privés ou sur des difficultés socio-économiques.
La Cour souligne que si un équilibre doit être trouvé, il ne peut conduire à vider de sa substance l’exigence d’une action rapide, laquelle vise à protéger la santé humaine. Elle rappelle que des « difficultés structurelles, tenant à l’enjeu socio-économique et budgétaire d’investissements d’envergure à réaliser ainsi qu’à des traditions locales ne revêtaient pas, en soi, un caractère exceptionnel ». En jugeant que des délais s’étendant sur plus d’une décennie sont incompatibles avec l’obligation de diligence de l’État membre, la Cour envoie un signal clair : la planification ne peut servir de prétexte à l’inaction ou à la procrastination, et l’objectif de protection de la santé et de l’environnement prime sur les considérations de long terme invoquées par l’État défaillant.