Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les obligations incombant aux États membres en matière de qualité de l’air ambiant. La Commission européenne avait engagé un recours en manquement à l’encontre d’un État membre en raison du dépassement systématique et persistant des valeurs limites annuelles pour le dioxyde d’azote (NO2) fixées par la directive 2008/50/CE. Les faits, non contestés, établissaient que depuis 2010, plusieurs zones et agglomérations de cet État dépassaient de manière continue la valeur limite de 40 μg/m³ pour le NO2. La procédure précontentieuse, initiée par une lettre de mise en demeure en 2015 puis par un avis motivé en 2017, n’a pas permis de mettre un terme à l’infraction. L’État membre défaillant soutenait, pour sa défense, que les dépassements n’étaient pas entièrement de son fait, invoquant des facteurs externes tels que des conditions orographiques et climatiques défavorables, ainsi que l’impact de certaines politiques de l’Union. Il affirmait également qu’en cas de dépassement, la directive n’imposait qu’une obligation d’adopter des plans relatifs à la qualité de l’air, ce qu’il estimait avoir fait de manière proportionnée. Se posait alors la question de savoir si le simple dépassement persistant des valeurs limites suffisait à caractériser un manquement, et dans quelles conditions l’obligation d’adopter des plans de qualité de l’air devait être considérée comme respectée. La Cour a répondu en constatant le manquement de l’État sur deux fondements distincts. Elle a jugé que le respect des valeurs limites constitue une obligation de résultat dont la violation est objectivement établie par le seul constat des dépassements. Elle a également jugé que l’État avait manqué à son obligation d’établir des plans prévoyant des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible.
La décision clarifie ainsi la portée de la double obligation imposée aux États, qui est à la fois une obligation de ne pas dépasser les seuils de pollution et une obligation d’agir efficacement lorsque ces seuils sont franchis. L’analyse de l’arrêt révèle la consécration de deux obligations de résultat distinctes mais interdépendantes (I), dont le respect est apprécié par la Cour avec une particulière rigueur, notamment en ce qui concerne l’effectivité de la planification (II).
I. La consécration d’une double obligation en matière de qualité de l’air
La Cour de justice réaffirme avec force que le respect des normes de qualité de l’air définies par la directive 2008/50 constitue une obligation de résultat pour les États membres. Ce faisant, elle juge que la violation objective des valeurs limites constitue un manquement autosuffisant (A) et écarte fermement les causes d’exonération qui étaient avancées par l’État défendeur (B).
A. La violation objective des valeurs limites, un manquement autosuffisant
L’apport principal de l’arrêt réside dans la confirmation du caractère absolu de l’obligation de respecter les valeurs limites fixées à l’article 13 de la directive. La Cour énonce clairement que « le fait de dépasser les valeurs limites fixées pour les polluants dans l’air ambiant suffit en lui‑même pour pouvoir constater un manquement ». Cette approche objective ancre l’infraction dans une simple constatation matérielle, indépendamment des efforts ou des intentions de l’État membre. Le manquement est constitué dès lors que les données de surveillance, transmises par l’État lui-même, démontrent un dépassement.
En l’espèce, les rapports annuels fournis par l’État mis en cause montraient sans équivoque des dépassements réguliers, étendus et significatifs de la valeur limite annuelle pour le NO2 dans de multiples zones depuis 2010. Face à ce constat factuel, la Cour estime que la preuve du manquement est rapportée. Elle rejette l’argument selon lequel l’obligation serait seulement de tendre vers une réduction progressive des concentrations de polluants. Une telle interprétation priverait la notion de « valeur limite » de son effet utile, celle-ci étant définie comme un niveau à atteindre dans un délai donné et à ne pas dépasser une fois atteint pour protéger la santé humaine.
B. Le rejet des causes d’exonération avancées par l’État membre
L’État défendeur tentait de contester l’imputabilité du manquement en invoquant un ensemble de circonstances externes. Il mettait en avant des facteurs naturels, comme les particularités géographiques et climatiques de certaines régions, et des facteurs liés à d’autres politiques de l’Union, notamment en matière de transport et d’énergie, qui auraient favorisé les émissions de NO2. La Cour de justice écarte systématiquement cette ligne de défense en rappelant que la procédure en manquement repose sur une « constatation objective du non-respect ».
Elle souligne que la directive a elle-même prévu des mécanismes spécifiques pour prendre en compte de telles situations. L’article 20 permet de déduire les contributions des sources naturelles, tandis que l’article 22 offre la possibilité de demander un report des délais en cas de difficultés particulières. L’État membre n’ayant pas utilisé ces procédures dérogatoires, il ne peut s’en prévaloir pour justifier une violation persistante de la règle générale. De même, la Cour juge que d’éventuelles incohérences entre différentes politiques de l’Union ne sauraient exonérer un État de son obligation de respecter une exigence claire du droit en vigueur.
II. L’appréciation rigoureuse de l’obligation de planification
Au-delà de la violation des valeurs limites, la Cour examine le second grief de la Commission, relatif à l’obligation d’établir des plans de qualité de l’air. Elle sanctionne le manque de diligence de l’État dans l’élaboration de ces plans (A) et retient l’inefficacité prolongée des mesures comme le critère décisif pour juger de leur caractère inapproprié (B).
A. L’exigence de diligence dans l’élaboration des plans de qualité de l’air
L’article 23 de la directive impose, en cas de dépassement, l’établissement de plans relatifs à la qualité de l’air. La Cour précise que cette obligation ne se limite pas à la simple adoption formelle de documents. Ces plans doivent prévoir des « mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible ». Dans son analyse, la Cour constate d’abord des défaillances structurelles manifestes dans l’action de l’État.
Elle relève que pour la plupart des zones concernées, les plans ont été adoptés très tardivement, bien des années après le début des dépassements constatés en 2010 et après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. Ce retard initial contrevient déjà à l’exigence d’agir sans délai. De plus, la Cour pointe des carences formelles, notant que plusieurs plans ne contenaient pas toutes les informations requises par l’annexe XV de la directive, telles que le calendrier de mise en œuvre ou une estimation de l’amélioration attendue. Ce défaut de diligence et de complétude constitue un premier indice du caractère non conforme des plans.
B. L’inefficacité des mesures comme critère de leur caractère inapproprié
L’aspect le plus notable du raisonnement de la Cour est le lien direct qu’elle établit entre la persistance du dépassement et le caractère inapproprié des mesures. Elle juge que le caractère « systématique et persistant » de la violation de l’article 13 démontre « par elle-même » que l’État membre n’a pas mis en œuvre des mesures efficaces pour que la période de dépassement soit « la plus courte possible ». L’échec à atteindre le résultat prouve l’inadéquation des moyens employés.
La Cour examine également le contenu matériel des plans et constate que les délais de mise en conformité qu’ils prévoient sont excessivement longs, s’étendant pour certaines zones jusqu’en 2025 ou 2030. De tels horizons temporels sont jugés incompatibles avec l’objectif de célérité imposé par la directive. En réponse à l’argument de l’État sur la nécessité de proportionnalité et d’équilibre des intérêts, la Cour rappelle que si une marge de manœuvre existe, elle est limitée par la finalité de protection de la santé humaine. Elle ne saurait justifier une inaction ou une action si lente qu’elle viderait de sa substance l’obligation de résultat fixée par le législateur de l’Union.